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Un parfum de déjà-vu

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« Pouah ! Ça puire, Messire ! ». Jacquouille la Fripouille n’aurait pas d’autres mots pour qualifier les réprimandes adressées par l’Europe à la Belgique, assorties d’une assignation devant la Cour de Justice de l’UE, au sujet de la qualité de nos eaux de surface polluées par les effluents azotés, issus des rejets domestiques et des élevages hors-sol. Surtout ceux-ci, paraît-il ! On veut bien les croire, car en Flandre le problème est endémique depuis des décennies, et les plans « fumier » se succèdent en rang serré sans rien solutionner, si ce n’est jouer la montre et faire semblant d’agir. Mais voilà -Oups !- que la Région Wallonne itou se fait tirer sur ses grandes oreilles… Selon la Commission, elle « ne remplit pas ses obligations de surveiller ses eaux et de vérifier si elles sont polluées ». Les PGDA wallon et flamand datent de 2014, et sont censés être remis au goût (à l’odeur) du jour tous les quatre ans. Il y a comme une touille dans le potage, pour rester poli

Restons polis en effet, car il est des choses que l’on fait naturellement, mais qu’il est inconvenant d’évoquer explicitement. Nos parents nous l’ont bien inculqué dès notre plus tendre enfance. Je vous parle de toutes ces choses qu’il faut expulser, une fois la nourriture digérée et notre sang filtré par les reins. Personne n’est très fier de ces matières qu’il faut gérer au mieux, dans le respect des règles de bienséance. Les animaux font moins de chichis et ne s’en formalisent nullement. Les agriculteurs prennent dès lors le relais et s’occupent des déjections de leurs veaux, vaches, cochons, couvées… Ici encore, on aurait tendance à parler de ces choses par ellipses, comme si elles appartenaient au côté honteux de notre vie. Les fumiers, lisiers, purins font pourtant partie intégrante du métier d’éleveur, et y occupent même une très grande place ! On nous em(…) assez avec ça…

En effet, « ça puire, messire ! »… Les paysans ont toujours été moqués pour cette odeur particulière qui traînerait -dit-on- dans notre sillage. Depuis la nuit des temps, on nous appelle « bouseux » ou « vilain », comme si nous nous roulions à plaisir dans les excréments des vaches et des cochons, les crottins de chevaux et les « pettales » de moutons. Cette « fragrance » agricole particulière est la hantise des agricultrices, de ces pauvres mamans complexées qui craignent que leurs enfants, leur mari ou elles-mêmes soient montrés du doigt et humiliés pour cette odeur si caractéristique, que d’aucuns repèrent ou imaginent, et le font bien savoir. C’est pourquoi nos chères fermières redoublent d’efforts pour éviter semblables mésaventures. Douches, bains, lessives, hygiène stricte, « sas de décontamination » pour laisser sa salopette, bottes nettoyées avec soin et chaussettes propres pour les pantoufles… Un véritable trouble obsessionnel compulsif ! Cette gestion des odeurs mobilise une bonne part de leur énergie. On comprend pourquoi bon nombre de jeunes agriculteur.rice.s préfèrent cultiver les terres, plutôt que d’élever des animaux…

Autrefois, ce genre de souci n’avait pas lieu d’être, puisqu’au village, tout le monde travaillait dans l’agriculture et très peu de gens s’indignaient de ce parfum prégnant. Quand les cloches sonnaient pour la messe, les voisins de l’église occupés à l’étable se brossaient sommairement les bottes et rejoignaient habillés « en tous les jours » les autres fidèles. S’ils pouvaient parler, Jésus Marie Joseph et tous les saints vous raconteraient les us et coutumes sans complexe de nos aïeux, les bonnes odeurs du terroir de l’assemblée des chrétiens, et les remontrances outrées des curés en chaire de vérité, lesquels stigmatisaient la désinvolture des paysans !

Les technocrates de l’Union Européenne ont pris le relais des curés d’antan. Ils nous prêchent la bonne parole sur la gestion des rejets azotés de nos exploitations, et nous tancent vertement sur les atermoiements (ou l’incapacité) de nos ministères régionaux, flamand et wallon. Leur bible s’appelle PGDA et renferme des dizaines de préceptes et commandements à respecter sans trop y réfléchir. Sur le fond, leurs intentions sont louables et frappées au coin du bon sens. Les eaux de surface et les nappes phréatiques sont polluées en Flandre au nitrate par les élevages industriels de porcs, volailles, bovins, lapins, volailles… Les fermiers flamands sont bien gentils, mais il faut toujours qu’ils exagèrent, qu’ils confondent sélection et collection, bonne gestion et déraison. Ils sont surendettés et se sentent poussés au bord du gouffre quand on leur parle de brider leur « enthousiasme », et d’investir dans la gestion de leurs fumiers.

Les Wallons « fainéants » que nous sommes, se sont contentés pour la plupart d’élever un nombre d’animaux lié à leur nombre d’hectares. Mais nous souffrons par contamination de nos encombrants compatriotes du Nord, des problèmes dénoncés par l’Europe. Il suffirait d’un peu de bon sens, d’utiliser au mieux les déjections des élevages : comme engrais, ou pour la biométhanisation… Et pourquoi pas échanger entre régions ? Dans les années 1990-2000, des descendants des nombreux fermiers flamands venus s’installer -se réfugier !- en Ardenne après la guerre 40-45, faisaient encore venir des « crottes de poules » (sic) ou du fumier de cochon par semi-remorques entiers, gracieusement expédiés par leurs frères, neveux ou cousins restés au plat pays.

Alors là, je vous jure que ces choses « importées », bien fermentées, ne sentaient pas la rose ! « Pouah ! Ça puire, Messire ! ». C’est du vécu, un parfum de déjà-vu…

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