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Dans le cadre d’un master «développement international» à l’ISIa Huy :à plus de 500 USD le kg, à qui profite le prix de la vanille?

La vanille est, après le safran, l’épice la plus chère au monde. Elle est le fruit d’une orchidée, le seul comestible parmi cette famille botanique.

Temps de lecture : 6 min

Avec un volume fluctuant autour de 1.500 tonnes/an de vanille, Madagascar fournit environ 80 % de la production internationale. La moitié de la production est expédiée vers l’Europe, le tiers vers les Etats-Unis et le reste en Asie. La Grande île fixe est donc en mesure de fixer le prix mondial d’autant que son parfum, révélant le terroir unique de l’Ile Rouge, est un standard olfactif pour les industries agro alimentaires, première consommatrice de vanille.

Les prix s’envolent…

Si la vanille contribue à elle seule à 5 % du PIB national, elle crée surtout un microcosme socio-économique particulier dans la région de la Sava, principale pourvoyeuse de cette épice. Là-bas, un gouffre s’est formé entre les personnes impliquées (in)directement dans la filière et la population malgache. Des centaines de millions de dollars sont déversés pour pouvoir acquérir l’« or vert ». La banque nationale a d’ailleurs du mal à suivre la cadence et arrive régulièrement à cours de liquidité. La rareté crée le besoin. Le besoin engendre des actes démesurés. Cette avalanche de billets verts conduit à une inflation galopante à tel point que le coût de la vie a au minimum doublé par rapport aux autres régions du pays.

Depuis la libéralisation de la filière en 1995, le prix n’a cessé de fluctuer pour connaître aujourd’hui des records. En l’espace de six ans, le cours a été multiplié par dix. En 2013, le prix au kilo se négociait autour des 50 USD. En 2019, il faut compter plus de 500 USD, toute qualité confondue ! Les caprices climatiques et humains (travail en flux tendu des importateurs, blanchiment d’argent pour le trafic illégal de bois de rose) sont à l’origine de cette flambée des prix.

… la qualité s’étiole

Paradoxalement, alors que le prix s’envole, la qualité s’étiole. Le taux de vanilline, qui garantit la qualité des gousses, est passé de 1,8 % en 2014 à moins de 1 % en 2017. En cause, la cueillette d’un produit immature par crainte des vols en plantations. Or, le taux de glucovanilline (précurseur de la vanilline) s’accroît de façon exponentielle dans les dernières semaines du cycle, soit de mai à août en fonction des zones climatiques. Ces semaines sont perdues en cas de récolte hâtive.

Ce constat impacte l’ensemble des professionnels et il compromet l’avenir de la filière. La campagne 2018 2019, programmée du 15 juillet au 31 mars, est qualifiée de « campagne de la dernière chance ». La chaîne d’approvisionnement depuis le champ jusqu’à l’assiette est d’une grande complexité. Des mesures drastiques, nées d’un partenariat public-privé ont réussi partiellement à corriger la tendance. La fixation des dates de récolte et la sécurisation des parcelles ont permis d’augmenter la proportion de gousses cueillies à maturité.

Les maîtres du jeu

Passés d’une situation survivaliste à un embourgeoisement sans pareil dans le monde, 80.000 à 100.000 paysans sont devenus les maîtres du jeu. Ils sont convaincus que le fruit de leur labeur trouvera acquéreur, et ce quelle que soit la qualité. Propriétaire en moyenne d’un à un hectare et demi de vanilleraies, pour une production moyenne en vanille verte avoisinant les 100 kg/ha et vendu 50 USD/kg, le producteur dispose d’un coffre-fort à ciel ouvert. À titre d’information, le SMIC mensuel est fixé à environ 165.000 Ariary (devise malgache) soit moins de 50 USD. Un kilo de vanille verte équivaut donc à un mois de travail (quand il y en a).

Une atmosphère d’insécurité s’installe dès que le fruit a atteint son plein développement phénotypique, vers février. À partir de cette période, la majorité des cultivateurs est obligée de dormir dans les champs et/ou de recruter des gardes armés. Les personnes soupçonnées ou reconnues coupables de vol sont tuées ou emprisonnées. Le scénario est digne d’un film hollywoodien qui s’intitulerait « Blood Vanilla ».

Préparer la vanille

Aveuglés par le gain, ils ne comprennent pas pourquoi le prix atteint un plafond non négociable pour les collecteurs chargés d’acheter leur vanille. Certains préfèrent alors attendre des jours meilleurs, s’il y en a, ou préparer eux-mêmes leurs vanilles là où le climat le permet. Le fait de préparer la vanille apporte une plus-value au produit puisque le prix au kilo est multiplié au moins par six (300 USD/kg). Une incitation supplémentaire à bafouer le savoir-faire ancestral. À ce prix, la discipline est mise au second rang. L’objectif est de mettre au plus vite sur le marché les précieuses gousses, au mépris de la qualité (mise sous-vide d’un produit instable, spéculation sur le stock de l’année précédente, fraude sur le poids...).

Répondre aux standards internationaux

À ce jeu, les exportateurs consciencieux comptent parmi les premières victimes. Interfaces entre le planteur et le monde « occidental », ils doivent d’une part construire des relations de confiance envers leurs fournisseurs et, d’autre part, répondre aux exigences des standards internationaux.

En fait, la situation oblige l’exportateur à travailler selon des délais raccourcis sur base d’un cahier des charges strict, une matière première discréditée sur le marché mondial. S’il franchit tous ces obstacles et parvient à assurer une qualité, il ne lui reste plus qu’à escorter sa marchandise depuis la société jusqu’à l’aéroport international en évitant un vol à main armée. Tout cela demande des moyens humains et financiers démesurés.

Mais, pour l’industrie, le prix justifie les fins. La variante de synthèse est 15 à 2.000 fois moins cher en fonction des procédés. Le tout pour un prix très stable. Il n’est donc guère surprenant que le volume annuel de vanilline d’origine naturelle ne couvre que quelques pourcents de la demande mondiale. En outre, de plus en plus d’industriels se tournent vers d’autres terroirs comme l’Indonésie, l’Inde, l’Ouganda. Malheureusement, les petites structures et le consommateur lambda n’ont parfois pas d’autres choix que de renoncer tout simplement à la vanille naturelle.

Nos enfants auront-ils encore le privilège d’être embaumé par ce doux parfum ? Espérons que l’adage populaire « Chassez le naturel, il revient au galop » prenne ici tout son sens. Seuls des choix décisifs, un Etat responsable et un retour à la discipline conforteront la place de Madagascar, l’Île aux mille parfums. Offrir un produit naturel haut de gamme sur le plan qualitatif est le seul levier pour pérenniser une activité exportatrice. Pratiquement, cela passe par le recours aux bonnes pratiques d’hygiène (BPH) et l’application des principes HACCP. L’objectif est d’harmoniser le niveau de sécurité sanitaire en impliquant l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire.

Mais à plus de 500 USD/kg, à qui profite le prix de la vanille ? À toutes celles et ceux qui produisent et/ou commercialisent de la vanille et/ou qui bénéficient indirectement des retombées économiques dans cette région du monde. Le modèle libéraliste permet l’instabilité des prix, bon gré mal gré. Les réjouissances pourraient laisser place à la décrépitude. Sur le terrain, la situation ne réjouit pas les professionnels consciencieux, car ils sont les témoins impuissants du mépris d’une filière durable. Ce sont les premiers à mettre la main aux portefeuilles pour garantir aux citoyens du Nord un produit de qualité unique capable d’entrer en concurrence avec son « homologue » chimique.

Axel Dumoulin

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