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La moitié des prairies ont manqué de potasse

Depuis quelques années, l’évolution de la fertilité minérale des terres agricoles inquiète les agronomes des laboratoires d’analyses provinciaux. La 3e synthèse de la base de données « sols » de Requasud, publiée en 2012, mettait déjà en évidence une diminution très importante de la teneur en potassium des sols de prairies en Haute Ardenne et en Région Herbagère, et une augmentation quasi généralisée des teneurs en magnésium. Le rapport K/Mg moyen est inférieur à 1 dans la majorité des régions alors que l’optimum se situe entre 1 et 2.

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Le magnésium est un élément important en prairie. Une carence en Mg peut entraîner la tétanie d’herbage. Toutefois, l’excès de Mg risque d’induire ou d’amplifier une carence en K du fait de l’antagonisme entre ces deux cations. Les graminées et légumineuses fourragères sont de grosses consommatrices de K. Cet élément joue aussi un rôle important dans les phénomènes osmotiques et le transfert d’eau. Une plante carencée en potassium sera beaucoup plus affectée en situation de sécheresse et aussi plus sensible aux maladies. Le potassium joue également un rôle pour le maintien des légumineuses dans un mélange fourrager (photo).

Depuis 3 ans, le laboratoire de Michamps suit la situation nutritive des prairies wallonnes à l’aide des « indices de nutrition », en collaboration avec les centres d’action Protect’eau. L’indice de nutrition potassique (iK) est un indicateur de satisfaction du besoin alimentaire en K établi sur base de l’analyse de l’herbe. Son intérêt est complémentaire à celui d’une analyse de terre car il intègre d’autres facteurs du milieu, comme le niveau de fertilisation azotée qui influence les besoins des autres éléments nutritifs, ou les conditions climatiques plus ou moins favorables à la croissance. Une prairie extensive recevant peu d’azote pourra se satisfaire d’un sol plus pauvre en potasse qu’une prairie intensive. L’indice de nutrition permet ainsi de déterminer dans quelle mesure les besoins en potassium sont satisfaits ou non. Les bases scientifiques de cette approche sont expliquées dans la brochure collective « L’analyse d’herbe : un outil pour le pilotage de la fertilisation phosphatée et potassique des prairies naturelles et temporaires ».

Une carence en K dans 50 % des cas

Les indices de nutrition potassique mesurés ce printemps sur 150 parcelles échantillonnées par Protect’eau et analysées à Michamps indiquent une situation de carence (iK <80) dans 50 % des cas. Une évaluation précédente réalisée sur les échantillons de fourrages de la base de données Requasud montrait en moyenne 30 % de situations de carences pour la période 2007-2016. Le nombre de situations carencées varie d’année en année (entre 22 et 40 % sur la période 2007-2016) mais la tendance globale présente une augmentation croissante de la fréquence au fil des années. Le nombre élevé de carences ce printemps est vraisemblablement lié à une pousse rapide de l’herbe entraînant des besoins élevés en potassium. Cette observation met en évidence une des limites de cet indicateur : un niveau de nutrition peut être considéré comme satisfaisant une année et insuffisant l’année suivante car les conditions climatiques sont plus poussantes, par exemple, et donc les besoins sont supérieurs.

Il convient donc d’être particulièrement attentif au maintien d’une teneur suffisante en potassium dans le sol, et aussi éviter un enrichissement excessif en magnésium. La relation entre indice de nutrition et teneur en K du sol indique que, lorsque la teneur en K échangeable est supérieure à 20-25 mg/100g, on n’observe pratiquement jamais de carences lors de la première coupe. Par contre, en dessous de 20, des carences peuvent apparaître, surtout si le rapport K/Mg est très bas (<0.8) et si la prairie est exploitée de façon intensive. Une analyse des teneurs en K du sol sur la période 2009-2018, extraites de la base de données Requasud, indique que toutes les régions agricoles ont une teneur moyenne inférieure à 20 (figure 1). Les carences en K sont assez fréquentes ces dernières années suite à une réduction de l’utilisation des engrais potassiques et à l’utilisation quasi exclusive de chaux magnésienne comme amendement calcaire, ce qui déséquilibre le rapport K/Mg. Les carences risquent d’être encore plus marquées pour les coupes suivantes, car le potassium apporté par les engrais de ferme épandus en fin d’hiver est très disponible et absorbé en grande partie par la première coupe d’herbe. En fertilisation, la loi du facteur limitant, ou loi de Liebig, indique que c’est le facteur le plus limitant qui va déterminer le rendement qu’il est possible d’atteindre. Cette loi prédit que le niveau du rendement obtenu est déterminé par l´élément assimilable présent en plus faible quantité par rapport aux besoins de la plante. Cette loi est couramment illustrée par un tonneau où chaque planche correspond à un élément indispensable : N, P, Mg, K… (figure 2)

Dans le cas d’une prairie carencée en potassium, les autres éléments fertilisants ne seront pas bien valorisés car le rendement sera limité par la disponibilité du potassium.

Une alimentation minérale suffisante et équilibrée

Les carences en phosphore, bien que plus fréquentes cette année (14 % des échantillons carencés), sont plus rares. En moyenne, moins de 5 % des prairies analysées montrent des indices de nutrition en phosphore inférieurs à 80. Le soufre, par contre, est également un élément qui peut être très limitant certaines années. En 2019 et 2020, plus de la moitié des échantillons analysés présentaient des carences en soufre alors que, en 2018, environ 30 % étaient carencés. Une part des apports de soufre provient des retombées atmosphériques. Or, celles-ci peuvent varier fortement d’une année à l’autre. De plus, contrairement au P et au K, le soufre est facilement lessivable pendant la période hivernale. La disponibilité de cet élément ne peut pas être mesurée actuellement par l’analyse de terre classique. Un article sera consacré à cet élément dans les prochains mois.

Pour des prairies productives, il est donc impératif de veiller à assurer une alimentation minérale suffisante et équilibrée. Le potassium et le soufre sont des éléments souvent déficitaires, alors que le magnésium est très souvent excédentaire. Une analyse de sol réalisée dans un laboratoire du réseau Requasud permet de vérifier la disponibilité des éléments nutritifs et de corriger les carences et déséquilibres éventuels. Pour le soufre, les carences sont fréquentes et il est par conséquent conseillé d’apporter 25 à 50 unités de soufre sous forme sulfate avec la fertilisation azotée au printemps, surtout si le sol est filtrant ou peu profond et l’hiver pluvieux et que les restitutions organiques sont faibles.

D’après Richard Lambert,

Thibaut Cugnon, Sébastien Cremer, David Knoden

Centre agri-environnemental

de Michamps,

Earth & Life Institute – UCLouvain,

Fourrage-Mieux.

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