Accueil Archive

Mais c’est quoi l’agriculture intensive ?

Cette semaine encore, dans le cadre des débats sur la PAC, j’écoutais des intervenants débattre de « l’agriculture intensive ». Il ne se passe pas une semaine sans que cette expression fasse siffler mes oreilles. Je suis toujours étonné d’entendre ou lire à quel point ce terme, voire ce « concept », est utilisé, à bon ou mauvais escient, mais bien souvent, en induisant plus de confusion et de caricature que de clarification pour le public. Pourquoi « l’agriculture intensive » attise-t-elle tant le feu des critiques dans le contexte actuel ?

Essayons d’y voir un peu plus clair…

Temps de lecture : 6 min

J’ai une double déformation : je suis agronome et économiste. L’une m’amène à penser rendement agronomique et relation à la terre, l’autre rendement économique et optimum financier. Dans les deux cas, la productivité est fonction de l’intensité des facteurs de production utilisés. Le terme intensif « tout court » me laisse donc toujours sur ma faim : intensif en quoi ? Est-ce positif ou négatif, mal ou bien ?

Alors, après avoir pianoté « agriculture intensive » sur le web et avoir constaté que les textes les plus référencés réduisent le plus souvent ce concept à l’utilisation d’intrants « chimiques » en agriculture « conventionnelle », j’ai décidé de revenir aux fondamentaux pour élargir le débat.

Mon dictionnaire Petit Larousse définit le mot intensif comme ceci : « Qui est porté à un très haut degré, à un fort rendement par des efforts intenses ou des moyens considérables ». Je lis ensuite avec intérêt à la ligne suivante que intensif « Se dit d’une culture, d’un système de production agricole pour lesquels sont appliquées de fortes quantités de travail et de capital par unité de surface, et dont on obtient, en conséquence, de fortes quantités de produits par unité de surface. » Voilà donc déjà deux éléments intéressants (1) l’intensivité est liée aux moyens mis en œuvre, on est donc intensif EN quelque chose… et (2) en agriculture, ce serait principalement lié aux deux facteurs de production de la théorie économique classique : le travail et le capital, et ce en relation avec la terre.

Mais comme cela ne me rassasie pas, j’ouvre donc cette fois le Larousse… Agricole. Et qu’y lis-je ? « Intensive : se dit d’une agriculture dont le volume de production par hectare est élevé, soit parce qu’elle fait usage efficace de ses ressources (travail, capital, etc.) soit parce qu’elle a des ressources importantes ; se dit d’une agriculture qui emploie beaucoup de ressources par hectare sans qu’il soit fait état du volume de production ».

À ce stade, on comprend donc le lien entre l’intensité d’utilisation des facteurs de production et le niveau de production, mais il n’est par contre pas encore question de « bonne agriculture extensive » ou de « mauvaise agriculture intensive » telle que l’utilisation commune du concept le laisse entendre. Je ne suis donc pas encore satisfait.

J’ouvre alors le « Mémento de l’agronome » qui traîne dans ma bibliothèque. Et là, pas de définition, mais deux références, dont une dans le chapitre dédié aux intrants chimiques : « L’intensification agricole ou usage croissant d’engrais chimiques et de produits phytosanitaire a été principalement le fait des petites et moyennes exploitations familiales marchandes… ». Nous y voilà donc. En référence à la révolution verte dans le contexte productiviste d’après deuxième guerre mondiale que les gens de ma génération n’ont même pas connu.

Bon, vous me direz que jusque-là je radote, et que je ne vous ai rien apporté. Alors je vous propose de rentrer un peu plus dans le sujet, maintenant que l’on sait de quoi on parle.

Quels sont les principaux facteurs de production en agriculture, et donc pour lesquels on peut décliner une échelle d’intensité d’utilisation, qui permettent de caractériser les modèles d’agriculture en question ? Les classiques économiques, d’abord : le travail, le capital. OK, mais sans rentrer dans le détail, le capital peut être financier, foncier, matériel… Alors pour être simple et pragmatique, considérons donc comme facteurs de production les ressources naturelles (terre, eau, lumière…), le travail, le financement et les intrants. Et au risque de caricaturer moi-même (ce que je déteste) et sans faire de généralité, on peut aisément observer que :

La plupart des modèles agricoles pratiqués en Europe sont intensifs EN financement (Quel producteur qui débute n’a pas besoin d’un investissement important, du petit maraîcher qui cherche un accès à la terre au polyculteur qui reprend l’exploitation familiale ?).

Souvent, plus le modèle agricole pratiqué est intensif EN terre pour être viable au sein d’une exploitation ou d’une filière, plus il est extensif EN travail par hectare (grandes cultures vs maraîchage ou viticulture par exemple).

L’agriculture dite conventionnelle peut être intensive EN intrants (naturels et de synthèse) par hectare.

L’agriculture biologique peut être intensive EN intrants par hectare MAIS PAS de synthèse, et est souvent plus intensive EN travail que la conventionnelle…

La grande agriculture américaine est très intensive EN terre par exploitation, mais peu en travail, et est souvent moins productive à l’hectare que l’agriculture européenne…

Et cetera.

La définition la plus communément trouvée sur le web définit comme synonyme « agriculture intensive » et « agriculture productiviste », avec une connotation négative. Cela montre une certaine confusion/simplification entre l’intensivité de l’utilisation des facteurs de production (intensif EN…) et la productivité (liée au rendement obtenu).

En économie, la plupart des ressources (naturelles, financières…) sont considérées comme limitées et donc rares. En Belgique, une des ressources agricoles les plus rares – et donc des plus convoitées – est probablement la terre. Contrairement au travail et aux finances, on peut difficilement la multiplier !

Sur cette base, on devrait conclure que plus on est productif, mieux c’est ! Quel entrepreneur, aussi doté soit-il des bonnes intentions d’impact sociétal de son activité, ne chercherait pas à optimiser sa structure de coût pour améliorer sa rentabilité et pérenniser son activité ?

Le lien avec l’intensité de l’utilisation des facteurs de production est souvent direct, jusqu’à un certain point (optimum de productivité marginale). Faire plus avec moins. À l’échelle d’une exploitation agricole par exemple, on devient plus extensif EN terre quand on augmente le rendement par hectare (à recette égale) ! Mais cela implique d’être plus intensif EN d’autres ressources, telles que le travail, la génétique, les amendements, les techniques de protection des plantes…

Bien entendu, l’intensification agronomique (intrants…) de l’usage de la terre à des fins économiques n’est durable que si elle n’altère pas cette ressource. D’où cette relation induite de l’expression raccourcie « d’agriculture intensive » à la notion d’utilisation parfois importante d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires, et l’importance qu’elle prend dans le contexte de transition écologique actuel.

Par ailleurs, on observe souvent une association entre les concepts d’intensivité et d’(in)dépendance d’accès aux facteurs production. Par exemple, les agricultures conventionnelles et biologiques sont toutes deux intensives EN azote : l’une recourt en partie aux engrais de synthèse fournis par l’industrie (avec laquelle elle crée, il est vrai, une dépendance), l’autre privilégie les engrais organiques, si possibles produits sur la ferme. Mais dans un cas comme dans l’autre, les engrais importés peuvent, par leur origine et leur quantité, faire débat.

Nous pourrions ici rentrer dans une multitude d’exemples chiffrés visant à démontrer que tel ou tel modèle agricole est plus intensif EN ceci ou EN cela qu’un autre, mais cela ne nous apporterait pas grand-chose, si ce n’est rentrer dans l’opposition inutile des modèles et amener davantage de caricature que de vision globale et nuancée.

Alors restons-en là, sans quoi ce billet deviendra trop intensif EN… cogitations !

Et soyons intensifs EN recherche des meilleurs équilibres d’utilisation de toutes nos ressources, qu’il s’agisse de notre langage, de notre terre, de nos finances, de notre travail ou de nos intrants… afin qu’ils permettent de pérenniser notre activité.

Benoît Haag

Développeur passionné

d’entreprises agricoles

Partenaire de Winch Project

La Une

Les graines du bonheur

En famille La belle affaire ! Elle avait rêvé d’une tout autre carrière professionnelle, lorsqu’elle avait entamé ses études d’agroécologie à l’université ! Quelle tristesse !
Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs