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Judith et Véronique misent sur la Jersiaise : une petite vache… aux grands atouts !

Avec sa tête fine, ses yeux de biche et sa petite taille, la Jersiaise peut en faire craquer plus d’un ! Reconnue et appréciée pour la richesse de son lait, sa facilité de vêlage et de reproduction, mais aussi pour son adaptation au changement climatique, cette race a de sérieux atouts pour se faire une place dans le paysage agricole wallon. Pas étonnant, donc, qu’Élevéo ait officiellement lancé le Herd-Book Jersey lors de la Foire de Libramont. À sa tête ? Judith Deblon, une jeune éleveuse qui, avec sa mère, gère de main de maître son exploitation laitière située à Jalhay.

Temps de lecture : 6 min

À 29 ans, Judith Deblon a pris la présidence du Herd-Book Jersey. Comme sa mère, Véronique Jérôme, elle est tombée sous le charme de cette race, de plus en plus présente au sein de la ferme familiale. En effet, au quotidien, ces deux agricultrices travaillent avec 125 vaches en lactation (152 avec les taries). Un cheptel composé à 60 % de Jersiaises, 30 % de Holsteins, tandis que les 10 % restants sont issus de croisements.

Si cette race de bovin originaire, comme son nom l’indique, de l’île britannique de Jersey, a réussi à conquérir le cœur de ces éleveuses c’est grâce à ses qualités indéniables. « Elle répond à beaucoup d’enjeux. Aujourd’hui, de nombreux d’agriculteurs recherchent davantage de fonctionnalité, alors qu’avant, l’objectif principal était la production », note Judith Deblon. Elle poursuit : « Tout d’abord, elle souffre peu au niveau de ses membres. Étant plus légère, nous constatons une baisse des boiteries ».

En outre, ces vaches sont appréciées pour leur fertilité, mais également pour leur précocité, puisqu’elles peuvent vêler dès 21 mois. « Et les vêlages se déroulent très facilement. Il est vraiment rare de devoir procéder à une césarienne », souligne Véronique Jérôme.

Bonne reproductrice, la Jersiaise possède d’autres cartes en main pour devenir une race incontournable chez les éleveurs wallons. Impossible, évidemment, de ne pas parler de la qualité de son lait… Riche en protéines et en matières grasses, il est idéal pour la transformation laitière. Nutritif, il est aussi apprécié pour sa digestibilité. En effet, ces bêtes portent le variant A2A2 du gène de la bêta caséine qui, sous cette forme, est plus digeste pour le consommateur. « Au Danemark, certaines laiteries ont développé une logistique pour ne collecter que du lait A2A2, notamment pour les exportations vers l’Asie ! ».

Des bêtes résilientes que l’on peut laisser mûrir

Toujours au niveau de ses qualités, on peut également mettre en évidence son efficacité alimentaire appréciée par les amateurs de la race. « L’économie de fourrage enregistrée pour un nombre de kg de matières utiles produits plus qu’honorable entraîne un impact économique positif et direct dans l’exploitation », indique, de son côté, Pierre Creppe, d’Inovéo.

Par ailleurs, à l’heure où les exploitations agricoles doivent miser sur davantage de durabilité, ces petites vaches fauves semblent là encore avoir tout bon. Si certains les qualifient de rustiques, elles sont en tout cas peu sujettes au stress thermique, comme a pu le remarquer la présidente du Herd-Book. Détentrice d’un master en sciences et technologies de l’environnement, l’agriculture a toujours fait partie de son ADN. Et bon sang ne saurait mentir, puisque sa mère a, elle, étudié à la Reid, tandis que sa sœur est vétérinaire.

Pourtant, Judith s’est d’abord orientée vers les sciences et technologies de l’environnement lorsqu’elle est partie à Gembloux. Une fois son master en poche, elle décide alors de reprendre les parts de son père et de rejoindre l’aventure, en association avec sa mère.

« Je suis revenue sur l’exploitation sans connaissances agricoles approfondies. Mais je savais ce qui me faisait vibrer : avoir des bêtes résilientes, capables de s’adapter, et que l’on garde le plus longtemps possible. Ici, nous avons une vache âgée de 10 ans. J’ai déjà entendu parler de Jersiaise parvenant à réaliser 12 à 13 lactations ! ». Notons aussi que, d’après ces expertes, ce sont des bovins qu’il faut laisser mûrir : leurs lactations deviennent meilleures au fil des vêlages…

La révélation danoise…

Outre la longévité des animaux, l’éleveuse se posait des questions quant à leur bien-être. « Les vaches Holstein étaient trop à l’étroit dans notre bâtiment. Nous avions deux solutions : soit rénover l’étable, soit nous diriger vers des bêtes plus petites. » Finalement, le destin a bien fait les choses puisque, dans la continuité de ses réflexions, l’Association wallonne des éleveurs organisait justement un voyage au Danemark sur la race Jersey. Nous sommes en 2019. Avec des étoiles dans les yeux, mère et fille découvrent les exploitations scandinaves et leurs vaches au rendement impressionnant. « Nous avons craqué », sourit Véronique Jérôme. « Nous en avons acheté 35, majoritairement pleines après sexage des doses ! »

Consacrer plus de temps pour les veaux

En optant pour cette race, les deux femmes ont gagné en confort. « Elles pèsent en moyenne 400 kg. C’est évidemment plus facile de s’occuper d’elles que de celles de 700 kg. » De plus, l’année dernière, elles ont investi dans deux robots de traite pour alléger leur charge de travail.

Cependant, avec les Jersiaises, ce gain de temps a dû être réinvesti dans la nurserie. « Pour les veaux, c’est délicat. Ils sont plus légers, fragiles, et possèdent moins de réserves corporelles. Récemment, nous avons eu des jumelles qui ne pesaient qu’environ 12 kg… », explique Véronique Jérôme.

Une autre difficulté : les fièvres de lait plus présentes, et nécessitant une maîtrise parfaite de l’alimentation. « Pour nos vaches, nous avons dû ajuster la nourriture pour apporter davantage de minéraux, car leurs besoins sont élevés », complète sa fille dont l’un des objectifs est de tendre vers un système le moins dépendant possible. Ainsi, leur ferme repose sur les 110 ha de l’exploitation et 40 ha supplémentaires en achat d’herbe. « En herbe, nous sommes autonomes, en maïs également. Puis, afin de donner moins de soja, nous réalisons notre tourteau de lin ».

Pour accomplir ces différentes fonctions, mère et fille se sont bien réparti les tâches. Par exemple, en visitant la nurserie, c’est Véronique Jérôme qui prend les paroles. Ici, c’est son domaine, et elle se charge aussi de l’insémination. « Un classificateur français vient nous montrer un panel de taureaux intéressants pour accroître les performances de notre troupeau. On achète principalement chez VikingGenetics, le centre danois que l’on a visité », indique celle qui mise également sur la génomique pour conduire au mieux son élevage.

Un des défis ? La valorisation des jeunes mâles

Dans cette ferme 100 % féminine, vous ne croiserez pas de taureaux Jersey. La raison est très simple : ils sont réputés comme étant dangereux.

Toujours au niveau des mâles, la valorisation des veaux fait partie des points faibles de la race. Très légers, ils ont une valeur commerciale quasi nulle. Une des solutions envisagées est, dès lors, de les croiser avec des viandeux. « Comme nous apprécions l’Angus, nous avons tenté ce croisement avec une mère Jersey. Nous avons hâte de goûter cette viande. Pour les jeunes mâles Jersey, nous en avons castré deux pour en faire des bœufs. Nous allons les laisser trois à quatre ans en prairie pour évaluer le résultat », raconte Judith Deblon. Reste à voir si, dans quelques années, après son lait, la race Jersey aura réussi à acquérir ses lettres de noblesse pour la qualité de sa viande…

Déborah Toussaint

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