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Mercosur : «L’erreur serait de perdre le cap que l’UE s’est fixé avec le Pacte Vert»

Tandis que la commission et les pays du Mercosur cherchent à finaliser la ratification de l’accord de libre-échange en intégrant, via un protocole additionnel, des garanties en matière de développement durable, certains Etats membres et de nombreux eurodéputés sont vent debout contre une ébauche de texte. Parmi ces derniers, l’écologiste Saskia Bricmont redoute tout simplement un recul démocratique…

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Pas assez de prise en compte de la dimension environnementale pour les détracteurs européens de l’accord. Trop pour les dirigeants des pays du Mercosur, dont Le Brésil qui a critiqué la vision très protectionniste de l’UE et ses objectifs environnementaux extrêmement stricts.

Une position partagée par le Paraguay qui a regretté, le 16 mai dernier, certaines restrictions environnementales très difficiles à accepter pour une région du monde qui a besoin de se développer. On se demande, dans ces circonstances, comment la commission, qui espère conclure ce dossier d’ici au sommet UE/Amérique latine prévu en juillet, s’y prendra pour aplanir les divergences entre les deux blocs, et calmer la gronde au sein des différentes assemblées.

Saskia Bricmont, où en est-on dans les méandres de ce dossier depuis la conclusion des négociations par la commission en 2019 ?

Cette conclusion a rapidement suscité une levée de boucliers au niveau parlementaire pour dénoncer un accord qui ne respectait pas les standards en matière environnementale et sociale.

Entre-temps nous avons revu les chapitres développement durable des traités commerciaux, le fameux « TSD Review » (révision des chapitres relatifs au commerce et au développement durable), intégrant les dimensions climatique, de biodiversité et de respect des droits des travailleurs. Des dispositions qui n’étaient absolument pas incluses dans l’accord qui se basait sur un mandat vieux de 20 ans.

Qu’en est-il du protocole additionnel relatif aux aspects environnementaux qui est prévu par la commission ?

On ne va pas nier qu’il couvre des aspects intéressants. Mais que vaut un protocole additionnel face au contenu du traité ? Rien ! Il n’a aucune valeur contraignante sur le plan juridique en cas de non-respect.

Pour nous, c’est largement insuffisant et nous estimons que l’accord doit être renégocié sur de nouvelles bases d’engagements climatiques internationaux, de droits des peuples indigènes et des questions de genre qui ne figuraient pas à l’agenda il y a 20 ans d’ici. Il faut savoir que plusieurs études démontrent l’importance de la place des femmes dans le secteur agricole dans certains pays, comme le Brésil.

Le Brésil, justement, semble cristalliser toutes les crispations dans les négociations…

On sait que ce pays est utilisateur de plus de 500 sortes de pesticides chimiques différents dont 150 sont interdits en Europe. Nos agriculteurs se voient, à juste titre, interdire des produits pour des raisons environnementales et de santé, là où les pays avec lesquels on facilitera le commerce les utilisent pour des productions que nous allons importer sur le marché européen.

La commission nous assure, la bouche en cœur, que ce ne sera pas le cas en raison des contrôles aux frontières. Sauf que ceux-ci seront à la fois prévisibles et insuffisants. Il s’agit d’un système qui fonctionne sur base de la gestion des risques plutôt que sur le principe de précaution. Nous souhaitons aller plus loin en imposant des clauses miroir.

La France n’a-t-elle pourtant pas porté cette proposition ?

Si. Mais la commission n’a fait aucune proposition et le document ne mentionne à aucun moment l’inclusion de clauses miroir. Aujourd’hui, rien n’empêche l’importation de produits interdits en Europe.

Des progrès ont tout de même été réalisés avec l’adoption du règlement sur la déforestation importée qui prévoit d’interdire aux entreprises l’importation d’huile de palme, de viande bovine, de soja, de café, de cacao, de bois et de caoutchouc, ainsi que de plusieurs de leurs produits dérivés, s’ils sont issus de terres ayant été déboisées après le 31 décembre 2020…

C’est en effet une belle avancée mais il y a néanmoins un gros bémol dans le cadre du Mercosur. Le texte ne s’applique pas aux écosystèmes sensibles d’Amazonie, comme la savane du Cerrado (qui couvre plus de 25 % du territoire brésilien et abrite environ 5 % de la biodiversité mondiale) ou le Pantanal, qui ont été explicitement exclus. On reste donc dans la même problématique du modèle agro-industriel que l’on va encourager avec l’augmentation des quotas et la baisse des barrières tarifaires.

Le texte sur la déforestation importée ne s’applique pas aux écosystèmes sensibles d’Amazonie, comme la savane du Cerrado (ci-dessus déboisée pour la plantations de céréales) qui couvre plus de 25% du territoire brésilien et abrite environ 5% de la biodiversité mondiale.
Le texte sur la déforestation importée ne s’applique pas aux écosystèmes sensibles d’Amazonie, comme la savane du Cerrado (ci-dessus déboisée pour la plantations de céréales) qui couvre plus de 25% du territoire brésilien et abrite environ 5% de la biodiversité mondiale.

Le texte sur la déforestation ne prévoit pas non plus le principe du « free, prior and informed consent » (le consentement libre, préalable et informé), une norme internationale pour la protection des populations locales autochtones. C’est dire qu’il n’y aura aucune protection des populations indigènes qui seront touchées par la déforestation.

Nous serons par ailleurs très vite confrontés aux limites de ce texte au niveau de la hiérarchisation en cas de litige : qu’est ce qui va prévaloir entre l’accord de libre-échange qui facilite l’importation de produits en provenance des pays du Mercosur et la réglementation anti-déforestation importée ?

Or, il s’agira de la viande, du soja, de l’éthanol et du sucre de canne. C’est aussi le cas de la volaille, nourrie principalement de produits à base de soja, dont l’accord prévoit une augmentation de 180.000 tonnes par an. Tous ces produits font l’objet d’une déforestation massive dans les pays du bloc sud-américain.

Pourrait-on envisager une embellie avec le retour au pouvoir du président brésilien Lula da Silva ?

C’est une évolution positive, mais cela ne va malheureusement rien changer parce que le président Lula n’a pas la majorité parlementaire avec lui, laquelle se situe toujours du côté de l’agro-business, un modèle qui avait été fortement encouragé par son prédécesseur, Jair Bolsonaro. Et cela prendra des années pour voir une évolution favorable se dessiner.

Chez nous, en Europe, l’Espagne, qui prendra la présidence tournante du conseil dans quelques jours, est très favorable à la mise en œuvre de l’accord. Quelles sont les marges de manœuvre ?

La présidence espagnole veut en effet faire aboutir l’accord d’ici la fin de l’année.

À cette volonté s’ajoute le changement de contexte politique avec le conflit russo-ukrainien qui a poussé les plus conservateurs et libre-échangistes au sein de ce parlement à vouloir conclure des accords avec le reste du monde pour des raisons géostratégiques et pour diversifier les sources d’approvisionnement de l’UE.

En gros, il s’agit d’aller mieux exploiter ailleurs les ressources dont nous avons besoin en Europe.

Ce qui est contraire à la philosophie sous-tendue par le Pacte Vert…

Tout à fait. Le contenu de l’accord avec les pays du Mercosur est en totale contradiction avec les objectifs climatiques du Pacte Vert qui répondent aux constatations scientifiques et s’appuient sur le rapport du Giec pour faire converger les politiques européennes.

L’accord va à l’encontre de ce que nous essayons de développer dans les États membres pour accompagner l’agriculture conventionnelle dans sa propre transition verte et, plus largement, de la stratégie « De la fourche à la fourchette », en ce inclus la promotion des circuits courts, la production alimentaire locale, qui sont des modèles que nous souhaitons encourager, par exemple, en Wallonie.

Il n’est plus possible, à l’heure actuelle, de conclure des accords commerciaux sans y adjoindre des objectifs de durabilité et de respect des populations.

Au-delà de ça, nous rencontrons un gros problème au parlement avec le groupe PPE, majoritaire dans l’hémicycle. Il se trouve que c’est également celui auquel appartiennent les présidentes de la commission, Ursula Von der Leyen, et du parlement européen, Roberta Metsola. Ce parti a tendance à s’allier avec la droite conservatrice et l’extrême droite plutôt que de tenir le cap du Pacte Vert porté et défendu part le propre collègue de Madame Von der Leyen, le socialiste Frans Timmermans, au sein de la commission.

Il s’agit là d’un véritable recul démocratique.

Quel est l’agenda des prochaines semaines ?

Il faut attendre le positionnement des États membres sur le protocole additionnel, mais c’est surtout les desseins de la commission qui nous inquiètent.

Voyant se multiplier les désaccords et la désapprobation d’une bonne partie de l’opinion publique, des agriculteurs, des syndicats agricoles, des ONG et de la gauche du parlement européen, elle pourrait être tentée de découper l’accord et faire ratifier le volet commercial du texte à la majorité au conseil européen afin de contourner le vote à l’unanimité nécessaire des États membres.

Une pratique honteuse qui permettrait son entrée en vigueur provisoire comme c’est le cas pour le Ceta.

Il faut quand même rappeler que cet accord aura des conséquences dramatiques pour un secteur agricole qui est déjà sous pression. Trois quarts du bœuf viennent par exemple déjà des pays du Mercosur. On parle quand même de 99.000 tonnes d’équivalent-carcasse (55 % de viande fraîche et 45 % de viande surgelée) qui pourront être importés depuis les pays du Mercosur avec un droit de douane à 7,5 %. C’est énorme.

Marie-France Vienne

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