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Quelle est la part des sols wallons dans le bilan des émissions des gaz à effet de serre agricoles ?

La réduction des émissions de 80 à 95 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 27 ans est vitale pour la stabilité et l’existence de nos sociétés. Des climatologues précisent qu’il faut très vite accélérer de cinq fois la décarbonation par rapport à ce qui est en cours. Notre « budget carbone » individuel d’européens doit passer de 10 t de CO2 à cinq fois moins en un peu plus d’une génération. Le secteur agricole est à la traîne dans la réduction de ses émissions ; ces réductions n’atteignent que la moitié de celles de l’ensemble des secteurs depuis 1990.

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Le « Plan Air Climat Energie » est en cours de discussions par le Gouvernement wallon. Il élabore le détail des mesures qui seront mises en œuvre pour atteindre d’ici 2030 la réduction importante des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui reviennent à la Wallonie dans le cadre de ses engagements internationaux.

Dans ce contexte il est important de bien comprendre quelle a été la trajectoire de réduction modérée des émissions du secteur agricole jusqu’à présent et ce qu’en pensent les experts du climat qui conseillent le Gouvernement wallon. On doit aussi se poser la question des sources principales d’émissions agricoles avec un focus particulier sur les terres arables et les prairies permanentes. Ces dernières sont de longue date considérées comme des « puits de carbone » qui compenseraient une part des émissions du secteur.

On verra que l’Agence wallonne de l’air et du climat (Awac), comptable des émissions de la Région et se fondant sur les dernières données disponibles les reprend aujourd’hui comme des sources significatives d’émissions comme les terres arables. Quelques voies d’amélioration sont identifiées mais les perspectives de leur effet sur le bilan global des émissions du secteur restent limitées par rapport à l’objectif de réduction globale des émissions entre 80 et 95 % pour 2050.

Les prairies permanentes qui le sont restées de longue date perdent, en moyenne, de la matière organique sous forme de CO 2  ces dernières années en Wallonie et contribuent donc au réchauffement du climat. L’effet de « puits » absorbant globalement du carbone  encore souvent mis en avant pour les prairies ne serait donc plus d’actualité.
Les prairies permanentes qui le sont restées de longue date perdent, en moyenne, de la matière organique sous forme de CO 2 ces dernières années en Wallonie et contribuent donc au réchauffement du climat. L’effet de « puits » absorbant globalement du carbone encore souvent mis en avant pour les prairies ne serait donc plus d’actualité. - S. Rouxhet

La réduction des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole est à la traîne

Les engagements de réduction de gaz à effet de serre (GES) de la Wallonie pour les années à venir sont très importants. Dans un premier temps et pour 2030 il s’agit de réduire les émissions de 55 % par rapport à 1990. Ensuite, et pour 2050, la réduction à atteindre est comprise entre 80 et 95 %.

Ces objectifs ne peuvent absolument plus être pris à la légère. Les experts du climat, dont les prévisions se confirment chaque année, expliquent que cette réduction est inévitable pour rester dans une gamme de dérèglements climatiques dont les destructions et conséquences socio-économiques pourraient être gérées à l’échelle mondiale. Le risque d’une action insuffisante est bien d’abandonner l’idée d’une planète confortable et la vie d’une partie de nos descendants.

La Wallonie a réduit ses émissions globales de 38 % depuis 1990 principalement suite aux baisses industrielles. Le secteur agricole peine à suivre le mouvement avec une réduction moitié moindre. Le progrès relativement modeste en agriculture est dû principalement,  d’une part à une utilisation plus limitée d’engrais azotés organiques et minéraux. Avec donc de moindres émissions à l’épandage pour le dioxyde d’azote (N2O), un très puissant GES.

D’autre part, cela s’explique par la réduction du cheptel bovin avec la diminution d’émission de méthane issu de la digestion et lors du stockage des fumiers et lisiers : sur 30 ans, le cheptel de bovins de plus 2 ans a décru de 200.000 têtes (-26 %).

Le défi est donc extrêmement important pour l’agriculture. C’est d’autant plus vrai que les autres secteurs jusqu’à présent à la traîne comme le transport réduiront effectivement leurs émissions dans les années à venir. Sans effort conséquent, la part agricole s’accroîtra donc. C’est d’autant plus probable que les mesures prévues dans la politique agricole du Gouvernement wallon sont très limitées.

Comme l’écrivait le comité wallon d’experts sur le climat dans son avis nº 6 du 27 juin 2019, le Plan wallon énergie climat « prévoit une réduction des émissions de l’agriculture de 19 % entre 2005 et 2030. Au-delà de 2030 et jusque 2040 au moins, les émissions seraient stables. Ce niveau (…) ne met pas le secteur sur une trajectoire cohérente avec les objectifs de réduction à long terme ».

« Comptabilité » des émissions de GES des terres arables et des prairies permanentes

La comptabilisation des émissions de l’activité agricole est répartie en deux grands secteurs.

Le premier dit « secteur agricole » concerne :

– le méthane (CH4) lié à la digestion du bétail ;

– le protoxyde d’azote (N2O) consécutif à l’épandage des engrais azotés minéraux, organiques et amendements organiques, aux restitutions des déjections au pâturage ainsi qu’aux résidus de cultures ;

– les CH4 et N2O volatilisés lors du stockage des effluents d’élevage ;

– le dioxyde de carbone (CO2) des moteurs des engins agricoles essentiellement ;

– les N2O et CO2 émis suite au chaulage et à l’utilisation d’urée.

La comptabilisation des émissions du secteur agricole selon ces différents postes a permis à l’Awac de calculer des émissions de 4.466 tonnes éq. CO 2 pour l’année 2020.

Le second est appelé « secteur de l’utilisation et du changement d’utilisation des terres » (en jargon international, Lulucf). Il concerne surtout les sols agricoles et forestiers qui peuvent soit conserver leur utilisation, soit en changer au fil du temps.

Le bilan des émissions de GES des terres occupées par l’agriculture fait évidemment partie de celui de l’activité agricole et doit donc être considéré globalement avec celui du « secteur agricole » évoqué plus haut pour la définition d’une politique climatique régionale.

Les surfaces agricoles (prairies permanentes ou terres arables, et marginalement chez nous cultures permanentes) qui conservent leur utilisation année après année accumulent du carbone sous diverses formes organiques ou perdent du carbone sous forme de CO2 en fonction de la manière dont elles sont exploitées (apport d’engrais, d’amendements, pâturage, fauche…), du climat, du type de sol et aussi du stock initial.

Les terres qui changent d’utilisation à un moment donné commencent à ce moment à perdre ou accumuler du carbone sur une période de plusieurs dizaines d’années pour retrouver un stock en équilibre entre les entrées et sorties du nouveau mode d’exploitation. Par exemple, si une terre arable est transformée en prairie permanente, sa teneur moyenne en carbone organique va remonter progressivement.

En moyenne les terres arables wallonnes ont un stock de 51 t de carbone organique par hectare. Si on en ressème pour en faire une prairie permanente, le stock s’accroîtra progressivement de 500 kg par an pendant 10 ans, puis plus lentement sur une centaine d’années au total. Ce stock de carbone pourrait théoriquement atteindre de l’ordre de 87 t/ha à cette échéance sur base de la moyenne actuelle pour les prairies permanentes.

L’Awac calcule tous les ans les émissions de GES de tous les secteurs d’activité pour la Wallonie. Pour l’activité agricole telle que définie plus haut, elles s’élevaient à 4.878.000 t éq. CO2 en 2020 dont 4.466.000 t provenant du secteur agricole. Le point suivant traite spécifiquement des 412.000 t de contribution des terres arables et des prairies permanentes.

Les prés peu fertilisés qui ne sont pas fauchés avant l’été sont souvent fleuris. Ce sont des éléments essentiels de la biodiversité agricole. Ils abritent et nourrissent quantités d’insectes, d’oiseaux et d’autres espèces animales. Leur conservation comme celui de toutes les prairies permanentes est aussi crucial dans la maîtrise des émissions agricoles de gaz à effet de serre alors qu’elles doivent être réduites de 80 à 95% pour 2050 par rapport à 1990.
Les prés peu fertilisés qui ne sont pas fauchés avant l’été sont souvent fleuris. Ce sont des éléments essentiels de la biodiversité agricole. Ils abritent et nourrissent quantités d’insectes, d’oiseaux et d’autres espèces animales. Leur conservation comme celui de toutes les prairies permanentes est aussi crucial dans la maîtrise des émissions agricoles de gaz à effet de serre alors qu’elles doivent être réduites de 80 à 95% pour 2050 par rapport à 1990. - S. Rouxhet

Les sols agricoles en Wallonie : parties du problème ou de la solution ?

Les sols des terres agricoles sont très souvent présentés comme une partie de la solution aux émissions de GES. Leur capacité à conserver des stocks de carbone et de les accroître, notamment pour les prairies, est très souvent mise en avant, ce qui sert de justificatif pour atténuer l’urgence de changements fondamentaux en agriculture. Qu’en est-il réellement ?

La réponse à cette question peut être trouvée dans les chiffres qui ont servi à l’Awac pour établir la mise à jour d’avril 2022 du « Rapport d’inventaire des émissions de GES de la Belgique » de l’année 2019 dans le cadre de la Convention des Nations-Unies sur le Changement climatique.

 Les terres arables

Les calculs des émissions de l’Awac et de ses experts sont basés sur des procédures internationales et les meilleures connaissances scientifiques validées par le Giec. Ils se fondent notamment sur l’évolution des teneurs des sols en carbone. Ces analyses sont réalisées chaque année pour les agriculteurs dans les laboratoires spécialisés (base de données Requasud, données accumulées depuis 2005). Un traitement de ces données montrant l’évolution moyenne des teneurs en carbone des sols dans les régions agricoles peut être visualisé sur le site du Service public de Wallonie, au niveau de l’Etat de l’environnement wallon.

Pour les terres arables qui le sont restées de longue date, on constate une perte moyenne de 12 kg de C par ha et on en déduit l’émission de 17.000 t de CO2 à l’échelle wallonne (17kt CO2). Cette quantité représente une fraction assez faible s’élevant à 5,7 % des émissions totales des terres arables et d’une fraction très faible de 0,35 % des émissions totales de l’activité agricole évoquée précédemment.

C’est aussi une fraction extrêmement faible du stock de carbone total des terres arables soit 0,07 % des 22 millions de tonnes estimées.

Comme le montre la figure 1, le total des émissions des terres arables pour 2019 est de 296.000 t de CO2, ce qui représente 6,1 % des émissions totales de l’activité agricole.

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Pour la même année les calculs établissent que les terres arables provenant du retournement de prairies depuis 1990 ont perdu 246.000 t de CO2 soit 83,1 % des émissions des terres arables et 5 % du total des émissions de l’ensemble de l’activité agricole.

 Le cas des prairies permanentes

De longue date de nombreux acteurs du monde agricole considèrent que les prairies permanentes compensent peu ou prou les émissions de GES liées à l’élevage.

En 2019, pour les prairies permanentes qui le sont restées de longue date, on constate une perte moyenne de 152 kg de C par ha et on conclut à l’émission de 192.000 t de CO2 à l’échelle wallonne ( figure 2 ). La réduction des restitutions sous la forme d’engrais de ferme riches en carbone (fumier ou compost) est une hypothèse d’explication partielle. Le bilan négatif est cependant limité à 116.000 t de CO2 par la capture de 76.000 t dans des parcelles devenues des prairies permanentes depuis 1999.

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Les émissions totales des prairies permanentes qui le sont de longue date représentent donc 3,9 % de celles de l’activité agricole. Si on tient compte de l’accroissement des stocks dans les « nouvelles prairies », alors cette contribution aux émissions est ramenée à 2,3 %.

En moyenne la perte de C des prairies permanentes qui le sont de longue date représente 0,17 % de leur stock en 2019. Leurs sols sont plus riches en carbone que les terres arables mais cela correspond aussi au stade actuel à des pertes annuelles plus importantes. Ces pertes restent très faibles et correspondent à une moyenne. Il existe donc des parcelles, minoritaires, qui stockent un peu de carbone mais cela reste négligeable.

L’enjeu serait de conserver les stocks de C existants

En 2019 les terres arables et les prairies permanentes en Wallonie ont contribué aux émissions de gaz à effet de serre respectivement pour 296.000 et 116.000 t de CO2 soit au total 412.000 t qui représentent, un peu plus de 8 % de celles du total produit par l’activité agricole de (4.878.000 t éq. CO2.). À côté de cela, les stocks de carbone des terres arables et des prairies permanentes wallonnes sont considérables et estimés actuellement à respectivement 22 et 27 millions de tonnes. Ils s’érodent très lentement, les réductions annuelles à moyen terme sont mineures, mais néanmoins cette érosion représente une part notable des émissions totales de GES de l’activité agricole.

Les sols des terres arables et des prairies permanentes sont donc actuellement plutôt des parties du problème des émissions de l’activité agricole que des contributions à sa solution. Ce ne sont cependant pas les sources majeures d’émission de GES agricoles qui restent liées essentiellement au bétail bovin, directement ou indirectement et à aux épandages de la fertilisation azotée.

Réduire les émissions, préserver les stocks de carbone du sol et surtout tant que possible en relancer l’accroissement sont devenus absolument prioritaires.

Du côté des terres arables on a bien identifié des pratiques très efficaces mais contraignantes pour y arriver et qui reviennent à un retour plus grand de matières organiques (retour de résidus de cultures dont les pailles et ceux de prairies temporaires dans les rotations, couvertures hivernales à fort apport de carbone, apports accrus de fumiers et composts) et, globalement des rotations aux bilans d’humus positifs.

En ce qui concerne les prairies permanentes les retours modérés de matières organiques riches en carbone (fumier, compost plutôt que lisier) seraient à privilégier de même que le pâturage à une intensité faible à modérée plutôt que la fauche. De faibles possibilités d’améliorations sont aussi évoquées en allongeant la période de pâturage et en réduisant les fauches ce qui serait bien en phase avec une période plus longue probable de pousse de l’herbe et une certaine réduction du cheptel.

On ne doit pas en attendre des effets spectaculaires et on semble démunis du côté de pratiques additionnelles aux effets importants. Aucune n’a été identifiée pour donner des perspectives de réduire significativement le bilan global net d’émission. L’enjeu identifié par des chercheurs de l’Inrae, en France, serait de conserver les stocks existants. Ils écrivent aussi, dans une étude titrée « 4 pour mille » : « Toutefois, le potentiel de stockage pourrait augmenter si l’on renonçait à maintenir le chargement animal actuel (hypothèse non considérée par l’étude) ».

Néanmoins, si on ne considère pas cette hypothèse de remise en question fondamentale des systèmes d’élevage, il existe des leviers aux effets importants mal activés ou pas encore activés en Wallonie.

Il s’agit d’une part de stopper effectivement, sauf dérogations exceptionnelles, le labour des prairies permanentes. C’est tout à fait essentiel, les labours produisent des effets de libération de CO2 importants pendant des dizaines d’années et pèsent donc à long terme sur les émissions de l’activité agricole en hypothéquant les efforts à venir.

La solution actuelle de la Wallonie qui laisse une latitude individuelle à labourer et se contente de considérer une situation à l’échelle globale sur base des déclarations des agriculteurs n’a manifestement pas porté ses fruits. Son inefficacité est à la base de 5 % des émissions de l’activité agricole.

D’autre part, pour accroître les stocks et pour compenser les émissions agricoles résiduelles, comme l’ont montré en 2021, les scénarios de l’étude du ministère de la santé publique pour une Belgique climatiquement neutre, on n’échappera pas d’ici 2050 à l’accroissement de la superficie de prairies permanentes et/ou de forêts aux dépens des terres arables et ce, simultanément à une réduction sensible de la charge en bétail pour limiter les effets actuels directs et indirects des émissions des bovins.

Ce scénario est le seul envisageable avec celui hypothétique où d’autres secteurs arriveraient à des réductions au-delà de l’objectif fixé. Sauf si, en dernier recours, le budget régional prévoyait l’achat de compensations (« droits d’émission ») pour des émissions excédentaires.

Thierri Walot

UCL

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