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Les enseignements

de l’enquête

épidémiologique

L’automne dernier, les organismes d’encadrement des petits ruminants réunis sous la bannière Réseau Ovins-Caprins ont réalisé une enquête en ligne sur les impacts zootechniques directs de la FCO3 sur les élevages de petits ruminants. Les premiers résultats sont sortis en ce début d’année 2025. Plus de 1.000 éleveurs y ont répondu, montrant bien l’engouement dans ces secteurs et la volonté des éleveurs de montrer, sans tabou, leur détresse. Un formulaire riche d’enseignements qui n’a pas fini de dévoiler ses résultats, des analyses croisées avec la seconde enquête et les données 2025 pourront être réalisées dans les mois à venir.

Temps de lecture : 13 min

L’enquête épidémiologique menée en automne de l’année dernière a été un franc succès. Avec plus de 1.000 réponses construites et détaillées, et un délai moyen de plus de 40 minutes passées sur le questionnaire, on peut dire que les éleveurs ont répondu présent à l’appel des organismes d’encadrement. Un succès qui a ralenti la sortie des premiers résultats tant les données étaient nombreuses et riches d’informations.

Répondre à ces questions, dont les réponses étaient anonymisées, a demandé du temps aux agriculteurs dans une période où les soins aux animaux les accaparaient particulièrement.

Des facteurs qui expliquent que 26,6 % des répondants ne sont pas arrivés au bout du questionnaire. 50 d’entre eux ont dû être écartés en raison de nombreuses incohérences ou de réponses trop parcellaires. Mais ce sont tout de même 963 enquêtes contenant des informations qui ont pu alimenter notre analyse et nourrir nos réflexions.

Une population de répondants similaire à la populationdes éleveurs wallons

L’enquête était volontairement orientée vers les éleveurs de petits ruminants : ovins, caprins, ainsi que vers les cervidés et camélidés. Ce qui explique que 95,8 % des répondants sont des bergers et possèdent au moins un ovin avec parfois d’autres espèces (bovins, cervidés, caprins ou camélidés). Les analyses se sont toutefois concentrées sur les moutons.

Une caractérisation des répondants s’est faite sur base du cheptel ovin reproducteur comme pour les analyses sectorielles. Toutes les catégories de taille de cheptel sont représentées dans l’enquête. Seule la catégorie des moins de 10 femelles est moins représentée dans l’enquête que dans la population. Mais il s’agit tout de même 56 % des réponses collectées.

On constate que plus les éleveurs ont de gros troupeaux, plus ils se sont sentis concernés par ces questions. Le taux de pénétration va croissant avec la croissance des troupeaux reproducteurs.

Nous pouvons établir trois constats, à savoir que l’enquête a pu toucher toutes les tailles de cheptel, qu’il est plus difficile de mobiliser les troupeaux de petites tailles, ce qui nous amène à nous questionner sur la façon dont les organismes d’encadrement peuvent améliorer ce point. Enfin, cela démontre que les cheptels de plus grande taille ont bien communiqué via ce formulaire. Ce qui prouve le dynamise de professionnalisation et d’échange entre professionnels du secteur.

Plus d’un éleveur professionnel sur 3 est représenté dans l’enquête épidémiologique.

Dans un second temps, la description de la population s’est faite sur base de la répartition géographique des répondants en comparaison à la population globale via les données Sanitel de 2022, celles de 2023 n’ayant pas pu encore être traitée pour ce point-là.

Les données géographiques montrent que toutes les provinces sont équitablement représentées. Seule la province de Luxembourg, qui est la première en termes de production, est un peu moins présente dans l’enquête que dans la population. Près d’un éleveur sur 3 en Wallonie est luxembourgeois pour seulement 1 répondant sur 5 dans l’enquête.

Le formulaire a donc permis de toucher toutes les catégories de producteurs, et ce, sur toute la région wallonne. Il est donc possible de dire que les conclusions de celui-ci pourront être extrapolées à l’ensemble du cheptel ovin wallon.

Plus de foyers et de vaccinationque dans les données officielles

L’enquête est un recueil des déclarations des éleveurs. Elle n’est pas basée sur la collecte de données par des techniciens ou des analyses scientifiques. Cela permet donc de rassembler des informations difficilement accessibles par les autorités.

Les données officielles font état de 364 foyers de FCO sur les troupeaux ovins en 2024 en Wallonie. Ces données sont toutes confirmées par PCR. Mais nombreux sont les éleveurs qui n’ont pas prélevé d’échantillon sanguin en vue d’analyse. Dans l’enquête, 887 éleveurs ont répondu à la question de l’apparition ou non de signes cliniques évocateurs de FCO dans leur troupeau. Au total, ce sont 76 % des troupeaux qui ont été touchés par cette maladie sur au moins un animal. Dans ces troupeaux touchés, seulement un quart d’entre eux avait eu une confirmation par analyse de laboratoire au moment de remplir l’enquête.

On peut donc affirmer que la FCO a touché plus de troupeaux sur le terrain que dans les bases de données officielles. Les raisons de la non-déclaration aux autorités sont multiples : la fin du financement des analyses le 16 septembre, la fin de la déclaration obligatoire, le fait qu’une analyse en juillet/août n’apporterait que peu d’information dans une épizootie généralisée sur le territoire belge, la surcharge de travail pour les vétérinaires ruraux déjà en sous-effectif quand il n’y a pas de crise sanitaire, la structuration de la population d’éleveurs ovins avec plus de 90 % de hobbyistes, etc.

Une comparaison a été faite entre les dates d’apparition des premiers signes cliniques chez les éleveurs et les dates de confirmation par PCR chez Sciensano pour la Wallonie uniquement. Cela est représenté à la Figure 1. Les 2 courbes sont presque parallèles avec un décalage d’une à 2 semaines.

Dans l’enquête, 573 réponses correspondaient à tous les critères nécessaires à cette analyse. Il apparaît une circulation à bas bruit déjà avant la fin du mois de juillet, mais sans confirmation par les laboratoires. Cela montre l’importance de communiquer sur la déclaration des foyers pour aider le secteur. À l’époque, les analyses étaient totalement prises en charge, les laboratoires n’étaient pas débordés et les temps d’attente étaient relativement courts. Les éleveurs qui avaient des signes cliniques dès le début juillet auraient pu par leurs déclarations obligatoires tirer la sonnette d’alarme quelques jours/semaines plus tôt pour le reste du secteur.

Ensuite, le décalage de 1 à 2 semaines entre les 2 courbes s’explique par la logistique nécessaire à l’échantillonnage, la réalisation des analyses et l’encodage dans les bases de données. Ce qui est tout à fait logique surtout en période de forte sollicitation comme la vague de FCO-3 de l’été dernier. Enfin, la différence d’ordonnées entre les courbes représente la sous-déclaration dans les bases de données officielles par rapport à la réalité du terrain.

Pour la vaccination FCO-3, les données Sanitel donnaient le 08 octobre dernier, soit en même temps que les déclarations des bergers dans l’enquête, 9 137 doses appliquées soit autant d’ovins à peu près vu que la recommandation des fabricants est d’une dose par animal. Tandis que dans l’enquête, on relève qu’au moins 28.229 ovins ont été vaccinés. Ce sont les ovins déclarés dans l’enquête sachant qu’elle ne reprend pas 100 % des éleveurs. Il y a donc un rapport de 3 entre les doses déclarées aux autorités et celles déclarées administrées par les éleveurs dans cette étude. Cela peut venir de plusieurs facteurs dont la plupart sont déjà résolus ou le seront avant la campagne de vaccination obligatoire de cette année.

Le Tableau 1 reprend le nombre de troupeaux déclaré vaccinés par les éleveurs. Au total, 709 réponses étaient valides pour cette question. Il est assez clair que la vaccination a été mieux acceptée par les bergers en ferme que ce que les données officielles et les autorités ont pu constater. Plus de la moitié des cheptels était déjà vaccinée cet automne.

L’immense majorité des éleveurs a suivi les recommandations des fabricants concernant le nombre de doses à administrer aux animaux. À noter que dans les 72 élevages où 2 doses de vaccin FCO ont été appliquées, 65 troupeaux ont reçu une dose FCO-3 et une dose FCO8/4- 8. Finalement, ce sont 10 élevages sur 390 qui ont reçu plus d’une dose FCO-3. Si l’analyse se concentre sur les troupeaux professionnels, soit ceux de plus de 30 femelles de plus de 6 mois, la vaccination concerne 63 % des élevages pour seulement 28 % des troupes de moins de 10 femelles.

Les petites troupes de moins de 10 brebis représentent donc un défi de communication et de logistique pour la campagne de vaccination obligatoire de 2025.

L’impact de la maladie et de la vaccination a été plus prégnant sur le terrain que ce que ne reflètent les chiffres des bases de données officielles.

Les rechutes : une explicationaux réticences face aux vaccins ?

La rechute clinique était définie dans les questions de l’enquête comme le retour d’un second tableau clinique évocateur de FCO sur le même animal après une première phase clinique FCO et un rétablissement complet de l’animal.

Dans la base de données de l’enquête, 654 réponses correspondaient aux critères nécessaires pour évaluer la rechute clinique, c’est-à-dire avoir constaté de la FCO dans le troupeau et avoir répondu aux questions relatives à la rechute clinique avec cohérence. Un tiers des élevages ont subi des rechutes cliniques sur au moins un de leurs animaux.

En moyenne, les seconds symptômes apparaissent 19 jours après la fin des premiers. Cela signifie qu’avec un premier tableau clinique qui dure 10 à 12 jours plus 19 jours d’accalmie avant un second tableau de 10 à 12 jours, un épisode FCO sur un même individu peut durer 6 semaines, voire plus.

Une seconde discrimination s’est faite sur la vaccination ou non des cheptels ayant eu (ou non) des signes de rechute clinique. Ce qui est relativement étonnant, c’est que la vaccination n’a pas toujours totalement protégé des secondes phases cliniques de FCO. 70 % des cheptels ayant eu des rechutes avaient vacciné leurs ovins.

Pour comprendre les craintes, l’analyse s’est poursuivie en comparant les dates de vaccination et d’apparition des premiers signes cliniques, sur les cheptels ayant eu une rechute et ayant vacciné. Dans ce cas précis, 85 % des bergers avaient effectué la vaccination suffisamment tôt par rapport à l’apparition des premiers signes cliniques. Soit plus de 21 jours entre les 2 dates. Les 15 autres pourcents ont vacciné trop tardivement, c’est-à-dire soit moins de 21 jours avant l’apparition des premiers signes cliniques, soit carrément après l’apparition des premiers signes sur les premières brebis.

L’analyse des cas de rechute clinique peut aider à comprendre les réticences qui ont circulé dans les fermes vis-à-vis des vaccins puisque les troupeaux dont les animaux avaient été vaccinés n’étaient pas forcément protégés totalement de l’un ou l’autre cas de rechute clinique. Mais, est-ce que les vaccins ont réellement fonctionné dans les élevages ? Le prochain niveau d’analyse se penchera sur ce point particulier.

La vaccinationdirectement efficace dans les fermes

Pour parler de l’utilité de la vaccination selon les déclarations relevées dans l’enquête, il faut aborder deux axes, la mortalité et la morbidité dans ces cheptels, à savoir combien d’animaux sont morts et combien ont eu des symptômes faisant penser à la FCO dans l’ensemble du troupeau. Pour ces analyses, le travail porte plus sur les animaux que sur les cheptels.

Évoquons la mortalité qui a touché toutes les tailles de troupeaux, mais dans des proportions différentes. Dans l’enquête, sur les 675 réponses ayant eu de la FCO en 2024, 645 ont donné des réponses valables pour calculer la mortalité. Dans ces réponses, 31,5 % des troupeaux n’ont pas détecté de mortalité liée à la FCO cet été, et cela, peu importe la taille des troupeaux.

Il est par ailleurs ressorti de l’analyse que toutes les provinces ont été touchées de façon indifférenciée.

Le taux de mortalité maximal diminue avec la taille du cheptel. Toutefois, on comprend aisément qu’au moins il y a d’animaux, au plus l’impact de la mort d’un seul animal influence fortement le taux de mortalité. De plus, comme déjà expliqué, les troupeaux de moins de 10 brebis ne sont vaccinés qu’à raison de 28 %. Enfin, concernant les hauts taux de mortalité, il n’y a eu « que » 37 troupeaux avec plus de 50 % de mortalité, dont 6 éleveurs professionnels.

Pour les cheptels professionnels, le taux de mortalité a été analysé en fonction de la vaccination ou non du troupeau. Seuls les éleveurs professionnels sont entrés dans cette analyse pour que la taille du troupeau dilue l’impact important sur le taux de mortalité de la mort d’un seul individu. Sur les 178 troupeaux répondant à tous les critères : avoir eu de la FCO, être détenteur professionnel d’ovins, avoir déclaré la vaccination ou non du troupeau, seuls 31 troupeaux n’avaient pas été vaccinés et 147 avaient une couverture vaccinale. Dans ce cas, les éleveurs ayant vacciné ont déclaré une mortalité moyenne de 9,7 % contre 14.4 % pour les troupeaux qui n’ont pas vacciné. En conclusion, malgré les réticences, la vaccination fonctionne pour diminuer la mortalité d’après les dires des éleveurs eux-mêmes. La mortalité diminue, mais n’est pas totalement évitée.

L’analyse de la morbidité va permettre de considérer l’impact ou non de la vaccination sur les cheptels. Dans ce cas, 545 réponses correspondaient à tous les critères suivants : avoir eu de la FCO et déclarer un nombre de bêtes malades cohérent. Sur ces 545 élevages, en moyenne, 47,2 % des animaux ont eu un tableau clinique évocateur de langue bleue. Pour les éleveurs professionnels, cette moyenne descend déjà à 38,2 % des animaux qui sont malades.

Une dernière sélection relative à la morbidité a été réalisée entre les troupeaux vaccinés ou non mais sans distinction concernant la taille du cheptel. Les 190 troupeaux ayant été vaccinés ont une morbidité moyenne de 42,8 % contre 55,5 % de morbidité moyenne dans les troupeaux non vaccinés. Quand on se concentre uniquement sur les cheptels professionnels pour éviter l’impact important sur les taux par de faibles nombres d’animaux, la différence entre les troupeaux non vaccinés et les troupeaux vaccinés est de 13,5 % passant de 50,5 % de morbidité moyenne pour les non-vacciné à 37 % pour les vaccinés. La tonte et la désinsectisation sont-ils des facteurs d’aides ? Durant l’été et l’automne 2024, de nombreuses informations ont circulé concernant des protocoles de désinsectisation ou sur l’impact de la tonte pour limiter l’activité des vecteurs.

Concernant la tonte, seuls les éleveurs professionnels ont fait partie de l’analyse et une limite à 12 semaines maximum a été posée entre la date de la dernière tonte et la date d’apparition des premiers symptômes.

Pour les animaux ayant été tondus maximum 12 semaines avant les premiers symptômes, les taux de mortalité et de morbidité moyens sont respectivement de 11,8 et 44 %. Tandis que pour les éleveurs professionnels ayant tondu plus de 12 semaines avant l’arrivée de la langue bleue, les taux de mortalité et de morbidité sont de respectivement 8.7 % et 32,6 %. Soit, il est possible de conclure qu’une tonte environ 3 mois avant l’arrivée des premiers symptômes aide à ralentir l’activité des culicoïdes. Ce n’est pas un facteur à prendre en compte seul. Mais il peut aider à déranger quelque peu l’activité des vecteurs.

Quant aux protocoles de désinsectisations, ils sont aussi variés que la population d’éleveurs. Dans ces protocoles, il y a des ajouts de seaux de minéraux enrichis avec des répulsifs (ail), des utilisations de mélanges d’huiles essentielles ou encore des produits réellement agrées comme désinsectisant avec ordonnance vétérinaire. L’utilisation d’un protocole de désinsectisation n’a pas permis de démontrer une influence sur la morbidité ou la mortalité d’après les éléments déclarés par les éleveurs dans cette enquête.

L’information circulegrâce aux vétérinaires

Le dernier élément utilisable actuellement dans l’enquête reprend les sources d’informations les plus utilisées par les éleveurs. Les 2 grands gagnants de ce classement des sources d’informations sont les vétérinaires, suivis par le bouche à oreille entre éleveurs.

Les organismes d’encadrement, les journaux agricoles et les réseaux sociaux n’arrivent qu’ensuite. Il est donc primordial de faire circuler de l’information la plus à jour possible et la plus claire possible directement aux vétérinaires et aux éleveurs. Ces canaux sont les plus utilisés dans nos campagnes.

Il est important de rappeler l’impact de cette enquête ayant relevé un nombre important d’avis des éleveurs ovins. Le volet de l’enquête dédié à l’impact de la langue bleue sur les capacités de reproduction est une source d’informations précieuses.

Il permet de comprendre :

en partie pourquoi le vaccin a pu provoquer des réticences chez les éleveurs ;

la différence importante entre les données officielles et la réalité du terrain ;

l’impact de la maladie sur les élevages avec plus de finesse que les données nationales ;

l’impact réel et direct de la vaccination sur les troupeaux ;

les sources d’informations des éleveurs.

Les informations recueillies sont essentielles pour montrer la réalité de cette maladie dans les exploitations.

Nicolas Marchal

Chargé de mission ovin – caprin

Collège des producteurs.

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