Traitements printaniers contre les adventices en céréales: à raisonner en fonction de la flore rencontrée

Les espèces présentes déterminent les substances actives à utiliser alors que le niveau  d'infestation et le stade de développement modulent les doses à appliquer.
Les espèces présentes déterminent les substances actives à utiliser alors que le niveau d'infestation et le stade de développement modulent les doses à appliquer. - J.V.

Encore une fois, la sélection du traitement doit être raisonnée pour chaque parcelle en fonction de la flore adventice rencontrée. Les espèces présentes déterminent les substances actives à utiliser alors que le niveau d'infestation et le stade de développement modulent les doses à appliquer.

Il est indispensable que la céréale ait atteint un stade de développement suffisant pour éviter tout effet phytotoxique. Cela suppose qu'elle ait bien supporté l'hiver, sans déchaussement et qu’elle soit en bon état sanitaire. Le froment doit avoir atteint le stade début tallage (BBCH 21): la première talle doit être visible!

Contre les graminées en escourgeon et orge d'hiver

Lorsqu’un rattrapage contre les graminées est nécessaire, le désherbage sera basé sur le pinoxaden de l'Axial (ou Axeo) ou le fenoxaprop (dans le Foxtrot). En effet, ces substances actives sont des antigraminées spécifiques, efficaces notamment contre le vulpin et le jouet de vent.

Contre les graminées en épeautre, froment, seigle et triticale

Les céréales sont des graminées au même titre que le vulpin, le jouet du vent, la folle avoine, le ray-grass, le chiendent, etc. Logiquement, il est malaisé d'épargner les plantes cultivées et de détruire les mauvaises herbes quand les unes et les autres sont botaniquement proches. C'est pourquoi, la lutte contre les graminées reste le problème majeur du désherbage des céréales. Les antigraminées de dernière génération sont d'ailleurs presque systématiquement associés à un phytoprotecteur (ou safener). Ces produits permettent à la céréale de métaboliser l'herbicide qui, sans cela, pourrait s'avérer phytotoxique.

Il existe principalement 6 substances actives efficaces utilisables au printemps contre les graminées: le chlortoluron, la propoxycarbazone, le mesosulfuron, le fenoxaprop, le pinoxaden et le pyroxsulam. Le tableau 1 en décrit les principales caractéristiques. Ces molécules présentent un spectre antigraminées qui leur est propre. Le chlortoluron présente une efficacité intrinsèque vis-à-vis de certaines dicotylées et peut en outre être associé à une substance active antidicotylées en vue d'élargir le spectre, alors que le mesosulfuron est toujours associé à une autre molécule dans les produits commerciaux disponibles.

Si la flore adventice le nécessite, il faut veiller à compléter ces traitements avec un antidicotylées approprié.

Comment choisir entre ces produits?

Il faut tenir compte avant tout du stade de développement des graminées adventices. Si toutes les substances actives sont efficaces sur des vulpins faiblement développés, un manque d'efficacité du chlortoluron et de la propoxycarbazone est à craindre sur des vulpins plus développés.

Le chlortoluron est actif contre les graminées et les dicotylées classiques. Il présente aussi une activité secondaire sur d'autres adventices au stade cotylédonaire. De ce fait, il permet d'éliminer une bonne part des adventices les plus gênantes. Il doit être appliqué sur une culture ayant atteint le stade tallage (BBCH 25) et sur des mauvaises herbes peu développées. Il devra être complété ou corrigé ultérieurement, en fonction des espèces d’adventices rencontrées et de leur développement. Si des graminées trop développées pour le chlortoluron sont présentes, il est possible de l'associer à un antigraminées spécifique (fenoxaprop ou pinoxaden, par exemple) ou à un herbicide principalement antidicotylées mais ayant une action complémentaire sur les graminées (pendimethaline, diflufenican,…). Pour élargir le spectre au dicotylées, les molécules ne manquent pas: hormones, sulfonylurées ou bien PPOIs.

La propoxycarbazone, disponible dans l'Attribut, est efficace uniquement contre les graminées et les crucifères (capselle, sené, moutarde, tabouret des champs, repousses de colza,…). Elle est particulièrement active sur le chiendent et les bromes. Du fait de son mode de pénétration principalement racinaire, elle peut agir tant en pré- qu'en postémergence des graminées. Toutefois, en postémergence (max. BBCH 25), la pénétration dans les adventices sera souvent meilleure et, avec elle, l'efficacité. Il sera éventuellement nécessaire de compléter ou de corriger ce traitement ultérieurement en présence de dicotylées. La propoxycarbazone est également disponible en association avec le mesosulfuron, une substance active essentiellement antigraminées, dans le Sigma Flex.

À l'heure actuelle, le mesosulfuron est l'antigraminée procurant l'efficacité la plus intéressante, même sur des vulpins difficiles. Non disponible seul, il est associé à la propoxycarbazone dans le Sigma Flex, ce qui renforce son efficacité contre graminées. Comme il est peu efficace sur les dicotylées, il est associé à l'iodosulfuron dans le SIGMA MAXX, ce qui élargit le spectre aux dicotylées classiques et renforce l'efficacité sur jouet du vent. L’Othello et le Kalenkoa combinent, selon des ratios différents, le mesosulfuron, l’iodosulfuron et le diflufenican, ce qui permet d’étendre le spectre antidicotylées aux violettes, véroniques, lamiers (VVL). D’autres produits arrivés récemment sur le marché complètent la gamme. Le Sigma Plus (= Sigma Supra), en plus du mesosulfuron et de l’iodosulfuron, renferme de l’amidosulfuron, très efficace contre le gaillet. Grâce à l’intégration de la thiencarbazone dans le Sigma Star et l’Archipel Star, le spectre antidicotylées s’étend, notamment aux VVL. Tous ces produits incluant du mesosulfuron devront être pulvérisés en mélange avec 1 L/ha de produit à base d'huile de colza estérifiée. Le mesosulfuron doit être appliqué sur une culture ayant atteint le stade tallage (BBCH 21) et, en dépit de sa composante racinaire, sur des adventices déjà levées.

Le fenoxaprop et le pinoxaden sont efficaces uniquement sur les graminées. Ils sont toujours associés à un phytoprotecteur qui aide la culture à détoxifier l'herbicide. Tout comme le mesosulfuron, ils sont capables de détruire des vulpins ayant atteint le stade redressement (BBCH 30). En raison de leur mode de pénétration exclusivement foliaire, il ne faut les appliquer qu'en postémergence des adventices. En présence de dicotylées dans la parcelle, ce type de traitement devra obligatoirement être complété ou corrigé ultérieurement. Attention, le mélange de ces produits avec certains antidicotylées peut, par antagonisme, entraîner une baisse d'efficacité sur graminées.

Le pyroxsulam du Capri présente une efficacité contre vulpin et jouet du vent comparable à celle du mesosulfuron. Il contrôle en outre les véroniques, les pensées et d’autres dicotylées mais il est moins flexible. Son mode de pénétration est essentiellement foliaire. Il lui faudra donc attendre la présence des adventices pour être efficace. Toujours à pulvériser avec une huile, il peut être appliqué dès le stade début tallage (BBCH 21). Il sera nécessaire de le compléter par un antidicotylées adapté en présence de camomille ou de gaillet. Dans certains produits comme le Capri Twin, le Broadway et le Capri Duo, le florasulam, est intégré directement, ce qui élargit le spectre aux camomille ou de gaillet, notamment. Le Rexade Trio combine le pyroxsulam, le florasulam et l’halauxifen, ce qui permet de renforcer l’action sur coquelicot, étendre le spectre aux lamiers et fumeterre. Attention, la dose d’emploi de ce produit ne permettra toutefois pas un contrôle suffisant des graminées.

Lutte contre les dicotylées

En général, les produits antidicotylées sont utilisables aussi bien en escourgeon qu'en froment d'hiver. De petites différences quant à leur usage peuvent cependant apparaître. Il conviendra toujours de se référer à l'étiquette des produits et aux pages jaunes de ce Livre Blanc Céréales pour s'assurer de les utiliser correctement et en toute sécurité.

Au printemps, les produits antidicotylées s'utilisent, soit mélangés à un antigraminées pour compléter le spectre de celui-ci, soit seuls s'il n'y a pas de graminées dans la parcelle. De nombreux produits associant deux, voire trois substances actives sont disponibles sur le marché et permettent de faire face à des flores très variées.

Le choix de l'herbicide antidicotylées doit avant tout tenir compte des adventices présentes (tableau 2) et de leur stade de développement. En cas de mélange avec un antigraminées, il importe de s'assurer de l'absence d'effet antagoniste. Des produits sont antagonistes quand le mélange des deux réduit l'efficacité d'au moins un des partenaires par rapport à son utilisation seul. Il peut également être intéressant de combiner (association ou mélange) des substances actives efficaces sur la flore en place, avec d'autres assurant une persistance d'action suffisante pour prévenir de nouvelles germinations.

Attention aux mélanges

Tous les mélanges n'ont pas été testés. L’innocuité d'un mélange est reconnue si celui-ci est mentionné sur l'étiquette d'un des produits le composant. En effet, l'étiquette détaille les mélanges expérimentés et recommandés par le fabriquant. Si des mélanges sont proposés par d'autres voies de communication, ils seront appliqués sous la responsabilité de l'utilisateur. En cas de doute, mieux vaut éviter le mélange, quitte à multiplier les passages.

Pour réussir son désherbage

Réussir son désherbage, c'est aussi…

Semer sur une parcelle propre: cette précaution évite tout repiquage précoce de mauvaises herbes.

Désherber avant de fertiliser: il est en effet inutile de «nourrir» des adventices que l’on souhaite éliminer…

Traiter lorsque les adventices annuelles sont jeunes: elles sont d'autant plus sensibles, ce qui permet souvent des économies par la réduction des doses.

Adapter le traitement en cas de fortes densités de mauvaises herbes: utiliser la dose maximale agréée ou raisonner «en programme» en incluant un passage à l'automne et un autre en sortie d'hiver.

Alterner les produits de modes d'actions différents: dans la culture comme au fil des rotations, pour éviter l'apparition de résistances.

Ne pas réduire exagérément les doses au risque de devoir multiplier les interventions.

Prendre garde aux cultures suivantes: certains herbicides persistent longtemps dans le sol et ne sont pas forcément sélectifs de la culture suivante. Consulter l'étiquette des produits.

Rester prudent lors de mélanges d'herbicides et d'autres types de produits: les mélanges de produits sont courants, mais peuvent réserver des surprises. Les mélanges avec de l'azote liquide sont à proscrire. A cause de risque d'incompatibilité physico-chimique, il est déconseillé d'associer dans une même bouillie des émulsions (EC, EW) avec des formulations solides de type WG, WP ou SG. Enfin, il faut considérer que tout produit ajouté à une bouillie herbicide comporte le risque d'accroître la pénétration de l'herbicide dans les plantes et de provoquer de la phytotoxicité. Consulter l'étiquette des produits pour connaître les mélanges expérimentés et recommandés.

Être attentif aux conditions d'applications : certains types de produits requièrent des conditions d'applications particulières:

– l'efficacité des produits racinaires est influencée par la teneur en eau (mobilité du produit) et en matière organique des sols: un taux d’humus élevé [3-4 %] séquestre le produit;

– des températures élevées (> 14-15 °C) sont nécessaires pour les hormones et les antidicotylées de contact;

– les sulfonylurées et les antigraminées foliaires (FOPs et DEN) demandent un temps «poussant» et un niveau d'hygrométrie suffisant (> 60-70 %). Éviter également les températures extrêmes et les périodes à brusques changements de température (gel nocturne par exemple).

Si de bonnes conditions ne sont pas rencontrées, il est conseillé de différer le traitement.

F. Henriet

, CRA-W, Département Sciences du Vivant , Unité Santé des Plantes & Forêts, Livre Blanc février 2022

Connaître la flore adventice de chaque parcelle

Contrairement aux insectes ou aux agents pathogènes, les mauvaises herbes ne se déplacent pas. Chaque parcelle présente donc une flore adventice propre et il est très utile de connaître sa composition (espèces en présence et niveaux d’infestation) pour déterminer les choix de désherbage de façon pertinente et rentable. Pourquoi, par exemple, faudrait-il utiliser des antigraminées coûteux si la parcelle est exempte de graminées ?

Il est également très utile d’avoir en tête quelques notions de base à propos de la biologie et de la nuisibilité des adventices. En effet, chaque espèce présente des caractéristiques propres telles que la ou les périodes de levée, les conditions de germination, la profondeur optimale pour stimuler la levée, la durée de vie de la semence dans le sol… La nuisibilité des adventices vis-à-vis de la culture est, elle aussi, spécifique de l’espèce. La nuisibilité directe correspond à la perte de rendement due à la compétition pour l’eau et les nutriments. Elle dépend de l’intensité de l’infestation. La nuisibilité indirecte, également appelée nuisibilité pluriannuelle, est plus difficilement quantifiable et peut être la conséquence de problèmes mécaniques occasionnés lors de la récolte, d’un défaut de qualité de la récolte (humidité, impuretés…) ainsi que de la production de semences adventices restant dans la parcelle et susceptibles de poser des problèmes par la suite.

Pour prévenir la résistance, un seul mot d’ordre: diversité!

Avant de parler de résistance, il importe d’éliminer d’autres hypothèses.
Avant de parler de résistance, il importe d’éliminer d’autres hypothèses. - J.V.

Actuellement, en Europe, environ 90 % des cas de résistances sont attribués à 4 modes d’action : les FOPs et les DIMs (1), les sulfonylurées (2), les triazines (5) et les urées (5). Cela concerne majoritairement les graminées adventices. En Belgique, le vulpin est la mauvaise herbe susceptible de poser le plus de problèmes aux céréaliers. Dans les paragraphes qui suivent, il ne sera question que des graminées résistantes et plus particulièrement du vulpin.

En quoi consiste la résistance ?

La résistance est définie comme la capacité naturelle et héritable qu’ont certains individus issus d’une population déterminée de survivre à un traitement herbicide létal pour les autres individus de la population. La résistance est une caractéristique génétique que certains individus possèdent naturellement. Les traitements herbicides ne « créent » donc pas la résistance, mais ils la révèlent en sélectionnant, parmi une population donnée, les individus qui leur survivent, ces derniers trouvant alors un avantage certain pour assurer leur multiplication. Il existe quelque part dans le monde au moins une plante résistante à chaque herbicide, ancien ou à venir ! De la même façon, certaines variétés de froment sont tolérantes au chlortoluron alors que d’autres ne le sont pas.

Les mécanismes de résistance correspondent à la méthode par laquelle une plante résistante inhibe l’effet de l’herbicide. Il en existe trois principaux :

–  la résistance par mutation de cible  : l’herbicide ne reconnaît plus sa cible car celle-ci a changé de structure. Cela se traduit généralement par une résistance totale et la possibilité élevée de résistance croisée envers d’autres herbicides du même mode d’action. Pour le vulpin, ce type de mécanisme affecte les FOPs, les DIMs et le DEN (mode d’action 1) et les sulfonylurées (mode d’action 2) ;

–  la résistance métabolique  : une plante résistante dégrade l’herbicide plus vite qu’une plante sensible. Cela se traduit par une résistance partielle (à des degrés divers), en fonction de la dégradation plus ou moins rapide de l’herbicide par la plante. Ce type de mécanisme peut concerner plusieurs modes d’action car c’est la structure de la molécule herbicide qui est en cause. Pour le vulpin, cela concerne les urées substituées (mode d’action 5), les FOPs, les DIMs et le DEN (mode d’action 1) et les sulfonylurées (mode d’action 2) ;

–  la résistance par séquestration  : l’herbicide est transféré d’une partie sensible de la plante vers une partie plus tolérante. C’est le mécanisme le moins répandu.

La résistance croisée est définie comme la résistance à un herbicide, induite par la pression sélective exercée par un autre produit (généralement de même mode d’action). Lorsque plusieurs mécanismes de résistance sont rencontrés dans la même plante, il s’agit alors de résistance multiple.

Contrairement aux champignons pathogènes, les mauvaises herbes ont un cycle de vie très long et se déplacent plus lentement. Cela explique que la résistance évolue plus lentement et qu’elle reste géographiquement plus confinée.

Un désherbage raté ne signifie pas forcément qu’il y ait résistance…

Vers la fin du mois de juin, des épis de graminées (vulpin, jouet du vent, chiendent) dépassant les froments peuvent apparaître dans les champs. Avant de parler de résistance, il importe d’éliminer d’autres hypothèses. Certains mélanges peuvent être antagonistes (modes d’action des herbicides, incompatibilité physico-chimique des formulations, absence de mouillant…). De même, les conditions climatiques influencent l’activité de certains produits. Après avoir écarté ces éventualités, la question de la résistance peut enfin être posée. Dans tous les cas, seul un test en conditions contrôlées déterminera de façon formelle le caractère résistant ou non d’une population de graminées.

Prévenir l’apparition de résistances

Le mot d’ordre pour prévenir l’apparition de la résistance est diversité. Il est en effet important de faire varier tout ce qui peut l’être afin d’éviter de sélectionner des adventices capables de résister dans un système de culture trop répétitif.

Quelques conseils :

– dans la mesure du possible, proscrire la monoculture et promouvoir l’introduction d’une culture de printemps dans la rotation permettant de « casser » le cycle de multiplication des adventices des céréales d’hiver ;

– ne pas négliger certaines pratiques culturales : décalage de la date de semis, labour, intervention à l’interculture, faux semis ou déchaumages ;

– alterner les modes d’action herbicides dans la culture et dans la rotation. En céréales, il existe 11 modes d’action pour lutter contre les dicotylées et 4 pour lutter contre les graminées (A, B, C2 et K3 [flufenacet]) ;

– limiter l’application d’un mode d’action donné à un passage par an, même si ce mode d’action vise à la fois les dicotylées et les graminées ;

– ne pas mélanger deux produits de modes d’action différents et préférer les appliquer en séquence (applications séparées dans le temps) ;

– éviter les doses trop faibles.

Gérer la résistance

Si malgré toutes les précautions prises, des adventices résistantes (le vulpin essentiellement) apparaissent, il importe de suivre les mesures qui suivent :

– adopter sans plus tarder les conseils décrits ci-dessus ;

– privilégier les programmes de traitement. La pulvérisation d’un produit racinaire à l’automne permet de présensibiliser le vulpin avant l’application d’un produit foliaire efficace au printemps ;

– appliquer la dose maximale agréée, dans tous les cas ;

– ne pas pulvériser des produits de modes d’action différents en même temps mais séparer leur application.

F. Henriet

, CRA-W, Département Sciences du Vivant, Unité Santé des Plantes & Forêts, Livre Blanc février 2022

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