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Un avenir incertain pour la présence d’animaux dans notre capitale

Agribex, ou la plus grande ferme du pays à Bruxelles comme on l’écrivait en 2023, se déroulera cette année sans bêtes. Soit une conséquence directe de l’ordonnance adoptée par le Parlement bruxellois juste avant les élections de 2024, interdisant toute vente, exposition ou présentation d’animaux sur son territoire. Dès lors, entre décisions politiques et contexte sanitaire, comment envisager l’avenir de ce type de rassemblements ? On fait le point avec Jean Devillers, président du Brussels Livestock Show.

Temps de lecture : 6 min

Selon vous, existe-t-il une réelle fracture entre le monde politique et les réalités du monde agricole, comme le prouve la décision de la Région de Bruxelles-Capitale ?

Je me refuse à admettre qu’il existe effectivement une fracture. Le monde politique est à l’image de la population. C’est elle qui incite les politiques à prendre, ou non, ce type de mesure. Cette décision a été lancée avant la dissolution du Parlement bruxellois en mai 2024. Je suis certain qu’elle est passée relativement discrètement, et qu’il n’y a pas un député sur deux qui connaissait réellement les répercussions de son vote. En 2023, une chaîne d’information bruxelloise avait réalisé une enquête autour des concours et m’avait interrogé sur ce sujet. J’avais répondu ne pas comprendre que, dans cette région, on puisse défendre à la fois le maintien de l’abattage rituel et le bien-être animal. Cette partie de mon intervention n’a jamais été diffusée… Cette décision est liée à un dogme qui consiste à dire qu’on ne peut pas exhiber des animaux.

Pourtant, amener les animaux au cœur de la ville pourrait justement participer à une meilleure connaissance du secteur de l’élevage…

L’intoxication de l’ensemble de la population concernant les pratiques en élevage est si profondément ancrée que, selon moi, il n’y a qu’un grand bouleversement qui puisse la transformer. Je suis donc dubitatif quant au maintien de ce type de manifestation. Sans parler du problème sanitaire. Entre ces deux contraintes, cela devient très compliqué. Et je ne pense plus qu’un événement comme Agribex, la Foire de Libramont ou encore le Sommet de l’élevage, à Clermont-Ferrand, puisse réellement participer à l’évolution de l’avis ou encore du ressenti de la population vis-à-vis des animaux.

Néanmoins, beaucoup d’écoles se rendent à Agribex. Pour ces jeunes citadins, moins habitués à la ruralité, ne pas voir de bête sur ce salon, n’est-ce pas une occasion manquée ?

Tout à fait. J’ai participé, dans les années 80, à la création de l’association des concours généraux. La manifestation de Bruxelles était auparavant subsidiée au niveau fédéral. Ensuite, quand cela s’est régionalisé, les Régions n’ont plus souhaité la soutenir. Au début des années 2000, nous avons, dès lors, réalisé différentes démarches afin de trouver d’autres sources de financement, en expliquant que, pour les écoles qui venaient, c’était l’occasion de voir des animaux. Toutefois, de là à recevoir une information suffisante pour pouvoir accepter, tolérer ou même défendre l’agriculture, il y a une marche.

Le Sommet de l’élevage a enregistré une baisse de fréquentation de 14 %. Pourtant, hormis les bovins, les autres animaux étaient bien présents. Pour Agribex, vous attendez-vous à une réelle diminution du nombre de visiteurs ?

C’est compliqué d’y répondre, mais ce sera probablement le cas. À ce propos, un palais a dû être supprimé. Par ailleurs, Agribex attire davantage un public néerlandophone, tandis que les Wallons se rendent plutôt à la Foire de Libramont. Mais une partie d’entre eux venait à Bruxelles pour les bêtes. Il faudra voir leur réaction… C’est difficile d’établir un diagnostic, même s’il est certain qu’avec cette absence, il y aura moins d’animation et d’ambiance dans les allées.

Quelles ont été les réactions des éleveurs, notamment ceux de bovins, déjà privés d’Agridays à Tournai cette année ?

Ces derniers se posent évidemment beaucoup de questions concernant les risques sanitaires. Ceux-ci étaient déjà présents lorsque j’exerçais mon métier de vétérinaire. Pour ceux qui revenaient d’un concours avec des animaux, il y avait fréquemment des problèmes sanitaires qui en découlaient. À l’époque, l’IBR existait et, si on ne la diagnostiquait pas, on en subissait les conséquences dans les fermes. Il y a également eu une époque avec la brucellose et, parfois, des transmissions de tuberculose. Puis, on a ajouté des couches et des couches d’exigences afin que les éleveurs puissent participer à ces compétitions. Pour eux, c’est non seulement très coûteux, mais il s’agit également d’une fameuse contrainte. En principe, les animaux doivent effectuer une quarantaine en revenant de ce type de manifestation. En hiver, c’est évidemment plus compliqué.

Dans ce contexte, quelle est votre vision à propos de l’avenir des concours et des rassemblements d’animaux en général ?

Tout d’abord, il y a la problématique liée à l’IBR. Les transmissions sont accrues pour les bêtes qui passent par les marchands et le commerce d’animaux, où un grand nombre d’entre eux sont rassemblés. À cette saison, il y avait aussi des épidémies de grippe chez ces derniers. À présent, on ne peut plus se permettre ce type de situation. Beaucoup d’efforts ont été réalisés afin de diminuer l’usage des antibiotiques et d’accroître les mesures de biosécurité. Or, les rassemblements d’animaux sont justement l’antithèse de la biosécurité. Cela pose un grand problème. Les risques sont vraiment importants, et le danger augmente avec la taille des exploitations. Il y aura des impacts différents pour un animal extérieur arrivant dans une ferme avec 10 ou avec 100 bêtes.

Il y a aussi le danger par rapport à la rapidité et à l’extension des mouvements humains, d’animaux ou même de fleurs. Par exemple, l’une des hypothèses concernant l’épidémie de fièvre catarrhale ovine de 2007-2008 est son lien avec les commerces internationaux, comme celui des chevaux, dont certains transitent par l’aéroport de Bierset, ou celui des fleurs. Il en va de même pour la peste porcine, associée aux déchets alimentaires contaminés jetés par des chauffeurs routiers.

Sans oublier les maladies transmises par les culicoides, ce qui rend la protection des animaux encore plus difficile.

On peut être aussi rigoureux que possible avec des mesures de biosécurité, il peut toujours y avoir un trou dans la raquette. C’est inévitable.

Et comment envisagez-vous l’organisation d’Agribex 2027 ?

Nous espérons que le gouvernement bruxellois reviendra sur sa décision, du moins s’il y en a un… Je ne désespère pas, dans la mesure où certains partis ne seront normalement plus dans la majorité. Nous ferons notre possible pour ramener des animaux dans la capitale. Cependant, est-ce que je vais assister à l’enterrement du Brussels Livestock Show ? J’ai envie de répondre « 50-50 ».

Toutefois, je ne suis pas inquiet que pour Bruxelles. Ainsi, dans certains marchés, la présence de bêtes est désormais interdite. Cela alors que le nombre d’éleveurs-sélectionneurs pratiquant des concours est également en train de diminuer comme peau de chagrin. Rappelons que, outre l’aspect économique, préparer des bêtes pour une compétition représente un énorme travail. Il faut avoir des éleveurs particulièrement motivés. Ce sont de vrais sportifs ! J’y ai participé à l’époque. À présent, mes petits-enfants vont quelques fois par an à des concours ovins. Cela requiert une énergie de fou.

« Nous ferons notre possible pour ramener des animaux dans la capitale », souligne Jean Devillers.
« Nous ferons notre possible pour ramener des animaux dans la capitale », souligne Jean Devillers. - J.V.

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