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Les liaisons tumultueuses

On le sait, l’agriculture européenne a besoin du commerce international. Les pays émergents représentent l’essentiel de la croissance de la demande alimentaire mondiale et la part exportée de la production agricole et alimentaire européenne est en constante progression. Au cœur de ces enjeux, les agriculteurs sont pourtant souvent malmenés…

Temps de lecture : 6 min

Cédric Benoist, agriculteur dans le Loiret et secrétaire général-adjoint de l’AGPB (Association générale des producteurs de blé) s’en était expliqué dans le cadre du dernier Global Food Forum organisé par Farm Europe.

Les exportations agricoles ont généré un excédent net de 62 milliards € en 2020 et les agriculteurs européens ont besoin d’exporter pour accéder à des marchés en pleine croissance. « Il s’agit aussi d’une stratégie de répartition des risques entre les marchés et d’une valorisation des produits sur lesquels ils sont les plus compétitifs tels que les céréales ou le lait, permettant ainsi au secteur agricole européen d’aller chercher de la valeur à l’extérieur pour financer des investissements » indique l’agriculteur français.

Les politiques agricole et commerciale européennes ont toujours évolué vers plus d’ouverture au fil du temps. Si en 1947, le Gatt s’appliquait bien à l’agriculture, c’était de manière tout à fait lacunaire, de sorte que les États signataires avaient exclu en pratique ce secteur du champ d’application des principes énoncés par l’accord général. Le Cycle de l’Uruguay, entamé à Punta del Este en 1986, a intégré l’agriculture aux négociations commerciales multilatérales. Après huit années de difficiles débats, avec la signature de l’accord de Marrakech, un nouveau cadre multilatéral en faveur d’une libéralisation progressive de l’agriculture était mis en place au sein de l’OMC.

Et depuis désormais une vingtaine d’années, l’agriculture s’invite dans une multitude d’accords de libre-échange au point de devenir une variable d’ajustement.

Normes et distorsion de concurrence

Pour répondre à de nombreuses attentes, demandes et critiques, la commission a fait un diagnostic de sa politique commerciale débutée par une consultation publique en 2020 suivi d’un rapport publié en janvier 2021 sur les impacts cumulés des accords de libre-échange en cours de négociations. Il ressort de ce document un effet positif pour certains produits transformés, bruts (porc, lait) mais un effet délétère sur d’autres, comme les huiles, tourteaux, le sucre, les fruits et légumes, les céréales, le bœuf et la volaille.

Reste que la commission admet sans le dire ouvertement que le reste du monde ne suivra pas les objectifs du Pacte Vert et de ses deux stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » tandis que ses remèdes pour éviter les distorsions de concurrence se limitent à de futures négociations d’accords de libre-échange bilatéraux plus exigeants en matière de durabilité et à des « incantations » sur le carbone et la compétitivité.

Pour les agriculteurs européens, le constat est double : le marché européen des produits agricoles et alimentaires est très dépendant du commerce international mais une menace pèse réellement sur l’autonomie et la sécurité alimentaire de l’UE liée au risque de la baisse des exportations et de la hausse des importations européennes. Les normes de productions européennes sont plus exigeantes que dans le reste du monde. L’OMC autorise l’Europe à imposer ses normes sanitaires aux produits importés, des exigences qui n’entravent pas les exportations européennes, de nombreux pays ayant même des normes à l’importation plus élevées. De même, les normes de qualité peuvent être plus pointues en Europe qu’ailleurs sans être pour autant « distorsives » dès lors qu’elles sont transparentes.

Malgré tout, l’UE impose des normes de productions extrêmement strictes à ses agriculteurs, des exigences qui ne sont pas basées sur la science mais obéissent à des « préférences citoyennes ». C’est le cas dans le domaine du bien-être animal, la limitation ou la surtaxation des engrais, l’interdiction de certaines méthodes d’amélioration génétique pourtant reconnues comme inoffensive par les scientifiques, on parle des OGM et des NBT.

Avec la nouvelle PAC et le Pacte Vert, ces normes de production sont amenées à se durcir très rapidement sans être adoptées par les autres pays. « Le nouvel axe majeur de la politique commerciale européenne dans les domaines agricole et alimentaire doit être de corriger ces distorsions pour sauvegarder la compétitivité européenne » précise Cédric Benoist qui indique quelques pistes. La montée en gamme en est une qui a toutefois ses limites car elle concerne des produits très transformés comme les boissons, les fromages et la charcuterie. Elle implique une augmentation des prix pour les consommateurs qui pose un problème d’adhésion et d’accessibilité pour les personnes les moins aisées. Pour les produits peu transformés où l’UE est surtout importatrice (soja, oléagineux, huile, fruits, viande bovine, ovine, riz, éthanol) il s’agit d’empêcher ou de freiner les importations « distorsives ». Les clauses miroirs peuvent constituer un instrument efficace même si leur mise en œuvre sera lente et partielle, coûteuse en concessions puisqu’elles impliquent l’accord du partenaire dans le cadre d’un accord commercial bilatéral. Ces clauses aboutissent à renchérir les importations et donc maintenir, voire augmenter les prix alimentaires à l’intérieur de l’espace européen par effet ricochet. Pour les produits peu ou pas transformés où l’UE est surtout exportatrice (produits céréaliers, laitiers), il s’agit de défendre la compétitivité au niveau du prix des produits agricoles pour sauvegarder la capacité d’exportation rendant la protection des marchés inefficaces. Pour limiter les distorsions de concurrence qui pèsent sur les coûts de production agricole « la réponse est de nous laisser accéder aux mêmes intrants, aux mêmes prix que nos concurrents pour les aligner au niveau des prix mondiaux » précise l’agriculteur français.

Taxes antidumping sur les solutions azotées

Depuis quatre ans, Cédric Benist porte le fer auprès de la commission pour qu’elle abroge les taxes antidumping sur l’azote et, notamment, sur les solutions azotées. En effet, certains pays notamment du Nord et de l’Est de l’Europe veulent protéger leurs industries qui sont peu compétitives. Ces pays ont convaincu l’UE d’imposer des surtaxes à l’importation, ou plutôt ce qu’on appelle dans le jargon fiscal, des droits additionnels car ils s’ajoutent aux droits de douane ordinaires de 6,5 %. Ces taxes frappent les importations de solutions azotées originaires de Trinité-et-Tobago, des États-Unis et aussi de Russie, avec des surtaxes variant de 22 € à presque 43 €/t. Ces droits additionnels ont des effets pervers sur les exploitations agricoles européennes. Ils engendrent un surcoût pour les agriculteurs européens qui produisent ainsi plus cher leurs céréales, oléagineux, betteraves et autres cultures. Ces dernières qui n’ont plus de protection douanière sont, par conséquent, moins compétitives sur un marché ouvert, mondial où la concurrence est frontale. Le prix de l’azote dans les charges variables est très important sur les cultures. « Nous demandons simplement à ce que les prix des solutions azotées soient alignés, en Europe, sur le prix hors Europe, afin que nous puissions être dans un schéma de concurrence loyale » indique Cédric Benoist..

Marie-France Vienne

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