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À Agribex, l’entrepreneuriat se décline aussi au féminin

La traditionnelle journée dédiée aux femmes a ouvert un cycle de trois débats. Le premier volet consacré à l’entrepreneuriat a réuni les agricultrices Cindy Rabaey et Caroline Jaspart, ainsi que la députée régionale et bourgmestre Valérie Dejardin. Ensemble, elles ont dressé un constat sans détour : si les femmes occupent une place croissante dans les exploitations, leur progression se heurte encore à des obstacles structurels tenaces. Leurs récits ont dessiné les contours d’un secteur en mutation, où la volonté d’inclusion se confronte toujours aux réalités du terrain.

Temps de lecture : 7 min

Dès l’ouverture, Valérie Dejardin a tenu à rappeler que la Wallonie n’avançait pas depuis une page blanche. En tant que députée et bourgmestre d’une commune rurale, elle mesure au quotidien la nécessité de rendre visibles les agricultrices. Elle a notamment évoqué le projet du GAL du Pays de Herve, qui avait filmé des exploitantes dans leur travail afin de montrer la diversité de leurs pratiques et de leurs responsabilités.

Une reconnaissance en progression, mais freinée par des usages persistants

Selon elle, ces initiatives ont une portée double : politique, en ouvrant le regard sur la place des femmes, et citoyenne, en reconnectant les habitants à celles qui façonnent leur territoire.

Mais derrière ces démarches valorisantes, un chiffre demeure implacable : seules 16 % des exploitations wallonnes sont dirigées par des femmes. « Comme bourgmestre, je vois des jeunes femmes déterminées qui ne parviennent pas à obtenir les terres dont elles auraient pourtant la capacité de s’occuper », a-t-elle expliqué. Aux difficultés d’accès au foncier s’ajoutent des héritages encore freinés par des logiques patriarcales.

Elle a rappelé les témoignages entendus au parlement européen, où certaines agricultrices s’étaient vues refuser la terre familiale au nom du « patrimoine masculin ». « On est en 2025 », a-t-elle insisté. « Il devient urgent de tourner la page d’un système qui ne reconnaît pas les femmes comme héritières légitimes de leur propre métier. » Cette tension entre avancées symboliques et lenteurs structurelles a d’ailleurs traversé l’ensemble des échanges.

Des parcours façonnés par la ténacité et la passion

Cindy Rabaey, qui a repris l’exploitation familiale située à Baudour 26 ans plus tôt, a illustré ce décalage. Elle se souvient d’une époque où les femmes n’avaient « même pas de statut » sur la ferme. Les progrès accomplis depuis lors étaient réels, mais n’ont pas suivi la rapidité avec laquelle le métier s’est transformé.

Au fil des années, ce qui l’a particulièrement marquée a été l’ampleur prise par les démarches administratives. « Je n’étais presque plus jamais dans l’étable », confiait-elle, comme si cette phrase résumait à elle seule la dérive progressive de son quotidien.

La diversification (l’ouverture d’un magasin, la gestion d’une équipe) l’avait menée vers une activité plus entrepreneuriale, mais moins enracinée dans le contact avec les animaux. Un choix assumé, mais teinté de mélancolie.

Caroline Jaspart, présidente de l’Union des Agricultrices wallonnes (Uaw), a apporté un regard complémentaire. Le statut d’agricultrice, longtemps limité à celui de « conjoint aidant », n’a trouvé sa pleine reconnaissance que récemment. Cette évolution a permis à une nouvelle génération de femmes formées en agronomie d’entrer dans le métier avec la volonté claire de s’installer comme exploitantes à part entière.

Mais là encore, les obstacles demeurent. « Nous n’avons pas choisi ce métier pour nous enfermer dans un bureau », a-t-elle rappelé, exprimant un sentiment largement partagé. L’agricultrice namuroise incarne par ailleurs une génération d’agricultrices qui refusent de se laisser enfermer dans les anciens cadres du métier. Engagée au sein de l’Uaw, elle porte la voix de celles qui assument simultanément des responsabilités techniques, économiques et familiales, sans toujours bénéficier d’une reconnaissance à la hauteur de leur engagement.

Elle souligne l’importance de valoriser les compétences spécifiques des femmes et leur aptitude à penser l’exploitation comme un ensemble cohérent mêlant production, gestion et diversification. À ses yeux, accompagner plus solidement les femmes qui souhaitent s’installer constitue l’une des clefs pour préparer l’avenir du secteur.

Une bureaucratie devenue l’un des principaux freins

Très vite, la discussion s’est cristallisée autour de la surcharge administrative, identifiée comme l’un des principaux facteurs de découragement. Cindy Rabaey a décrit avec précision la nécessité de consigner chaque fauche, chaque intervention, chaque date autorisée, parfois « sur un bout de papier », avant de retranscrire ces données dans les formulaires Pac. « Ce n’était plus une question de météo ou de logique agronomique, mais uniquement de conformité », a-t-elle résumé.

Mme Jaspart a confirmé que nombre de règles imposées correspondaient déjà à des pratiques quotidiennes, mais que l’obligation de prouver constamment ce qui avait toujours été fait mobilisait une énergie disproportionnée.

À ce stade, Valérie Dejardin est intervenue s’appuyant sur son expérience de députée régionale et de bourgmestre. Elle a rapporté que nombre d’agricultrices de sa commune de Dolhain-Limbourg lui confient vouloir être sur le terrain plutôt que derrière un bureau. « Elles ont raison, a-t-elle ajouté. Une exploitation ne se gère pas en cochant des cases ». Elle a évoqué un couple d’agriculteurs dont l’épouse, pourtant co-exploitante, consacrait deux jours entiers par semaine à remplir des documents obligatoires. « Ma femme devient ma secrétaire », lui avait confié l’agriculteur.

Pour elle, la simplification administrative n’est pas seulement une question d’efficacité : c’est un acte de reconnaissance, une manière de restaurer la confiance entre l’État et ceux qui nourrissent la Wallonie. Ainsi se dessine une rupture nette entre une administration fondée sur la vérification permanente et des agricultrices qui demandent simplement le droit d’exercer leur métier.

Transmission et vocation : la force tranquille du métier

Les intervenantes ont ensuite redonné souffle au débat en évoquant ce qui les portait jour après jour : la passion, la transmission et le lien au vivant. Cindy Rabaey a affirmé que chaque obstacle l’avait « rendue plus forte ». Malgré les évolutions de son métier, elle y trouve encore une forme d’accomplissement. Elle voit dans les femmes du secteur une capacité singulière à se réinventer et à conjuguer détermination et créativité.

Caroline Jaspart a quant à elle évoqué avec émotion la « sororité agricole », ce lien silencieux qui unit les agricultrices au-delà des distances. Elle a décrit la naissance d’un veau comme « un moment sans nom », révélateur de la nature profonde d’un métier exigeant mais profondément signifiant. « C’est un métier où l’on voit et touche ce que l’on produit », a rappelé l’agricultrice namuroise.

Cette dimension sensible a conduit naturellement la députée socialiste à évoquer l’enjeu de l’éducation. Dans sa commune, a-t-elle expliqué, les enfants s’enthousiasment lors des visites de ferme, mais ce lien s’effrite dès qu’ils poursuivent leur scolarité ailleurs. Elle raconte avoir rencontré des adolescents qui ne savent même plus reconnaître une vache.

Pour elle, il devenait urgent de « faire entrer l’agriculture dans les écoles » en invitant des agricultrices à témoigner de leur métier. « Sans agriculteurs, il n’y aurait plus de vie en Wallonie », a-t-elle rappelé, avant d’ajouter que « sans le regard des femmes, cette vie serait moins durable, moins créative, moins ancrée dans la réalité des familles ».

L’innovation : une alliée précieuse, mais à manier avec discernement

Interrogée sur les innovations présentées au salon, l’agricultrice baudouroise a évoqué l’arrivée d’un robot de traite dans sa ferme. Si elle avait d’abord vécu cette automatisation comme une forme de dépossession, la traite étant son moment privilégié auprès des vaches, elle a fini par reconnaître son utilité pour l’organisation du travail et le bien-être animal.

Mais elle a insisté sur un point : « La robotisation n’était pas adaptée à toutes les fermes ». Sa collègue namuroise a nuancé dans le même sens, avançant que les technologies peuvent alléger les tâches physiques, mais ne doivent jamais faire oublier la dimension humaine, sensible et relationnelle de l’agriculture.

Au terme du débat, une évidence s’est imposée : les femmes jouent un rôle moteur dans la transformation actuelle de l’agriculture. Elles diversifient, innovent, impulsent des pratiques durables, maintiennent le lien social dans les campagnes. Mais leur élan se heurte encore à des obstacles profonds : un statut perfectible, un accès difficile au foncier, une bureaucratie omniprésente. Pour Valérie Dejardin, l’essentiel est de porter au parlement la réalité vécue sur le terrain. « Si je ne pensais pas que ma voix pouvait changer quelque chose, je n’y siégerais pas », a-t-elle confié.

Marie-France Vienne

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