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L’agroenvironnement en Wallonie en 2023 (3/3): un attrait retrouvé pour l’autonomie fourragère

Le volet « prairies permanentes » de l’agroenvironnement wallon connaît un bilan mitigé. En effet, si la Maec « prairies naturelles » convainc à nouveau, les objectifs fixés par la Région wallonne demeurent relativement faibles. Les prairies de haute valeur biologique, quant à elles, souffrent… Heureusement, la mesure « autonomie fourragère » regagne du terrain et présente un potentiel de développement loin d’être négligeable.

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Dans le cadre des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) relatives aux prairies permanentes, l’analyse porte sur les MB2 « prairies naturelles », MC4 « prairies de haute valeur biologique » et MB13 « autonomie fourragère ».

Prairies naturelles : un succès loin des sommets d’antan

La Maec « prairies naturelles », qui stagnait depuis de nombreuses années, a rencontré un nouveau succès avec 500 ha de plus en 2023. On constate cependant que l’on est très loin d’atteindre les 15.000 ha qu’elle a couverts lors de ses meilleurs jours (figure 1). L’objectif de la Région wallonne pour 2028, fixé à 13.000 ha, est aussi resté bien en deçà de ce « sommet » d’il y a plus de dix ans.

Figure 1: évolution des surfaces de prairies naturelles et de prairies de haute valeur biologique (en ha).
Figure 1: évolution des surfaces de prairies naturelles et de prairies de haute valeur biologique (en ha).

C’est une mesure d’appel pour laquelle Natagriwal a montré qu’il y avait une forte rotation de parcelles y entrant et en sortant. Un « turn-over » de 50 à 60 % en 7 années réduit grandement son efficacité pour soutenir la biodiversité. La priorité est donc de maintenir sous contrat les parcelles engagées et ce, avant d’accroître fortement les surfaces.

Pour cela, il a été suggéré d’augmenter la rémunération, qui ne représente que 41 % des pertes économiques moyennes calculées. Il faudrait également mieux valoriser les contrats successifs et les parcelles comprenant une mare ou une longueur conséquente de haies vives. Dans toutes ces situations plus favorables pour la biodiversité, des paiements s’additionnant sur les mêmes surfaces accroîtraient l’intérêt de poursuivre les contrats à long terme aux mêmes endroits.

La prairie de haute valeur biologique peine à séduire

L’accroissement des surfaces de la Maec « prairies naturelles » n’est qu’une seconde priorité par rapport à celles couvertes par la « prairie de haute valeur biologique ». C’est la mesure la plus efficace pour améliorer les conditions de vie des espèces sauvages et la qualité des milieux naturels rares, menacés et fragiles dans les prairies. Or, depuis 2019, l’accroissement annuel net des surfaces sous contrat a tendance à fléchir (figure 1). Il a été nul, ou presque, l’an dernier. Natagriwal a aussi constaté que 363 ha sous contrat n’ont pas fait l’objet d’une demande de prolongation d’engagement.

C’est particulièrement interpellant puisque la Région wallonne a défini, en 2019, un objectif de couverture de 46.000 ha de prairies extensives essentiellement via cette mesure dans son « Cadre d’action prioritaire » pour la réalisation des objectifs de conservation de la biodiversité de Natura 2000. Celui-ci a été ramené, dans le cadre du plan stratégique de la politique agricole commune, à 15.000 ha pour les prairies de haute valeur biologique. Le coup d’arrêt actuel au succès de la mesure retire pratiquement toute chance d’atteindre cet objectif sans ambition par rapport aux besoins.

Malgré un regain d’intérêt, la mesure « prairies naturelles » couvre désormais  des surfaces bien inférieures à celles atteintes lors de ses meilleurs jours.
Malgré un regain d’intérêt, la mesure « prairies naturelles » couvre désormais des surfaces bien inférieures à celles atteintes lors de ses meilleurs jours. - Th. Walot

Les principales solutions aux effets complémentaires pour inverser la tendance ont déjà souvent été évoquées et peuvent être résumées en trois points.

Premièrement, il convient d’envisager une augmentation sensible des paiements qui devraient être plus proches du montant moyen des pertes de revenu calculées par l’Administration (895 €/ha de prairie de haute valeur biologique, pertes compensées à 52 % par le paiement).

Ensuite, une forte mise en valeur, au sein de la profession, du service environnemental fourni par les agriculteurs est nécessaire. De même, il convient d’améliorer sa perception par leurs interlocuteurs institutionnels et sectoriels. Cette étape est indispensable pour accroître, chez les agriculteurs, le sentiment de légitimité de tirer un revenu d’une action répondant à une demande de la société.

Enfin, en relation avec ce progrès, il est indispensable de supprimer les causes du ressenti négatif qu’ont la plupart des cultivateurs des conditions et des conséquences, tant administratives que financières, liées aux contrôles des Maec. Il faudrait cesser de remettre en cause en permanence l’admissibilité des surfaces sous prétexte qu’elles abritent une trop grande diversité de couverts ou une trop grande densité d’éléments de maillage écologique, tels les buissons souvent qualifiés de « broussailles » (lire par ailleurs).

Autonomie fourragère : de nombreuses fermes éligibles ne s’engagent pas

« L’autonomie fourragère » est une Maec de grande importance pour soutenir les exploitations agricoles qui ont les charges en bétail par hectare de superficie fourragère les moins élevées. Le nombre de tête de bétail bovin et l’utilisation d’engrais azoté pour la production de fourrage y sont limités. Elles contribuent ainsi fortement à la limitation des émissions de gaz à effet de serre. L’autonomie alimentaire élevée du bétail limite aussi radicalement les émissions liées aux aliments importés, quasi absents dans ces fermes. On a aussi constaté que les exploitations avec une charge en bétail plus faible comptent une part plus élevée de prairies riches en biodiversité et que les risques pour les eaux y sont réduits.

L’objectif pour les deux variantes de la mesure, pour 2028, reste modestement au niveau de celui de 2020 soit 74.000 ha (moins d’un quart des prairies permanentes de Wallonie) (figure 2).

Figure 2: évolution des variantes de la mesure «autonomie fourragère» (en ha).
Figure 2: évolution des variantes de la mesure «autonomie fourragère» (en ha).

L’attrait retrouvé l’an dernier pour cette mesure est une bonne nouvelle. Elle est nette pour la variante la moins intensive. Par contre l’autre stagne depuis 4 ans. Le Service Public de Wallonie a montré que le potentiel était encore très élevé dans les deux cas. Seulement un tiers des fermes qui pourraient bénéficier de la variante la moins intensive sont effectivement engagées. Pour l’autre, qui progresse le moins, c’est seulement un quart des fermes éligibles qui sont sous contrat.

On n’a pas identifié les réticences des agriculteurs à y faire davantage appel. On sait, par contre, qu’elle est bien utilisée par les élevages bio dont elle renforce la viabilité économique. 43 % des prairies permanentes bio bénéficiaient aussi de la Maec en 2017, selon Natagriwal. L’évolution positive de l’agriculture biologique étant fortement freinée, on peut craindre que cela impacte négativement aussi celle de la Maec « autonomie fourragère ». C’est peut-être une des raisons de la stagnation d’une des variantes depuis 2020.

Actuellement, les fermes aux charges inférieures à 1,4 UGB/ha de superficies fourragères sont proportionnellement moins soutenues qu’avant 2022. La différence par rapport aux autres prairies a, en effet, diminué suite à la réduction de moitié du paiement à l’hectare. Ce constat est tiré lorsqu’on additionne tous les paiements qui encouragent au maintien des prairies permanentes dans le plan stratégique via les écorégimes et la Maec spécifique. C’est une évolution dommageable eu égard aux pressions bien plus réduites sur l’environnement et le climat exercées par les fermes les plus extensives.

D’après Thierri Walot

Université catholique de Louvain

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