que le vent l’avait emportée bien haut dans le ciel. Installée
au milieu d’un nuage, elle se mit à voyager et partit très
loin de chez elle, survolant les campagnes, les villes,
les forêts, les fleuves et les rivières…

La petite graine se dit : « Maintenant, je peux le faire : devenir grande et belle ! ». Elle commença à sortir timidement ses racines dans l’humus, s’en délecta puis risqua une petite feuille, puis deux, puis trois, et ensuite une tige, deux tiges… Bientôt, elle se mit à grandir à une vitesse incroyable. Elle était heureuse, car elle se sentait enfin utile et importante, et réalisait son rêve. Elle aimait sentir les rayons du soleil sur ses feuilles, boire l’eau de pluie qui tombait du ciel. Autour d’elle poussaient d’autres plantules. Certaines arboraient de jolis pétioles arrondis ; d’autres rampaient sur le sol et semblaient hésiter à relever la tête ; une gigantesque plante étalait ses feuilles autour d’elle, comme une reine sa robe à crinoline, et s’emparait gourmande du soleil et de toute l’eau à ses pieds.
La petite graine, devenue plantule, s’était fait beaucoup d’amies parmi ses voisines. Car voyez-vous, les végétaux communiquent entre eux ! Les plantes ont elles aussi leurs réseaux sociaux ! Elles se parlent dans un langage très différent du nôtre, en émettant des molécules chimiques, en échangeant des odeurs, des phéromones. Sous terre, leurs racines s’entrelacent et se racontent les derniers potins. Elles se disputent parfois « Et oh ! Pousse ta radicelle hors de chez moi ! Tu me voles mon eau ! » « Va te raser, tes barbillons me piquent au pied ! ». Elles s’échangent des nouvelles, se connectent sur le « Wood-Wide-Web », et suivent des cours « online » : comment pousser bien droit, tendre le cou vers le soleil, s’arc-bouter contre le vent de tempête, etc. La petite graine était parfaitement heureuse ; elle avait trouvé sa place au milieu d’un petit biotope qui se prélassait au soleil. De temps à autre, une fourmi venait la saluer. Elle lui titillait les feuilles du bout de ses antennes et humait son langage olfactif. Les insectes sont très doués pour parler avec les plantes, comprendre leurs parfums ; ils pratiquent entre eux un peu la même langue, en émettant des odeurs, des phéromones. La fourmi était intriguée par la petite graine : « Toi, tu n’es pas d’ici ! Quel bon vent t’a amenée chez nous ? De quel jardin viens-tu ? ». La petite graine n’était pas peu fière de l’intérêt qu’elle suscitait parmi les insectes, qui venaient à tour de rôle la visiter.
Mais un jour, la petite graine entendit des bruits étranges. Elle se mit à trembler de peur, car elle ne savait pas ce qui se passait. Un être bizarre, gigantesque, approchait lourdement de son petit paradis, coiffé d’un chapeau de paille et chaussé de grosses bottes. Il sifflotait gaiement en poussant une brouette chargée d’outils : binette, bêche, râteau, serfouette… Le jardinier était un vieil homme pas du tout pressé. Il déchargea ses outils et commença son travail au bout du potager, loin de la petite graine. D’un seul coup de binette, il trancha le col de la plante-reine à crinoline, le bouillon-blanc qui mangeait un demi-mètre carré à lui tout seul. En quelques minutes, il dégagea ainsi un carré, puis se mit à bêcher, toujours en chantonnant. Il s’arrêtait souvent, pour s’essuyer le visage avec un grand foulard rouge à pois. « Ah !
Le lendemain matin, le vieux jardinier, éberlué, dut se frotter les yeux pour se convaincre qu’il ne rêvait pas. Il était venu pour nettoyer le dernier carré, afin d’y planter des haricots, mais voilà qu’il découvrait un cirque enchanté ! Autour de cette grande plante inconnue, couverte de fleurs délicieuses, les autres plantules s’étaient mises elles aussi à s’épanouir, à fleurir de toutes leurs forces : pâquerettes, myosotis, pensées, capselles… Le jardinier s’assit sur sa brouette, et se prit au jeu d’observer le monde merveilleux qu’il avait sous les yeux. Il n’allait tout de même pas détruire tout ça ? « De toute façon, se dit-il, je n’aime pas les haricots. Et puis, je suis trop fatigué. Je vais laisser le reste du potager redevenir sauvage ! Ainsi, mes abeilles me donneront du bon miel ; les hérissons pourront s’y cacher pour manger les limaces ; les hirondelles y trouveront des mouches et reviendront faire leur nid dans la grange abandonnée. »
Ainsi finit, ou plutôt débuta, cette belle histoire. La petite graine venue de loin, réfugiée dans ce jardin inconnu, était devenue une grande plante, aimée de tous les êtres vivants autour d’elle. Elle avait réussi à changer le monde à sa façon, en créant un joli petit paradis pour tous ceux qui venaient à elle. Il suffit parfois qu’un ami vous encourage, vous donne une idée géniale, pour donner le meilleur de soi et créer quelque chose de merveilleux. Et n’oublions pas que chaque être vivant, aussi petit soit-il, a sa place dans ce monde, et qu’il peut apporter sa contribution à la nature qui nous entoure.
