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Benoît Demarbaix, l’agriculteur devenu pépiniériste

Gottignies. Elargis, éperdus, ils gardent sur eux l’empreinte du travail. Des oiseaux s’y rassemblent, noirs sur l’or pâli, comme des notes sur une portée. Dans ces champs ourlés d’ornières où l’eau assoupie reflète un ciel en partance. Ouverte à la lumière d’automne, vaste, humble, pleine de souffle et de silence, se déplie la pépinière remplie de promesses de Benoît Demarbaix.

Temps de lecture : 6 min

Le moteur du 4x4 ronronne doucement sur le chemin de terre. Devant, de larges bandes de jeunes peupliers s’étirent à perte de vue, alignées comme à la parade. Leurs troncs lisses captent la lumière d’un matin clair.

Entre agriculture et forêt, le fruit d’une vie de travail et d’un pari singulier

À deux pas de la maison de Benoît Demarbaix, dans ce coin de campagne hennuyère entre Mons et Soignies, s’étendent 12ha de peupliers : le fruit d’une vie de travail et d’un pari singulier. Celui d’un agriculteur devenu pépiniériste qui, il y a près de 40 ans, a choisi de se diversifier… en cultivant des arbres. « On a commencé petit, sur 30 ares, en 1988 », raconte-t-il dans un sourire. À l’époque, l’exploitation familiale vit de l’engraissement de taureaux hors sol. « Et puis la crise de la viande est arrivée, le prix s’est effondré. Il fallait se réinventer ».

Alors, par pragmatisme autant que par intuition, Benoît Demarbaix et son père installent leurs premières boutures dans un coin de champ. « On n’imaginait pas que ça deviendrait l’activité principale ». Quatre décennies plus tard, la pépinière Demarbaix produit toujours du peuplier.

Un ajustement permanent

Ici, rien ne rappelle la sylviculture industrielle : pas de hangars, pas de machines, seulement la terre, les rangs d’arbres et le vent. La culture du peuplier est lente, exigeante, obstinée. « Deux ans pour faire un plant vendable », explique le pépiniériste.

Tout commence par la bouture, réalisée à la main. Chaque tige est plantée, puis contrôlée par la Région wallonne avant d’obtenir son passeport sanitaire. Vient ensuite le désherbage, entièrement manuel entre les arbres, mécanique entre les rangées, et les tailles successives, deux par an.

« C’est énormément de main-d’œuvre ». Des saisonniers, souvent les mêmes d’année en année, participent à ces tâches minutieuses.

13 variétés poussent côte à côte à Gottignies : le Vesten, adapté aux sols limoneux ; le Koster et le Bakan, qui préfèrent l’humidité ; ou encore le Tricobel, plus ancien, pour les terrains argileux. « On choisit toujours la variété selon le sol », précise Benoît Demarbaix. « C’est un travail d’ajustement permanent ». Dans le Hainaut, les sols profonds et bien drainés conviennent particulièrement. « Le peuplier aime l’eau, mais pas trop. Une année trop pluvieuse ou trop sèche, et tout peut être perdu ».

Une activité tributaire du climat et du marché

Le ciel, le sol, le marché : trois forces que Benoît Demarbaix ne maîtrise pas, mais avec lesquelles il compose. « Parfois, une saison entière s’envole à cause d’un insecte ou d’un excès d’eau », confie-t-il. Les arbres deviennent alors trop souples, « flexueux », et invendables. D’autres années, la sécheresse freine leur croissance : « On a des calibres trop petits, personne n’en veut ».

À ces aléas s’ajoute la dépendance au marché du bois, capricieux et mondialisé. « Si le prix est bon, les propriétaires exploitent, donc nous on replante. Sinon, tout s’arrête ».

Les tempêtes de 1999, qui ont ravagé la France, ont longtemps freiné la demande : « Les exploitants sont partis là-bas. Ici, on ne vendait plus rien. ».

A deux pas de sa maison, dans ce coin de campagne hennuyère entre Mons et Soignies, s’étendent 12ha de peupliers : le fruit d’une vie de travail et d’un pari singulier. Celui d’un agriculteur devenu pépiniériste.
A deux pas de sa maison, dans ce coin de campagne hennuyère entre Mons et Soignies, s’étendent 12ha de peupliers : le fruit d’une vie de travail et d’un pari singulier. Celui d’un agriculteur devenu pépiniériste. - M-F V.

Aujourd’hui, le peuplier trouve encore preneur, modestement, dans le nord de la France, en Flandre ou jusqu’à la côte belge. Il sert à tout : cageots, panneaux, boîtes à fromage, lamellé-collé pour charpentes ou bardages. « C’est un bois clair, léger, facile à travailler », dit-il. Et, ajoute-t-il, « il capte bien le carbone ». Mais la rentabilité reste fragile. Les variétés modernes sont soumises à des droits d’obtenteur pouvant atteindre 1 € par plant. « Ces royalties financent la recherche, mais elles grèvent nos marges ».

Un métier rare, mais pas disparu

Dans la cour de la ferme, rien n’indique qu’ici se joue un pan discret de la filière forestière wallonne. Une maison simple, un atelier, quelques hangars agricoles. La pépinière s’étire derrière, invisible depuis la route. « En Wallonie, on n’est plus que quelques-uns à produire du peuplier », dit-il sans pathos. « Avant, on était plusieurs. Et puis les mauvaises années ont découragé les autres ».

Aujourd’hui, la production se concentre surtout en Flandre, où subsistent encore quelques pépinières. « Ce n’est pas grand-chose à l’échelle de la Belgique, mais suffisant pour la demande ».

La populiculture n’a jamais vraiment séduit les agriculteurs : trop de travail manuel, trop d’incertitudes, peu d’aides publiques. « C’est beaucoup de sueur, mais je suis resté sur mes terres ». La populiculture, pour lui, n’est ni une passion d’esthète ni un calcul d’investisseur, mais une manière de continuer à vivre du sol, autrement.

Une diversification à contre-courant

Au fil du temps, la pépinière Demarbaix est devenue une exception dans le paysage agricole wallon. « Quand on parle de diversification, on pense circuits courts, transformation laitière, produits fermiers. Moi, ce sont les peupliers », sourit-il.

Et pourtant, cette orientation atypique a permis de diversifier l’exploitation familiale. Sur les 12 ha de pépinières, 6 sont exploités chaque année ; les autres accueillent la génération suivante de plants. Les pépinières rentrent dans la rotation de l’exploitation agricole. « On replante chaque hiver dans les bois. Les arbres qu’on abat aujourd’hui, ce sont ceux qu’on a mis en terre il y a 25 ans ».

Dans 20 ans, certains arbres deviendront des planches, d’autres des cageots ou des charpentes.
Dans 20 ans, certains arbres deviendront des planches, d’autres des cageots ou des charpentes. - M-F V.

Benoît Demarbaix ne se dit pas forestier. Il ne fait ni abattage ni exploitation. « Je vends le plançon, pas l’arbre ». Ce qui le fait tenir, c’est la continuité du geste. « Les premiers arbres que j’ai plantés, on les abat maintenant. Je replante sur les mêmes parcelles. Je vois la finalité de mon travail ».

Une économie de patience et de soin

Contrairement à bien des cultures agricoles, le peuplier réclame du temps, mais peu d’intrants. Pas de fongicides, presque pas d’herbicides, aucun traitement systémique. « Les firmes ne développent rien pour le peuplier, ce n’est pas assez rentable ». Le seul soin régulier, c’est l’attention quotidienne. « Les herbes sont enlevées d’une manière manuelle et mécanique. Les tailles, on les fait nous-mêmes ». Un labeur ancien, presque artisanal.

À Gottignies, les alignements d’arbres dessinent un damier parfait. La lumière glisse sur les troncs gris argenté. Rien ne trahit l’effort que représente cette culture. « Quand on voit la pépinière, on croit que tout pousse tout seul. Mais chaque ligne, chaque arbre a été surveillé, taillé, replanté ». Un travail invisible, comme une fidélité silencieuse à la terre.

 

Racines et horizons

Lorsqu’on lui demande s’il conseillerait à un jeune agriculteur de suivre sa voie, il secoue la tête. « C’est énormément de travail ». Pas d’amertume, mais une lucidité tranquille. « Je ne cherche pas à grandir. Si on se maintient, ce sera déjà bien ».

De part et d’autre, les jeunes arbres frémissent sous le vent. Dans 20 ans, certains deviendront des planches, d’autres des cageots ou des charpentes. Pour Benoît Demarbaix, ils sont surtout la trace d’une trajectoire : celle d’un agriculteur hennuyer qui, en plus des cultures agricoles, a choisi d’y planter des arbres. Une diversification à contre-courant, mais profondément enracinée.

Marie-France Vienne

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