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Sur ma route

C’est affolant ! Rouler en tracteur sur une route fort fréquentée a toujours fait battre mon cœur en accéléré… C’est plus fort que moi ! Une bonne poussée d’adrénaline accompagne à chaque fois mon trajet sur une grand-route, tant les voitures sont nombreuses à vous croiser ou à tenter de vous doubler. Dame ! 

Temps de lecture : 4 min

Mon vieux tracteur ne dépasse pas les 25 km/h, s’il est à vide et poussé à fond, rien à voir avec les « bolides » d’aujourd’hui qui tracent allègrement à 50-60 km/h avec d’énormes bennes ou des machines de plusieurs tonnes. Ils disposent d’une belle cavalerie sous le capot, et quand ils traversent un village plein pot, c’est quasi la mythique charge d’Eylau, menée en Prusse par 12.000 cavaliers français le 8 février 1807, sabres au clair !

Une petite dame toute tremblante m’a raconté son face-à-face avec un tracteur « conduit par un jeune sot » (sic), attelé d’une faneuse « dont une dent m’a frôlé la tête » , alors qu’elle sortait de la boulangerie et ouvrait la portière de sa voiture. Cette histoire décoiffante illustre un problème pas vraiment drôle pour les protagonistes de ce genre d’aventure. Le chauffeur et surtout le piéton fragile risquent gros en cas de contact.

Les agriculteurs utilisent des machines et des tracteurs de plus en plus puissants, massifs et encombrants. Les routes ne se sont pas élargies miraculeusement pour suivre l’évolution des engins agricoles, au contraire ! On ne compte plus les rétrécissements, les ralentisseurs, les aménagements, les trottoirs, les places de parking… venus « mordre » sur les voies publiques dans les localités rurales. De plus, le nombre de véhicules à moteur ne cesse d’augmenter, comme si les émissions de gaz à effet de serre ne constituaient qu’un concept farfelu, une aimable plaisanterie dont tout le monde sourit…

Sur ma route, oui, il y a du move, oui  ! C’est sidérant, pour moi qui vis une vie de « root » (racine) ! Aux heures de pointe -7 h à 9 h et 16 h à 18 h –, ça défile à toute allure : des SUV pour la plupart, des grosses berlines, des suppositoires d’autobus, des pick-up, des camionnettes utilitaires, des camions, des autocars, etc. Il faut donc choisir une plage horaire moins encombrée pour partir faucher, labourer, semer, moissonner, rentrer les récoltes ou convoyer du bétail. Les tracteurs actuels sont équipés de 36 phares et gyrophares, et clignotent comme des arbres de Noël un 24 décembre ! « Ils sont effrayants ! », a insisté la petite dame, encore terrorisée et bien ennuyée d’avoir laissé tomber de saisissement son pain et ses éclairs au chocolat dans le caniveau.

Sa voiture est rouge vif, couleur préférée des seniors pour être visibles des autres usagers. « Donc, le fermier m’a bien vu, tout de même ! », a-t-elle insisté. Les tracteurs aussi doivent être voyants - d’où les gyrophares - ; ils sont souvent vert clair ou vert herbe, bleu roi, rouges, parfois orange… Les engins attelés aussi disposent de catadioptres en veux-tu en voilà, et de protections pour éviter les heurts intempestifs avec toutes ces choses qui pendouillent sur les routes : branches d’arbres, panneaux et arches de signalisation, etc. Encore faut-il être en ordre, respecter la législation, avoir ses papiers sur soi en cas de contrôle policier, adopter une conduite ultra-défensive, ne pas avoir consommé de substances qui pourraient nuire à la conduite. Pas question de boire une ou deux petites bières avant de prendre le volant : 0,5, on y est vite !

Sur ma route, oui, je n’compte plus les soucis  ; de quoi devenir fou, oui, une vie de route . Je plains de tout cœur les agriculteurs qui habitent des régions urbanisées aux routes grouillantes de voitures, de camions, de vélos. Les fermiers ne sont plus chez eux, envahis par des milliers de véhicules, lesquels klaxonnent à qui mieux mieux quand ils suivent un tracteur trop lent, « une grosse tortue qui prend toute la route et zigzague maladroitement ». Les conducteurs se vengent sur les petits tracteurs comme le mien ; ils vous collent au train et tentent des dépassements de kamikaze en toute inconscience, vous obligent à mordre l’accotement, à grimper les talus. Les semi-remorques vous frôlent sans vergogne, et le déplacement d’air secoue votre tacot comme un prunier.

« Sur ma route, on m’a fait des coups en douce, de l’aventure dans l’movie, une vie de route » . À dire vrai, les accidents impliquant un tracteur sont plutôt rares, et c’est heureux ! Ce serait catastrophique, désastreux de provoquer un drame mortel, sans compter les répercussions financières… Le matériel agricole est excessivement cher. On m’a parlé de 1.000 €/ch pour l’achat d’un tracteur neuf ! 200 ch, 200.000 € donc ! On compte aujourd’hui en dizaines de milliers d’euros, quand il s’agit d’un matériel de pointe : un épandeur, une benne, une remorque, une simple » faucheuse… Les capitaux à investir sont démentiels, et il faut les risquer sur les routes, redoubler de vigilance et de prudence, dépenser des fortunes pour être correctement assuré, et prier le Ciel de n’accrocher personne, dans les villages et ailleurs.

Sur ma route, oui, il y a du move, oui. Notre route n’est pas rose, mais pas l’temps de faire une pause.

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