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Quand le nitrate fait BOUM

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La terrible explosion du stockage de nitrates dans le port de Beyrouth a fait remonter dans ma mémoire celle de l’usine AZF à Toulouse en 2001. Il se trouve que 15 jours après l’explosion, nous étions en visite de champs d’essais de maïs avec quelques dizaines d’agriculteurs belges. Notre car était passé devant cette usine et nous avions pu constater l’énormité du cratère d’où était partie l’explosion. A plusieurs kilomètres à la ronde, les vitres des HLM étaient éclatées. C’était un désastre alors que le stockage de nitrates n’était que de 300 tonnes, tandis qu’il était 10 fois plus élevé dans la capitale du Liban.

On n’a jamais trouvé d’explication rationnelle à cet accident dont le procès s’est terminé par un non-lieu. Je me souviens avoir lu beaucoup d’analyses sur le sujet. Une chose est sûre : il faut une température de 300 °C pour mettre le feu à ce type d’engrais. C’est arrivé plusieurs fois dans l’histoire : dynamite dans un silo aux Etats-Unis, bateaux en feu sur l’océan, etc.

A Toulouse, l’accident s’est passé peu de temps après l’attentat des tours jumelles du World Trade Center à New-York. Coïncidence que des journalistes d’investigation n’ont pas manqué d’explorer. On peut comprendre la prudence des autorités françaises quand on va dans cette direction.

En Belgique, le nitrate 27% a perdu toute dangerosité puisque qu’il est additionné de matières de charge à hauteur de 20%, en général de l’engrais calcaro-magnésien, la dolomie, qui a l‘avantage de neutraliser l’acidité de l’ammoniac et d’apporter quelques unités de magnésium assimilables.

Tout cela me rappelle aussi une visite faite au musée juif à Berlin. On y voit une photo d’Haber et de Einstein, deux juifs allemands ayant fortement contribué au développement des sciences. Haber a trouvé comment fixer l’azote gazeux de l’air sous forme solide. C’est en quelque sorte l’inventeur du nitrate, sans doute une des plus importantes innovations concernant l’agriculture.

Le problème, c’est qu’il fut aussi l’inventeur du gaz moutarde, utilisé dans les tranchées en 14-18. On l’appelle aussi « ypérite » parce qu’il fut utilisé près de Ypres pour la première fois en 1917. C’est en voulant inventer de nouvelles armes de destruction que Haber a trouvé comment fabriquer cet engrais alors que l’azote est souvent le premier facteur limitant à la croissance des plantes.

L’affaire fit débat quand il s’est agi de remettre le prix Nobel de Chimie après la guerre, ce qui n’empêcha pas Haber de faire fortune en gagnant 1 pfennig par kilo d’azote produit.

L’azote minéral fait toujours débat aujourd’hui entre le bio et le conventionnel. Le label bio, réagissant à la surconsommation des années de forte intensification (1970-1990) ne l’autorise pas. L’agriculture raisonnée l’intègre en évitant les excès. De fait, on utilise trois fois moins d’azote pour faire un kilo de sucre aujourd’hui qu’il y a 40 ans.

On sait aussi que l’azote permet de produire deux fois plus de céréales à l’ha, ce qui libère des terres pour d’autres cultures, voire des forêts permettant le stockage du carbone à long terme. Si le problème n°1 est le réchauffement climatique, le bilan de l’azote minéral est simple : pour une tonne d’énergie fossile investie, on fait 5 tonnes d’énergie renouvelable. Bref, le débat se poursuit.

Revenons à notre explosion de Beyrouth. Apparemment, on ne connaîtra pas facilement ce qui a causé ce drame : négligence ou malveillance ? Dans un pays où les tensions sont trop souvent explosives, il ne manquait plus que cela. Ce qui est sûr, ce sont les dégâts collatéraux pour la population. Ce qui est aussi regrettable, c’est l’exploitation qu’en font les amateurs d’idées simplistes, soit par rapport au produit « nitrate » en tant que tel, soit en alimentant la suspicion de l’attentat.

JMP

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