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«Notre travail consiste à maintenir la rentabilité de la culture de la pomme de terre»

À la tête de Belgapom depuis maintenant deux ans, Christophe Vermeulen n’a pas connu des débuts tranquilles. Les crises se succèdent, en effet, depuis l’entame de son mandat. D’une part, en 2020, la pandémie a fortement influencé les prix de vente des précieux tubercules stockés. D’autre part, la filière a dû faire face à des conditions météorologiques opposées, passant d’une pluviométrie excessive en 2021 à la sécheresse de l’été 2022. S’y ajoute la hausse continue des coûts de production…

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La fonction de CEO de Belgapom, la Fédération belge du négoce et de la transformation de la pomme de terre se caractérise par une polyvalence inattendue… C’est en tout cas le ressenti qu’en a Christophe Vermeulen, deux ans après avoir succédé à Romain Cools. Sans le vouloir, ce dernier lui a d’ailleurs « refilé la patate chaude ». « Il semble que depuis que j’endosse cette responsabilité, le secteur connaît crise après crise. Certes, cela rend le travail stimulant, mais je dois admettre que je souhaiterais voir l’agriculture évoluer dans des eaux plus calmes », confesse-t-il avant de débuter notre discussion.

L’agriculture a bénéficié d’une certaine attention médiatique cette année. Comment expliquer cela ?

En effet. Les problèmes d’approvisionnement, notamment en huile de tournesol, constituent un exemple concret de ce regain d’attention car cela a eu un impact concret sur le quotidien des consommateurs. Dès qu’un événement a des répercussions sur ceux-ci, les médias sont incontestablement au rendez-vous. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas lorsque ce sont les agriculteurs qui sont concernés… Et je dois, dès lors, parfois prendre ma casquette de porte-parole.

Cependant, la majeure partie de mon travail consiste à m’engager auprès d’organisations agricoles, de politiques, d’universitaires… afin de faire valoir les intérêts et les besoins du secteur de la pomme de terre. Nous nous attelons également à la promotion de nos produits agricoles.

Ma fonction a quelque peu perdu son aspect international. Plusieurs entreprises représentées par Belgapom sont devenues des acteurs mondiaux et se débrouillent par elles-mêmes.

Quelles sont les évolutions prochainement attendues chez Belgapom ?

Nous allons quitter Berlare pour Merelbeke, à quelques kilomètres au sud de Gand. Nos bureaux seront plus facilement accessibles et cela nous permettra d’améliorer nos services. Nous serons plus proches de Bruxelles, ce qui nous fera gagner du temps. Nous sommes, en effet, souvent sur la route pour faire du réseautage. La crise sanitaire nous a rappelé qu’il est très important de se rencontrer en personne.

À ce sujet, vous avez précédemment affirmé vouloir davantage mettre vos membres en relation, pour qu’ils travaillent ensemble en faveur de la filière de la pomme de terre. Est-ce un succès ?

En tant que fédération, nous sommes très ouverts aux contributions, et essayons toujours de réfléchir de manière constructive. Je tiens à le souligner car il est de plus en plus clair qu’en raison de la nouvelle législation européenne, mais aussi des législations belges, les rancunes du passé sont moins importantes que la nécessité de travailler ensemble. Avec les organisations agricoles, notamment, nous essayons d’accorder nos violons, de trouver des solutions conjointes et d’ensuite les porter au niveau politique.

En Belgique, les pommes de terre sont toujours appréciées, même si la consommation a tendance à diminuer.
En Belgique, les pommes de terre sont toujours appréciées, même si la consommation a tendance à diminuer. - J.V.

Assurer la rentabilité de la pomme de terre demeure-t-il l’une de vos priorités ?

Il est clair que cultiver des pommes de terre doit rester rentable pour les agriculteurs. Mais si les crises se poursuivent, avec des sécheresses importantes ou des rendements relativement faibles, le jeu en vaudra-t-il encore la chandelle ? La pomme de terre a été l’une des cultures les plus salvatrices de ces quinze dernières années pour de nombreux cultivateurs. Nous voulons qu’il en soit toujours ainsi.

À propos de rendements, il est fort probable que ceux-ci soient en recul cette année. Que faire face aux contrats signés ?

En général, les rendements sont en recul d’environ 17 %. Il existe cependant de nombreuses différences entre les régions et au sein de celles-ci. Tous nos membres ont la volonté de parvenir à un accord avec les producteurs, mais cela sera examiné contrat par contrat.

Cette situation nous montre également que nous devons nous adapter à la nouvelle réalité climatique, avec les extrêmes qui l’accompagnent. Nous devons nous y préparer en tant que secteur et chaîne agro-alimentaire, en termes de législation, mais aussi en termes de techniques culturales. Nous sommes les premiers à réfléchir à la façon d’affronter les périodes de sécheresse, telle celle de cette année, d’une manière constructive et saine, mais aussi à la manière de préparer les agriculteurs à ce type d’événement.

Et ce, dans un contexte où les exigences environnementales deviennent de plus en plus strictes…

En Belgique, une partie des pommes de terre et de nombreux légumes de plein champ sont cultivés dans une région où la qualité de l’eau est très mauvaise… Si les politiciens décident de ce qui peut être fait ou non dans cette région, cela n’affectera pas seulement les agriculteurs mais aussi les transformateurs et les négociants. Et… nous avons besoin de toute la superficie dédiée à ces cultures.

À ce titre, le nouveau « plan lisier » (« Mest actie plan », MAP) que la Flandre souhaite mettre en œuvre en vue, notamment, de réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement, vient ajouter une contrainte supplémentaire.

Ce n’était pas un secret qu’une mise à jour de ce plan était à l’étude. Après avoir contacté le cabinet de la ministre flamande de l’Environnement, Zuhal Demir, nous savions que quelque chose d’important se préparait. Mais c’est au-delà de ce que nous imaginions.

Les différentes mesures proposées entraîneraient, en Flandre, une chute de 75 % de la superficie dédiée aux pommes de terre de conservation. Certaines cultures maraîchères deviendraient quasiment inenvisageables. Je pense aux choux, aux poireaux, aux salsifis… Nous comprenons parfaitement que la qualité de l’eau est mauvaise et doit être améliorée. Toutefois, cela nécessite une approche sur mesure et certainement pas une politique qui, non seulement, prive les agriculteurs de leurs cultures et de leur libre choix de culture, mais met aussi en péril une industrie alimentaire florissante. Nous parlons de dizaines d’entreprises et de milliers de travailleurs ! Sans oublié, la valeur ajoutée conférée aux productions.

Heureusement, tout un chacun a la volonté de se retrouver autour de la table et de discuter. En étant constructifs, nous pourrons faire avancer les choses. Je déplore cependant que cela intervienne dans un contexte d’augmentation généralisée des coûts, tant en Wallonie qu’en Flandre…

Cette hausse des coûts intervient dans un contexte de demande grandissante. Ce dernier point ne constitue-t-il pas une bonne nouvelle ?

La pomme de terre reste l’un de nos joyaux. C’est un produit sain dans un monde qui en veut toujours plus.

En Belgique, les pommes de terre sont toujours appréciées, même si la consommation a tendance à diminuer. Bien qu’au cours du premier semestre 2022, elles aient de nouveau été consommées beaucoup plus souvent, ce qui inclut les frites. Nous mettons d’ailleurs en place de nombreuses campagnes de promotion, comme la « Semaine de la frite », qui a eu lieu en Wallonie du 7 au 13 novembre. Nous nous concentrons aussi sur la promotion de la pomme de terre auprès des jeunes.

La demande internationale est aussi en hausse. Certains membres de Belgapom sont devenus de véritables acteurs mondiaux. Ils ont développé un avantage en travaillant de manière extrêmement productive et efficace ces dernières années, et peuvent fournir un produit de haute qualité à un prix relativement bas. Mais ces derniers sont sous pression vu le contexte actuel. Payer l’énergie sept fois plus cher qu’aux États-Unis n’est pas favorable au business… Nous devons suivre cela de près.

Auparavant, les pommes de terre représentaient le coût le plus important auquel  faisaient face les transformateurs. Désormais, il s’agit de l’énergie.
Auparavant, les pommes de terre représentaient le coût le plus important auquel faisaient face les transformateurs. Désormais, il s’agit de l’énergie. - D.J.

Nous espérons que la baisse des prix, qui a plus ou moins débuté sur les marchés du gaz, et les nombreuses mesures qui ont été mises en œuvre par les différents gouvernements suffiront à maintenir notre position sur le marché et que nous pourrons traverser cette période de crise sans trop de dégâts.

Rien de tout cela ne devrait durer très longtemps. Il nous a fallu tellement de temps pour conquérir notre position sur le marché que l’on pourrait la perdre très rapidement. La retrouver ensuite pourrait prendre un certain temps.

Comment se portent les acteurs de la transformation ?

Nous constatons qu’après la crise sanitaire, les investissements sont repartis à la hausse et les débouchés suivent le mouvement. Nous nous sommes alignés sur la relance mondiale de l’économie, de sorte que les transformateurs se portent bien.

Nous avons des entreprises très performantes. Aviko, par exemple, vient d’inaugurer un nouveau bâtiment à Poperingue, et d’autres entreprises ouvrent de nouvelles lignes, comme Agristo, ou construisent de nouvelles usines tel Clarebout. L’accent sera prochainement mis sur l’efficacité, la durabilité et la circularité. C’est d’ailleurs ce qu’attendent les autorités belges.

Cependant, les tâches administratives relatives à ce type de projet sont lourdes et manquent de simplicité. C’est, d’une part, frustrant pour les entrepreneurs et, d’autre part, l’un des talons d’Achille de notre pays. Simplifier les procédures est plus que nécessaire !

Enfin, on s’attend à ce que les investissements soient moins importants dans les deux années à venir.

Quels sont leurs principaux coûts ?

Avant, les pommes de terre représentaient le coût le plus important ; aujourd’hui, c’est l’énergie. L’industrie de la transformation subit cette hausse des coûts de manière directe, mais aussi indirecte. De nombreux fournisseurs de papier, carton, feuilles d’aluminium… sont concernés par cette situation et répercutent cela sur leurs clients, dont les transformateurs de pommes de terre.

La croissance fulgurante des prix de l’énergie est plus facile à absorber pour certaines entreprises. Je pense, par exemple, à celles qui utilisent du biogaz produit à partir de leurs déchets, comme les épluchures de pommes de terre. Mais tout ne peut pas fonctionner au biogaz. La production de vapeur à haute pression nécessite toujours du gaz naturel.

Depuis votre entrée en fonction, on peut, sans hésiter, affirmer que les défis ne manquent pas pour la filière de la pomme de terre.

Une fois la crise sanitaire derrière nous, l’économie mondiale devait se redresser… puis l’ensemble des chaînes d’approvisionnement a été touché par des retards et perturbations. Cette situation, combinée à l’augmentation de la demande de matières premières, faisait déjà grimper les coûts. L’été 2021, pluvieux, n’a pas été idéal pour la culture de la pomme de terre. Malgré tout, les transformateurs ont géré cette situation.

Cette année a été très sèche. Et un peu plus tôt, le conflit russo-ukrainien a éclaté. Cela a entraîné la crise énergétique que l’on connaît, mais a aussi compromis l’approvisionnement en huile de tournesol, nécessaire pour la friture. Cela s’ajoute à l’augmentation des prix des matières premières. Cela n’a pas été sans impact sur les commerçants, transformateurs et agriculteurs.

Quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle des prix ?

Ceux-ci sont enfin en train de baisser au niveau mondial, tout comme ceux de l’énergie. Cependant, les problèmes d’approvisionnement en huile de tournesol vont se poursuivre quelque temps encore. L’industrie s’est montrée souple vis-à-vis de cela, de même que le gouvernement fédéral. Le consommateur est également au courant de la situation. Le plus gros problème est que le prix des huiles de cuisson alternatives, telles que l’huile de colza ou l’huile de palme raffinée, a également augmenté de façon considérable en raison d’une demande accrue.

Globalement, on estime la hausse des coûts à 70 %, ce qui est loin d’être négligeable, dont 20 à 25 % ont été répercutés sur les prix de vente. Le solde est à charge des entreprises…

L’augmentation des salaires, attendue pour janvier, va-t-elle poser problème ?

Il s’agira du prochain défi à relever. Cette année, il y a eu une augmentation salariale de 3,6 % ; en janvier 2023, on s’attend à un bond de 10,5 % et nous prévoyons une autre augmentation de 5,6 % pour janvier 2024, selon les derniers chiffres du SPF Économie. Soit un total évalué entre 18 et 20 % entre janvier 2021 et janvier 2024. C’est énorme !

Les entreprises doivent prendre cela en compte, mais il est difficile de le faire entendre aux représentants de la grande distribution qui peuvent changer de partenaire si les choses ne se déroulent pas comme ils le souhaitent. Je comprends que les supermarchés doivent faire face à des coûts plus élevés, comme les frais de personnel, et qu’ils veulent maintenir leur compétitivité. Mais il existe des abus et il faut y remédier. C’est également pour cela que les fédérations comme Belgapom ou Fevia sont en contact fréquent avec les autorités politiques.

En Belgique, les supermarchés veulent maintenir leur position concurrentielle en pratiquant de bas prix. Ils sont, en outre, confrontés aux achats frontaliers. Nos dirigeants doivent donc veiller à ce que notre pays procure un environnement sain aux supermarchés. Colruyt est le seul acteur national ; les autres distributeurs étant sous contrôle français, néerlandais ou allemand. Pour ces derniers, le marché belge n’est jamais qu’un élément de leur business et non une priorité. Or, si l’on souhaite coopérer à l’échelle nationale, et proposer un prix équitable de la fourche à la fourchette, c’est un élément à prendre en compte.

D’après Marlies Vleugels

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