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Rencontre avec des représentants du syndicat betteravier RT: «Si on va au point de rupture, la négociation n’est plus possible»

La betterave : stop ou encore ? C’est la question qu’on se pose dans de nombreuses fermes avec plus ou moins de conviction depuis plusieurs mois. Prix non rémunérateur, complexité des contrats, exigences démesurées, outil vieillissant… autant d’éléments régulièrement soulevés par la profession et sur lesquels Judith Braconnier, secrétaire de l’Association des Betteraviers wallons (ABW), Joseph Cleiren, président de la Confédération des Betteraviers Belges (CBB) et Vincent Demanet, président de la Fédération des Betteraviers Wallons RT (Fédé RT) et vice-président du Coco Hesbaye s’expriment en trio.

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Pour commencer, pouvez-vous décrire en bref la structure du syndicat betteravier belge ?

Pour comprendre l’organisation du syndicat, il faut penser à la Belgique, ses régions linguistiques et les deux groupes sucriers belges. La Wallonie comme la Flandre, ont chacune un syndicat qui représente leurs planteurs dans chaque groupe sucrier ce qui donne 4 fédérations de bases :

– La Fédération des Betteraviers Wallons RT asbl (Fédé RT) qui représente les agriculteurs wallons livrant leurs betteraves à la Raffinerie Tirlemontoise (RT) ;

– Le Verbond Vlaamse Suikerbietplanters Tiense vzw qui représente les planteurs flamands livrant la RT ;

– Le Comité de Coordination des planteurs de betteraves du Hainaut-Iscal asbl (Coco Hainaut) qui représente les planteurs wallons livrant Iscal Sugar (IS) ;

– Le Coördinatiecomité van Vlaanderen vzw (Coco Vlaanderen) qui représente les planteurs flamands livrant Iscal Sugar.

Les deux groupes linguistiques se regroupent pour discuter avec le fabriquant et forme ainsi le Coco Hesbaye RT (Fédé RT+Verbond) et le Coco Iscal (Coco Hainaut+Coco Vlaanderen). L’ensemble forme la Confédération des betteraviers belges, la voix des planteurs belges. C’est le seul syndicat national unitaire.

On trouve également l’Association des Betteraviers Wallons asbl (ABW) qui est l’association professionnelle représentant les betteraviers wallons. Elle a été créée en 2009 à l’initiative de la Fédération Fédé RT et du Coco Hainaut qu’elle regroupe.

Cette complexité peut poser problème, non ?

Oui ça complique sans doute un peu les choses mais la CBB est quand même le seul syndicat national dédié à une culture précise, les autres syndicats agricoles belges sont souvent généraux.

Nous avons souhaité rester fédéral mais, de fait, la linguistique, l’historique des fermetures d’usines et la situation des usines restantes ont apporté de la complexité. Il se fait qu’une majorité des planteurs d’Iscal sont flamands alors que l’usine est située en Wallonie et pour la RT, c’est plus ou moins l’inverse. Le but est que tous les planteurs soient représentés au sein de chaque groupe, quelle que soit leur origine.

Ce n’est peut-être pas toujours facile pour les planteurs de s’y retrouver mais au final c’est quand même bien les délégués élus dans le groupe de base qui les représentent dans les comités de coordination de chaque groupe, à l’ABW et à la CBB. Bien sûr, il y a une suite logique, avec des membres présents à chaque niveau mais c’est nécessaire pour un bon suivi et une bonne organisation.

À ce sujet, ne pensez-vous pas que la structure manque de sang neuf et jeune ?

Les délégués sont élus pour 6 ans mais nous organisons des élections tous les 3 ans, avec une remise en jeu de la moitié des postes à chaque fois. Les personnes sont élues en connaissance de cause et de manière démocratique. Il y a d’ailleurs encore des places vacantes. Néanmoins, pour occuper ces postes, il faut avoir une certaine expérience, du vécu et de la disponibilité, ce dernier point pose souvent problème chez les jeunes. Il faut que les gens aient la volonté et prennent le temps de s’investir.

Le fait de n’avoir que deux interlocuteurs au niveau industriel et des structures dédiés à chacun d’entre eux, cela ne limite-t-il le débat ?

Il n’y a pas tellement plus d’interlocuteurs dans les autres secteurs.

La betterave a été de nombreuses années la culture la plus rentable dans nos fermes, et depuis la décision de suppression des quotas, elle est revenue au même fonctionnement que les autres cultures, avec des bonnes et mauvaises années, des incertitudes quant à sa vente… C’est un fait que beaucoup de gens ont du mal à accepter. Avant, elle nous ouvrait pas mal de portes, plus maintenant. Comme pour les céréales, il peut arriver de vendre à perte sans que l’industriel n’en prenne pour autant la responsabilité. Depuis 2017, il n’y a plus de filet de sécurité et la betterave est devenue une culture fluctuante.

À cette époque, on est arrivé à un point de rupture dans les négociations avec les industriels. Un accord de conciliation a dû être défini et depuis lors, on essaie vraiment de restaurer un cadre de négociations. Certains ont peut-être l’impression qu’on ne va pas assez loin mais, on ne peut pas toujours aller à la rupture. Si c’est le cas, on n’obtient rien car pour négocier, il faut parler. On n’est pas toujours d’accord avec les groupes sucriers mais, on parle plus souvent de ce qu’on n’obtient pas que de ce dont à quoi on s’oppose.

De plus, la CoBT a amené pas mal de méfiance des fabricants dans les négociations puisque certains membres étaient à la base du projet et l’ABW le finançait. Il y a eu de la confusion quant à la place de chacun et la confidentialité de certaines données fournies par les fabricants au fur et à mesure de l’évolution du projet. On soutenait le projet mais on était dans une position délicate par rapport aux autres groupes sucriers et les plan teurs qui avaient un avis différent. Nous devions défendre aussi bien les éventuels membres de la CoBT que ceux qui prendraient la décision de rester dans les groupes existants. Cela n’a pas facilité les négociations.

Avec le recul, nous aurions sans doute dû procéder différemment mais, au début, le projet n’était qu’un projet de consultance, il n’y avait donc pas de raison que certains membres ne puissent conserver leur mandat.

Quels sont les points de revendications du syndicat ?

Le point principal est la grille de prix d’achat des betteraves en fonction du prix de vente du sucre qui est évidemment beaucoup trop bas. En dessous d’un prix du sucre de 450 euros, la seule garantie de faire un bénéfice est le complément de prix et ça ne suffit pas. Que le prix de la betterave varie en fonction du prix du sucre, on peut le comprendre car ça fonctionne comme cela pour d’autres produits mais à ce niveau ce n’est vraiment pas acceptable. Si le planteur prend des risques, l’industrie doit en prendre aussi.

En fait, tout le problème vient de la vente de 2017. Cette année-là a été extrêmement productive et le surplus de sucre était important. On a tous fait l’erreur d’augmenter notre production et personne, même le fabriquant, n’imaginait ce revirement. Les marchés libéralisés, les vendeurs n’avaient pas l’expérience de travail et négociation sans prix minimum. Le surplus a été mal géré, le sucre mal vendu, cela nous a fait beaucoup de tort. Le prix SZ4 (du groupe Südzucker en France, Pologne, Allemagne et Belgique) aurait dû nous apporter un surplus mais ça a été tout le contraire. Entre-temps, il y a eu restructuration et la stratégie a été revue mais c’est un gros bateau et il faut du temps avant de voir les effets. On est resté sur des bases peu porteuses.

Autre élément défendu : l’augmentation du prix de la pulpe doit revenir chez le planteur.

Il nous paraît également déplacé de parler de prix all in car, même si cela permet une comparaison avec les Allemands, cela noie le poisson. Il faut aussi savoir que les négociations RT se font dans une enveloppe budgétaire fermée et il faut s’arranger avec cela. Les personnes de contacts ont des directives à respecter et doivent rapporter au groupe général et obtenir un accord en aval pour toute décision. C’est sans doute un handicap dans la négociation mais on doit aussi l’accepter.

Le fait que le prix vienne si tard et la complexité des contrats sont des autres problèmes, bien sûr.

Il n’y a plus de quotas pourtant, l’industriel limite toujours notre production et propose un prix différent pour un même produit…

La betterave ne peut pas être stockée, l’usine a donc besoin du betteravier et le betteravier a besoin de l’usine. Si on a 60 jours de campagne, l’outil de transformation n’est pas rentable et il n’y a plus d’usine. D’un autre côté, si on propose trop de betteraves et qu’on se retrouve à 150 jours, ça ne fonctionnera pas non plus. Des limitations sont proposées dans d’autres cultures et ça ne choque pas autant.

Par contre, dans le cas de la betterave, tout le monde a le même contrat et le même prix. Si on arrivait plus à un accord, chaque planteur serait considéré séparément et ceux situés plus loin des usines n’auraient certainement pas le même prix que ceux plus proches. C’est un autre point pour lequel on s’est battu. Des betteraves, il y en aura toujours. Nous diviser ne serait certainement pas à notre avantage.

En 2017, les politiciens européens qui ont décidé de supprimer les quotas auraient dû réagir mais ils ont laissé faire. Finalement, ce ne sont pas les sucriers qui en profitent et font le plus de bénéfices, ce sont les maillons d’après. L’argent à quitter l’agriculture et est chez les industriels qui utilisent le sucre.

Y a-t-il eu des avancées dans les négociations depuis 2017 ?

On a quand même évolué puisque pour 2022, on a un prix minimum de 28,24 euros en prix all in (RT). Il est insuffisant mais il est là, c’est quand même une avancée. Tout cela est souvent assorti de règles complexes et il faut souvent un temps avant que nos remarques soient prises en compte mais ça fait son chemin. Et, évidemment, si on nous proposait quelque chose de plus faible, on réagirait.

Il y a des points à revoir dans les accords et on y travaille chaque année, par exemple le pivot tare terre qui a été fixé à 1 % et pour lequel on est arrivé à 3 %.

On est également passé aux prix reporting européen (moyenne des prix rapportés par tous les fabricants européens) comme référence de prix de vente du sucre contre le prix SZ4. Aujourd’hui, cette référence est supérieure mais personne ne peut savoir si on ne le regrettera pas à l’avenir.

On demande aux agriculteurs d’investir dans l’outil de production mais nombre d’entre eux doutent des investissements faits dans l’outil de transformation, qu’en pensez-vous ?

La plus jeune usine en Europe est celle de Fontenoy et elle date des années 90. Les usines RT ne sont pas jeunes mais des investissements sont faits chaque année. Toutes les sucreries en Europe ont le même âge et la majorité des grosses industries fonctionnent avec ce type d’infrastructures.

Pour certains investissements, il est nécessaire de patienter pour pouvoir utiliser les évolutions à venir et répondre aux normes permettant de tendre vers plus durabilité.

Quelle est votre position quand à la reconversion des parts SopabeT

La troisième et quatrième tranche d’obligations que la SopabeT a à la RT pourraient servir à acheter des actions Südzucker. On atteindrait alors un certain niveau d’actions et ferait partie de SZVG, l’équivalent de la SopabeT au niveau allemand, qui détient 60 % du capital de Südzucker. Nous serions alors représentés par deux administrateurs et aurions un droit de vote. Il ne s’agira peut-être que de deux votes sur une vingtaine mais nous serons là et on nous écoutera. Nous serons présents où ça se décide, on pourra exposer ce qui ne va pas. Cela ne nous garantira peut-être pas qu’il n’y ait pas de fermeture d’usine si le sujet devait être abordé mais on sera au courant au même titre, voire avant, que les responsables RT alors qu’aujourd’hui rien n’est possible.

Nous aurons l’avantage d’avoir acquis les actions par nous-même. Il sera donc toujours possible de se retirer collectivement dans un délai de 3 ans et, là aussi, tout est négociable.

L’agriculture doit aujourd’hui investir dans son outil. Si on ne prend pas les choses en main, il ne sera dirigé que par les industriels qui ne penseront qu’à leur profit.

Certains planteurs se regroupent pour s’exprimer, qu’en pensez-vous ?

Au niveau légal, le syndicat betteravier et ses structures sont les seuls à être mandatés pour négocier les accords interprofessionnels. Nous sommes le seul secteur organisé pour ça et notre rôle a été défini dès après la guerre.

Néanmoins, cela nous pousse à nous remettre en question. La suppression des quotas, l’échec de la CoBT et les dernières années difficiles en betteraves font douter beaucoup de monde et il est sans doute temps de remettre les choses à plat. C’est l’idée des réunions à venir : aborder les points importants, expliquer ce qui a été fait, ce qu’on a obtenu, ce qui est à l’étude, envisager les élections et tous les scénarios pour la SopabeT… Nous sommes ouverts à la discussion si certains pensent avoir de meilleurs arguments.

Propos recueillis par D.Jaunard

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