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Par ces temps incertains, où se situe l’avenir de nos productions de fruits et légumes?

« L’an dernier, nous espérions que l’embargo russe disparaîtrait à court terme », confie Rita Demaré, présidente de la fédération belge des coopératives horticoles (VBT). Mais la question qui nous concerne aujourd’hui est plutôt de savoir où est l’avenir de nos productions de fruits et légumes.

Temps de lecture : 7 min

Il est clair que la politique commerciale, au niveau mondial, est plus complexe que jamais. Le Brexit, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis… ont notablement changé le climat dans le domaine commercial, certainement pour nous, les Européens. Une bonne raison pour la fédération belge des coopératives horticoles qui a fait le point en invitant des spécialistes dans le secteur des fruits et légumes.

Selon Rita Demaré, la prolongation de l’embargo russe rend obligatoire le renforcement des marchés existants et la recherche de nouveaux marchés, même hors Europe. C’est une obligation absolue pour le secteur belge des fruits et légumes, car il est caractérisé par une nette autosuffisance.

Sans exportation, le secteur horticole belge ne serait plus que l’ombre de lui-même. En effet, l’exportation représenterait, en moyenne, 50 % de la production. Pour les poires, l’exportation représente même 90 % de la production. Le secteur a un effet positif sur notre balance des paiements, et il procure donc des rentrées financières et un certain bien-être pour notre pays. Il est donc nécessaire de découvrir de nouveaux débouchés.

Le marché européen

Philippe Binard, délégué général de Freshfel Europe, la filière européenne des fruits et légumes commercialisés en frais, a analysé l’évolution des productions et exportations des fruits et légumes belges et de l’Union européenne. La production européenne de fruits et légumes, destinés au marché du frais, tourne autour de 75 millions de tonnes. La Belgique cultive 1,5 % de la production européenne. L’exportation européenne atteint 6 millions de tonnes, pour une valeur de 5 milliards d’euros.

Les exportations sont contrebalancées par des importations atteignant 14 millions de tonnes, pour une valeur de 15 milliards d’euros. Les chiffres des importations sont à la hausse, et la raison en est simple, dit Philippe Binard. La consommation de fruits exotiques comme la banane, les ananas et les avocats est en hausse.

Pour les exportations, l’embargo russe a été un cataclysme. On exporta, en 2014, environ 1,4 million de tonnes vers la Russie. Une chute énorme puisque l’exportation est retombée à 70.000 tonnes en 2016. Les Européens exportent à présent, majoritairement, vers la Biélorussie, la Suisse et la Norvège.

Le marché intérieur reste, c’est évident, un débouché stable et sûr, tant en volume qu’en valeur. Au cours de la décennie écoulée, le commerce intérieur de l’Union européenne a augmenté de 23 %, soit un total de 31 millions de tonnes, tandis que la valeur a crû de 56 %, soit 32,5 milliards d’euros.

La France, un marché important pour nous

Les données d’exportation sont connues pour les fruits et légumes belges. En fruits, la France est la destination la plus importante, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne sont également des débouchés à ne pas négliger. Quinze pourcents des exportations de fruits ont pris la direction de la Russie en 2014. Ce n’était plus que 0,2 % en 2016.

En légumes, l’exportation, à 80 %, a trois destinations principales : la France, 33 % ; les Pays-Bas, 32 % ; l’Allemagne, 25 %.

Rita Demaré: «Trouver de nouveaux débouchés est une obligation!»
Rita Demaré: «Trouver de nouveaux débouchés est une obligation!»

Marchés internationaux incertains

Jonathan Holslag, conseiller spécial du Commissaire européen Timmermans, souligne que l’embargo russe n’est pas la seule raison de la grande incertitude des marchés au niveau international. Le président des Etats-Unis Donald Trump a, parmi ses premières décisions politiques, revu notablement la politique américaine de libre-échange, cette décision a des conséquences immédiates pour les partenaires commerciaux des USA, et notamment pour les Européens. En outre, on constate une recrudescence de conflits armés, comme en Ukraine et au Moyen-Orient. Le monde est à la croisée des chemins. Nous avons pu surmonter la crise de 2008, mais les problèmes sous-jacents ne sont pas résolus.

J. Holslag note quatre tendances influençant l’incertitude internationale actuelle. Une des explications, très importante, c’est la position du monde occidental qui s’affaiblit rapidement par rapport à des pays émergents comme la Chine et l’Inde, avec la conséquence que le pouvoir d’achat s’y est à peine accru depuis 2008. Un autre constat : le poids politique de l’Europe s’amoindrit au niveau mondial. Ce fait a des conséquences non négligeables dans les négociations commerciales, mais aussi dans la lutte contre la distorsion de concurrence. Cet affaiblissement économique se répercute également au niveau militaire. Tout cela peut aussi influencer les marchés.

Une autre évolution se remarque par une modification dans la nature de la demande. On affirme qu’il y a une croissance économique, mais la population ne le ressent pas dans un accroissement du bien-être et de la consommation.

Une troisième évolution concerne la raréfaction des matières premières telles que l’énergie et l’eau, ce qui occasionne également des conflits dans plusieurs pays et régions du monde.

La dernière évolution citée par J. Holslag est la façon dont les personnes traversent les crises. Dans les pays à très haut niveau de vie, on déplore de plus en plus de dépressions et burn-outs chez les jeunes. Le bien-vivre régresse et certains jeunes se radicalisent. Tout cela assombrit le paysage politique, mais aussi le marché.

Si nous ne parvenons pas à trouver la parade à ces tendances, il est à craindre que les turbulences actuelles vont se poursuivre, voire s’accentuer, de même que le protectionnisme et l’animosité entre les pays. Quelques signes précurseurs sont assez évidents. Aux États-Unis, par exemple, la confiance vis-à-vis des autorités politiques atteint un creux absolu, et la demande de protectionnisme est, au contraire, très forte : 65 % des Américains sont en faveur de mesures protectionnistes…

Toujours selon Jonathan Holslag, nous n’évoluons donc pas vers un monde où les frontières s’affadissent, mais plutôt vers un monde fragmenté. L’Europe pensait qu’il est bon d’avoir un monde avec beaucoup d’acteurs, mais ce n’est, à l’évidence, plus le cas.

L’agriculture, pensée comme un marché…

Il y a une évolution dans la conception de la politique économique, et cela se voit bien en agriculture. En Europe, nous considérons l’agriculture comme un marché, où le meilleur doit gagner, et on enrobe le tout avec les concepts de qualité, avec un bon marketing, de la logistique et la production durable.

Philippe Binard: «Même si la Belgique exporte la moitié de sa production de fruits et légumes, elle est un petit acteur dans le concert européen.»
Philippe Binard: «Même si la Belgique exporte la moitié de sa production de fruits et légumes, elle est un petit acteur dans le concert européen.»

… comme un secteur essentiel

Les autres pays considèrent leur agriculture d’une toute autre façon : pour les pays émergents comme la Chine, la sécurité économique est importante. On constate une avancée du nationalisme économique dans le monde : des moyens publics sont utilisés pour casser les marchés extérieurs. C’est ainsi que les commerçants reçoivent une aide pour se placer à l’international. Un exemple : l’Etat chinois prévoit chaque année un budget de 42 milliards de dollars à ses champions nationaux pour qu’ils puissent favoriser leurs marques. Et c’est bien là, la différence avec l’Europe : nous pensons en termes de marché, les Chinois pensent en termes d’Etat.

Un autre aspect très important, c’est l’aide à l’emploi agricole. En Europe, l’agriculture n’est pas considérée comme une priorité. Il en est tout autrement dans des pays comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis, où les secteurs agricole et horticole sont considérés de façon plus stratégique.

Un troisième point, c’est la création de champions agricoles. Ces derniers sont des acteurs financés et soutenus par l’Etat dans l’objectif de prendre une part de marché importante dans le marché intérieur, afin de grandir et de repousser les acteurs étrangers. Ces champions agricoles sont soutenus pour atteindre le sommet en matière de qualité et de sécurité. Les Chinois ne veulent pas dépendre de fournisseurs étrangers et veulent bloquer leurs bénéfices.

Un autre aspect a trait à la classe moyenne qui, dans les pays en développement, est considérée comme une opportunité pour les entreprises intérieures. La classe moyenne doit favoriser la croissance des entreprises chinoises. Il y a donc un « clash » entre différentes civilisations. Contrairement à la Chine, à l’Inde et aux Etats-Unis, nous mettons bien moins en avant les intérêts nationaux en matière de politique agricole, et cela peut devenir une menace.

Retour vers un « monde normal »

Il y a évidemment d’autres problèmes. J. Holslag cite les déséquilibres dans l’Eurozone, les tensions avec les puissances régionales comme la Russie, l’instabilité des régimes politiques et diverses régions d’Asie, et une possibilité de conflit entre la Chine et les Etats-Unis. Pendant des dizaines d’années, on a eu la paix, des progrès et des visions d’avenir… et c’est anormal, selon Jonathan Holslag. C’est dû au fait que les Etats-Unis étaient, et de loin, la plus grande puissance militaire, et personne n’osait broncher. Cette période fut également possible parce que notre économie avait atteint une productivité que personne, parmi nos concurrents, ne pouvait approcher.

« Nous sommes à présent dans un ordre mondial de politique de puissance, d’intérêts nationaux, de volatilité et d’insécurité. Celui qui est le plus souple, le plus flexible gagne. C’est pourquoi il est important de réfléchir à la façon de rendre plus souples nos secteurs agricole et horticole.

M. V. et J.F.

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