Louis Ska (Corman): «Tous nos repères sont bousculés»

Louis Ska est le directeur général de Corman, filiale du groupe français Savencia (ex-Bongrain). La société belge est leader européen dans la production de beurre à destination des industriels, ainsi que des particuliers (marques Balade et Carlsbourg). Elle se trouve en première ligne dans cette « crise du beurre », puisqu’elle achète chaque année 50.000 tonnes de matière grasse et de crème qu’elle transforme à destination de ses clients. « Nous achetons de la matière première indexée aux cotations, qui est donc beaucoup plus chère », confirme le patron de Corman.

Comment expliquer cette flambée ?

Depuis le début de cette année, on a constaté un recul de la collecte laitière, à la fois en volume et en composition. Ce déficit est de l’ordre de 55.000 tonnes à cette date – ce qui pourrait conduire à 100.000 tonnes sur l’année complète –, sur un marché européen de 2,4 millions de tonnes. Qui plus est, il n’y a pas de stock de beurre. On est à 80.000 tonnes en Europe, contre 180.000 à la même période l’an passé. Soit à peine deux semaines de consommation : c’est très peu ! Par contre, il y a 350.000 tonnes de stock de lait écrémé en poudre, dont les prix sont très bas (NDLR, l’Europe rachète la poudre excédentaire au prix dit « d’intervention », soit environ 1.800 euros la tonne). Dans le même temps, on constate une hausse de la production de fromage (de l’ordre de 0,7 %), qui s’explique par le fait qu’elle permet de valoriser la totalité du lait, à la fois la matière grasse et la matière protéique.

Louis Ska, directeur de Corman
Louis Ska, directeur de Corman - DR

Ces prix hauts vont durer ?

Aujourd’hui, tous nos repères sont bousculés et je n’ai pas de boule de cristal. Compte tenu de la hausse du prix payé aux producteurs, la collecte de lait repasse dans le positif partout dans le monde. La Nouvelle-Zélande, qui est le premier exportateur mondial, démarre sa nouvelle campagne laitière dans de bonnes conditions. Cela pourrait ramener de la matière grasse sur le marché. Mais il reste difficile de prédire l’impact structurel des stocks de lait écrémé. Cela génère une énorme incertitude. Sur le beurre, je n’attends pas beaucoup de variations d’ici la fin de l’année. Cela restera un marché haut.

Le prix final pour le consommateur va augmenter ?

Évidemment, il faut veiller à ce que ces prix puissent être répercutés sur l’ensemble des acteurs de la filière. En « B to B » (NDLR, les clients professionnels, artisans ou industriels), nous vendons essentiellement aux fabricants de viennoiseries, qui est un segment en forte croissance partout dans le monde. Mais on a du mal à répercuter la réalité de cette flambée dans nos prix de vente. J’estime qu’il faudrait une hausse de cinq centimes pièce pour un croissant, ce qui me semble acceptable pour le consommateur. Sur nos beurres grand public, les prix ont déjà augmenté, mais faiblement. Nous essayons de lisser les choses. Nous évoluons sur des contrats avec la grande distribution qui ont été négociés l’an dernier. Nous avons dû renégocier certains tarifs en cours d’année, mais ils sont très loin de refléter la hausse de notre matière première. Ce sera une année très difficile pour les fabricants et pour les marques. On est loin de se frotter les mains.

B.P.

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