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«La chasse est une manière d’appréhender la nature et une école de vie»

Pour un profane, la chasse peut parfois sembler floue et barbare. Qui de mieux placé que Benoît Petit, président du Royal Saint-Hubert Club de Belgique et chasseur, pour éclairer nos lanternes en la matière car, n’en déplaise à certains, le sujet est bel et bien légiféré et encadré et a son utilité.

Temps de lecture : 13 min

Depuis les années ’80, la chasse est une matière régionalisée. Pour pouvoir chasser en Wallonie, plusieurs conditions doivent être remplies dont la possession d’un permis de chasse et d’un domaine chassable.

Pour Benoît Petit, la modernisation des pratiques agricoles, l’urbanisation galopante des réseaux routiers et ferroviaires, les zonings et la diminution des espaces chassables sont responsables du déclin du petit gibier.
Pour Benoît Petit, la modernisation des pratiques agricoles, l’urbanisation galopante des réseaux routiers et ferroviaires, les zonings et la diminution des espaces chassables sont responsables du déclin du petit gibier. - RSHCB

N’est pas chasseur qui veut

Avant toute chose, il faut donc réussir un examen de chasse : « Celui-ci est organisé depuis 1978 en Wallonie. Il est composé d’une partie théorique et d’une partie pratique. C’est fort du certificat de réussite de cet examen organisé par la Région wallonne que l’on peut prétendre à l’obtention du permis de chasse », explique Benoît Petit.

En effet, certificat en poche, le permis de chasse s’obtient annuellement par le paiement d’une taxe régionale de 223,10 euros et d’une taxe communale de l’ordre de 25 euros. « Enfin, on pourra chasser en présentant au préalable deux dernières pièces : une assurance en responsabilité civile et un extrait de casier judiciaire ».

Une pratique attachée au droit de propriété

En Belgique, la chasse est également attachée au droit de propriété. « Ce n’est pas le cas dans tous les pays mais, en Wallonie, pour pouvoir chasser, il faut disposer d’un domaine chassable de bois et/ou de plaines d’un seul tenant de minimum 25 ha au nord du Sillon Sambre-et-Meuse et de 50 ha au sud du Sillon Sambre-et-Meuse. Pourquoi cette différence ? « Car au moment de la mise en place de la législation, dans les années ‘70, le petit gibier était majoritairement présent (lièvre, lapin, faisan, perdrix, gibier d’eau…) au nord et le « grand » (cerf, chevreuil, sanglier, daim et mouflon) au sud et, le grand gibier a besoin d’un domaine vital plus étendu que le petit. Aujourd’hui, cela a évolué puisque l’on trouve du grand ou gros gibier partout ».

Ce territoire de chasse peut être propre au chasseur, qui le détient en propriété ou qui loue le droit de chasse à un propriétaire. Ce dernier est souvent privé dans le cas des plaines et en partie publique, comme les communes, pour les bois. « Les prix de locations sont variables en fonction de la présence de gibier et de la localisation en plaines, de 5 à 10 euros/ha, ou en bois, de 30 à 100 euros ». Si la surface n’est pas suffisante, le territoire chassable peut être formé via une association : « On dit qu’on devient actionnaire. On s’associe à plusieurs pour créer un bloc de chasse. Pour chaque territoire, il y a un titulaire ou un groupe de titulaires en charge du territoire qui se partagent les frais, invitent éventuellement d’autres chasseurs et peuvent prouver le respect des limites et de la possession des parcelles de chasse en cas de contrôle du Département de la Nature et de la Forêt (DNF) ».

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Le conseil cynégétique pour chasser le lièvre, la perdrix et le cerf boisé

Pour chasser certaines espèces, la législation wallonne oblige également à adhérer à un conseil cynégétique : « Il s’agit d’une asbl, il y en a 49 en Wallonie, dont la délimitation géographique est établie par un arrêté du Gouvernement wallon et qui regroupe un ensemble de territoires où l’on gère de manière commune certaines espèces. Le conseil a pour mission de coordonner la gestion des territoires en donnant les lignes de force et de conduite et en précisant par exemple combien d’animaux peuvent être tirés. Il s’agit de quotas légaux minimum ou maximum à atteindre et les chasseurs peuvent être accusés d’infraction pénale s’ils ne sont pas atteints ou s’ils sont dépassés. Le cerf est principalement concerné et les quotas sont souvent difficiles à honorer ». On pourrait donc penser qu’ils sont trop peu nombreux ? Et de répondre, « Le problème vient plutôt des différences d’appréciation de la part des chasseurs et de l’administration. En effet, il faut reconnaître que ce qu’apprécient les chasseurs, c’est d’observer beaucoup d’animaux. Ils ne souhaitent pas louer une chasse pour voir disparaître la totalité de la population de gibier et ils essaient donc d’en garder un nombre raisonnable ».

Pour Benoît Petit, la modernisation des pratiques agricoles, l’urbanisation
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Déclin du petit gibier…

Un bras de fer a donc souvent lieu entre l’administration et la communauté des chasseurs au nom de la biodiversité et de la régénération. Celui-ci peut aller dans un sens comme dans un autre. « Il n’empêche qu’on assiste à un phénomène évident partout en Europe depuis 30 ans : la montée en puissance des espèces de grand gibier telles que le cerf et le sanglier et la diminution drastique des espèces de petits gibiers comme la perdrix, le lièvre et le faisan. Pourtant, ce sont les mêmes chasseurs, on ne peut donc pas dire que ce sont eux qui en tuent trop ou pas assez. Les causes sont connues et liées à la modernisation et l’urbanisation ».

On parle d’abord du développement et de l’intensification des pratiques agricoles : « L’avènement de la phytopharmacie dans les années ’70 et son utilisation massive a fait disparaître des éléments de la chaîne alimentaires indispensables à la petite faune des plaines. Aujourd’hui, la phyto a fondu mais il reste la largeur et la vitesse d’avancement du matériel. On doit tout faire vite et à toute heure mais cela ne laisse aucune chance au petit gibier qui n’a pas le temps de s’échapper, d’autant plus qu’il a plutôt tendance à se tapir. Dans ce sens, l’agriculture bio est une véritable guillotine puisqu’on multiplie les passages de machines. Une agriculture dite « raisonnée » laisse davantage de chance à ces animaux ».

Le parcellaire agricole est aujourd’hui plus imposant et large alors que c’est justement son étroitesse qui est favorable à la petite faune qui peut y nicher. « Pour compenser, on crée des zones de biodiversité mais en réalité, on facilite le travail des prédateurs qui savent pertinemment où se trouvent les proies et n’ont plus qu’à se servir. Les MAEC sont des couloirs de la mort.

Les pratiques agricoles sont malheureusement responsables de la diminution de la biodiversité dans la plaine mais, d’un autre côté, on comprend aussi les agriculteurs à qui on a dit, via la PAC, « produisez un maximum, le consommateur veut de la quantité à un bon prix ! », c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui, quoi qu’on en dise, car, au fond, peu de personnes ont les moyens et/ou l’envie de payer plus cher pour leurs produits ».

Et quand on lui demande si les nouvelles pratiques mises en place ont une chance d’inverser la machine, il répond : « Beaucoup d’efforts sont faits et on va sans doute retrouver une certaine vie. Néanmoins, je pense que les populations sont descendues en dessous d’un seuil limite et je suis assez pessimiste. On a créé un déséquilibre entre proies-prédateurs ».

Expansion du grand gibier

Le grand gibier, au contraire, a profité des modifications des pratiques agricoles. « Historiquement, le cerf herbivore vivait dans les plaines. L’Homme, de par sa présence l’a fait rentrer dans les bois et il y est resté cantonné pendant des décennies. Mais, aujourd’hui, la forêt est devenue la grande plaine de jeux du citoyen. Les animaux ont perdu la quiétude dont ils ont besoin et ils la trouvent désormais dans les champs. Entre le semis et la récolte, ils ne sont pas particulièrement dérangés dans les parcelles de céréales, maïs, colza, miscanthus… et ils ont un garde-manger à disposition ».

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Des sangliers dans nos jardins

L’expansion dont on parle le plus est bien celle du sanglier : « On vit une expansion géographique et une explosion démographique du sanglier dans le monde entier. La première cause est la modification de la température qui a des effets directs et indirects sur l’animal. En effet, en l’absence de rigueur hivernale, la reproduction est moins freinée et les marcassins survivent mieux. Ensuite, la sécheresse et le stress hydrique qu’elle induit chez certains arbres comme le chêne ou le hêtre les poussent à produire des fruits chaque année contre tous les 5 à 7 ans en situation normale. L’arbre assure de cette manière sa descendance mais également celle des sangliers. En effet, la mise disposition massive et régulière de glands et faines pousse les laies à se mettre en chaleur dès septembre. Elles le sont généralement en concomitance afin de pouvoir protéger leurs petits de la prédation grâce à l’effet de groupe. Trois mois après, les premiers marcassins naissent et profitent de l’abondance de nourriture. Dès juin, les jeunes femelles sont gravides et la machine est lancée ».

Cette explosion démographique a entraîné une expansion géographique car « quand on est trop nombreux dans un coin, on va plus loin. »

L’intensité de la chasse dans les grands massifs a également contribué au déplacement du sanglier. « Mais cela répond à une demande de chasser toujours plus le sanglier. De plus, le sanglier est très opportuniste, pas du tout sédentaire, qui peut parcourir des kilomètres en vue de trouver nourriture et quiétude. C’est un animal stratégique, il se réfugiera chez son pire ennemi s’il sait qu’il n’est pas armé et ne représente aucun danger ».

On vit une expansion géographique et une explosion démographique du sanglier dans le monde entier.
On vit une expansion géographique et une explosion démographique du sanglier dans le monde entier. - RSHCB

Pour ou contre le nourrissage et le repeuplement ?

En Wallonie, l’interdiction du nourrissage au maïs a également eu son petit effet « Les sangliers qui n’ont plus trouvé leurs pralines sont descendus dans le Condroz et le Namurois pour aller la trouver là où on la produisait. Au sud du Sillon Sambre-et-Meuse, on peut encore nourrir au pois mais ce n’est pas l’appât idéal. Il faut constater que ça nous permet de retenir les populations, de les fixer et de savoir où elles se trouvent. Un animal à l’estomac plein ne va pas chercher ailleurs et engendre moins de dégâts. C’est une piste à ne pas négliger pour la lutte ».

Une autre pratique qui a subi les affres de certains naturalistes est le lâcher de petit gibier. « En Flandre, cela n’est plus permis. En Wallonie, on peut encore faire du repeuplement mais pas des lâchers destinés uniquement au tir. Après, il est certain qu’il y a toujours une partie de ces individus qui sont tirés, environ 30 %. Le repeuplement permet véritablement au chasseur de garder un intérêt pour la plaine car il est accompagné d’une obligation d’entretien, d’amélioration du biotope avec la mise en place de bandes ou de haies pour accueillir les oiseaux. C’est du win win. On participe à la restauration du milieu et en même temps on peut chasser. C’est une bonne chose car nous avons besoin de petit gibier sinon les territoires de ce type de gibier seront tentés de se reconvertir en territoire de grand gibier et ça les arrangera d’en avoir plus… mais pas les exploitants de parcelles. »

Dégâts : qui est responsable ?

En effet, plus il y a de gibier, plus ces animaux sont susceptibles de se servir dans les parcelles cultivées, ce qui n’est pas du goût des agriculteurs. Dans ce cas, la détermination de la responsabilité pour les dégâts occasionnés aux cultures peut s’avérer chaotique.

Néanmoins, en petit gibier, ces situations deviennent anecdotiques : « On a parfois des petits dossiers liés à quelques poches de résistance en lapin ».

Par contre, pour le gros gibier, la situation est appréciée suivant une loi nationale de 1961 qui n’est plus appliquée en Flandre mais l’est toujours en Wallonie. « Celle-ci précise que tous les dégâts engendrés aux productions agricoles et horticoles par le grand gibier sont d’office payés par le titulaire de la chasse du bois d’où provient le gros gibier (souvent le sanglier). Cela s’applique même si le bois n’est pas chassé. Il s’agit parfois de très petit bois, on en appelle donc à la ronde et les titulaires des bois aux alentours paient ensemble les dégâts, en proportion des hectares de chaque bois. En résumé, un propriétaire ou locataire de chasse de plaine ne paiera jamais de dégâts pour grand gibier à l’agriculteur dont il occupe la parcelle. C’est le propriétaire du bois le plus proche qui trinquera. La logique tient à la situation des années ’60 où l’on considérait la zone où le gibier était chassable mais ça a moins de sens aujourd’hui. Une modification de cette loi doit être envisagée, d’autant plus s’il n’y a plus de nourrissage. Sa suppression nous ramènerait à l’application du code civil et le fait de prouver la faute du chasseur ».

La destruction des corvidés

Hors période de chasse et pour certains animaux non considérés comme du gibier, des autorisations de destruction peuvent être demandées dans le cadre de dommages occasionnés. « Ce sont les mêmes chasseurs et les mêmes armes. On ne parle cependant plus de chasse mais de destruction. C’est le fait de tuer des animaux quand aucune autre solution satisfaisante n’a pu être trouvée. Ces autorisations concernent surtout les sangliers et les corvidés, parfois les pigeons ».

La régulation des corvidés pose particulièrement problème : « La corneille noire, le choucas et le corbeau freux n’ont pas le statut de gibier et sont protégés. On ne peut les chasser et pour les réguler il faut passer par un avis de la section nature du pole ruralité. Celle-ci doit donner un avis au DNF qui à son tour donne l’autorisation mais dans des conditions épouvantables. On doit d’abord utiliser tous les moyens non létaux pour les repousser et ensuite on peut obtenir une dérogation pour en tuer un certain nombre, souvent faible. Autant dire qu’ils ont le temps de mener leurs activités. De plus, on autorise la destruction à l’endroit du dommage mais ça n’est souvent pas idéal pour le positionnement de tir. Il faudrait une autorisation à l’échelle du conseil cynégétique ».

La corneille est l’oiseau le plus commun en Wallonie et ça n’a plus aucun sens d’avoir un statut protégé pour cette espèce.
La corneille est l’oiseau le plus commun en Wallonie et ça n’a plus aucun sens d’avoir un statut protégé pour cette espèce.

La situation est davantage périlleuse pour le choucas et le freux car, contrairement à la corneille, ce ne sont pas des animaux réputés pour commettre des dégâts à la petite faune. « Ils sont granivores là où la corbeille est omnivore et mange tout ce qui passe. La corneille est l’oiseau le plus commun en Wallonie et ça n’a plus aucun sens d’avoir un statut protégé pour cette espèce. Ça crée un déséquilibre proie/prédateur évident. Il suffirait d’un changement de statut pour régler le problème. Les lois sont établies en un moment et pour un lieu, si elles ont eu un intérêt, aujourd’hui, ce n’est plus le cas et on ne comprend pas pourquoi le Gouvernement wallon ne prend pas des dispositions ».

Dans ce sens, une autre modification de loi pourrait être envisagée pour la destruction des sangliers : « On sait que dans les régions où le sanglier n’est pas le bienvenu, la meilleure manière de le décourager est d’agir de nuit. Le tir de nuit dans certaines conditions devrait être analysé comme solution de régulation en plaine ».

En Belgique, le nombre de chasseurs a tendance à croître alors qu’en France, il a baissé de 30 à 40% en 30 ans.
En Belgique, le nombre de chasseurs a tendance à croître alors qu’en France, il a baissé de 30 à 40% en 30 ans. - RSHCB

Une réputation à défendre

Les combats entre chasseurs, administrations, naturalistes et même citoyens sont donc monnaie courante. « Tout cela provient en partie de l’incompréhension et l’intolérance de certains sur le fait que la chasse soit un plaisir. L’administration voudrait qu’il s’agisse uniquement d’un acte de régulation. On rend volontiers ce service mais à partir du moment où l’on doit payer et s’investir pour l’exécuter, pourquoi n’avons-nous pas le droit d’y prendre du plaisir ».

Et d’ajouter : « Je pense que le monde rural doit essayer de rester uni et solidaire face à la défense des piliers de la vie et la mort animale car ce qu’on reproche aux chasseurs, on ne mettra pas longtemps à le reprocher aux agriculteurs. La chasse ce n’est pas tuer pour le plaisir de tuer. Comme la pêche ou le jardinage, c’est lié à la patience et l’aléatoire. On apprend à observer son environnement et à l’apprécier. Ce sont des écoles de vie importantes à l’heure du « tout, tout de suite ». Ce sont des activités où l’exigence est confrontée à la réalité et qui peuvent apporter un apprentissage par rapport à l’humilité. Enfin, j’invite à plus de tolérance, laissons en paix ceux qui aiment ce genre d’activité ».

Delphine Jaunard

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