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Gérer au mieux la biodiversité, sans compliquer le travail des forestiers

Gérer une forêt relève souvent du casse-tête tant les fonctions qu’elle assure et les acteurs qui en bénéficient sont nombreux. L’un d’eux en particulier, le forestier, se doit d’atteindre les objectifs, souvent économiques, qu’il s’est fixé tout en faisant face à d’importantes contraintes. Parmi celles-ci, la protection de la biodiversité est très certainement sa plus grande source d’inquiétude. Pourtant, des solutions se dessinent pour faciliter son travail.

Temps de lecture : 6 min

Que ce soit en Belgique ou ailleurs sur Terre, la gestion des massifs forestiers n’est pas des plus aisées. En effet, ceux-ci doivent satisfaire les désirs, parfois fort différents, des acteurs qui s’y retrouvent. « Mais le plus grand défi consiste à trouver le parfait compromis entre gestion forestière et protection de la biodiversité », souligne Jacques Rondeux, professeur émérite de l’Université de Liège, invité par NTF pour sa conférence de printemps.

La gestion durable, une nouveauté ?

Dès le milieu du XIVe  siècle, la France s’est dotée d’un premier « code forestier » visant à garantir la pérennité des massifs forestiers dans le temps, preuve que le concept de gestion durable des forêts n’est pas neuf.

Plus récemment, plusieurs conférences intergouvernementales ont été organisées entre 1990 et 2003 afin de débattre de la protection et durabilité des forêts. Il en découle six critères européens de gestion forestière durable, lesquels intègrent 35 indicateurs dont un quart touche à la diversité biologique dans les écosystèmes forestiers. « Ce critère a gagné énormément d’importance au cours du temps », constate-t-il.

À l’échelle belge, des outils de gestion forestière durable existent également. Ainsi, des plans d’aménagement doivent être élaborés pour les forêts publiques. Les propriétaires privés disposent quant à eux d’un autre instrument : le document simple de gestion.

«On ne peut pas imaginer que la forêt wallonne devienne une usine à bois, ni qu’elle soit mise sous cloche.»

Ces outils intègrent un ensemble d’analyses de la forêt et son environnement, des synthèses permettant de définir ou ajuster des objectifs de gestion ainsi qu’un programme d’actions pour organiser les interventions (coupes et travaux) à exécuter pour atteindre ces objectifs. « En pratique toutefois, si ces instruments guident les propriétaires forestiers, ils ne comportent que trop peu d’indications par rapport à la durabilité. »

Bien connue des forestiers, la certification PEFC se veut également gage de durabilité. Celle-ci s’articule ainsi autour de critères tels que : recherche d’un équilibre forêt-gibier, maintien de bois mort et d’arbres d’intérêts biologiques, renouvellement de la forêt avec des essences adaptées, protection des zones humides…

« En Wallonie, il est clairement évoqué que la certification est une plus-value dans la prise en compte de la biodiversité. D’un point de vue environnemental, la certification est un pas en avant, encore faut-il qu’elle soit appuyée par autres choses que des déclarations de bonnes intentions. »

Estimer les coûts de la biodiversité

À cette fonction écologique qu’est la protection de la biodiversité, s’ajoute un rôle récréatif lui aussi assuré par les massifs forestiers. Toutefois, si les bénéficiaires de ces « services non-marchands » sont nombreux, qui en supporte les coûts et comment sont-ils estimés ? « En France, une enquête a été menée auprès de 450 ménages afin de déterminer s’ils consentaient à payer pour la biodiversité. Résultats : les personnes fréquentant les forêts payeraient 40 €/an ; les autres 33 €/an », explique Jacques Rondeux.

En Wallonie, la valeur économique de la biodiversité pourrait être obtenue en calculant le manque à gagner qu’implique, par exemple, la conversion en zone Natura 2000 d’une parcelle forestière. À ce titre, M. Rondeux souligne au demeurant que la Wallonie est un très bon élève : 13 % de son territoire est référencé Natura 2000, dont 170.000 ha en forêts, soit près de 32 % de la surface forestière régionale.

Sur terre, dans les airs ou  dans l’eau, les forêts wallonnes  sont le berceau d’une  importante biodiversité.
Sur terre, dans les airs ou dans l’eau, les forêts wallonnes sont le berceau d’une importante biodiversité. - J.V.

Par ailleurs, les mesures environnementales relatives au Code Forestier, à Natura 2000 ou encore à la Circulaire biodiversité, ont un impact sur les surfaces dédiées à la production et sur la production elle-même. « L’obligation de régénérer les essences n’étant pas en accord avec le fichier écologique des essences, les limitations de drainage de certains sols ou encore l’interdiction de planter des résineux des certaines circonstances pèsent lourdement sur les projets des propriétaires forestiers », estime-t-il.

Près de 90 % des surfaces touchées par une ou plusieurs de ces mesures sont des pessières (forêts d’épicéas). « À terme, près de 34.000 ha d’épicéas disparaîtront ! »

Avec l’IPB, moins de complications

Afin d’intégrer davantage de paramètres de biodiversité dans les massifs forestiers sans pour autant compliquer le travail des propriétaires, Jacques Rondeux propose de se référer à l’Indice de biodiversité potentielle (IBP). Basé sur la cotation de plusieurs facteurs, celui-ci se veut simple, rapide et pertinent. « Son calcul est accessible à un non-spécialiste des groupes taxonomiques, ne demande pas d’inventaire quantitatif et repose sur des critères connus », détaille-t-il.

Si l’exploitant se doit de respecter la forêt, c’est également le cas des promeneurs. Pour s’en assurer, ces recommandations lui sont adressées à l’entrée de certaines forêts.
Si l’exploitant se doit de respecter la forêt, c’est également le cas des promeneurs. Pour s’en assurer, ces recommandations lui sont adressées à l’entrée de certaines forêts. - J.V.

En pratique, l’IBP se compose de 10 facteurs. Sept sont liés au peuplement et à la gestion : composition botanique, structure verticale du peuplement, bois morts sur pied, bois morts à terre, très gros bois vivants, arbres vivants porteurs de microhabitats et proportion de milieux ouverts. Les trois autres dépendent des conditions stationnelles : ancienneté de la forêt, présence d’habitats aquatiques et présence de milieux rocheux. L’addition des cotes obtenues par ces différents critères permet d’évaluer la biodiversité du massif.

Côté avantage, l’IBP mesure la biodiversité potentielle d’un site, c’est-à-dire sa capacité d’accueil, sans pour autant préjuger de la biodiversité réelle. En outre, il met en évidence les zones les plus intactes sur le plan écologique. Enfin, son calcul permet de visualiser la part de chaque facteur dans la biodiversité globale. Ce dernier point aide le propriétaire à déterminer les mesures utiles à la conservation ou l’amélioration de la biodiversité de sa parcelle.

Vers une gestion participative et adaptative

Jacques Rondeux : « Pour créer les conditions d’un partenariat entre le monde forestier et ceux dont les attentes sont parfois en décalage avec les objectifs de la gestion forestière, il convient de réfléchir et d’agir en termes de gestion participative et adaptative ». Ce mode de pensée permettrait également de satisfaire aux conditions d’une gestion durable et tout en évitant les conflits potentiels d’occupation du territoire forestier,

Par gestion participative, il entend qu’une réflexion soit menée entre propriétaires et gestionnaires quant aux décisions relatives aux actes de gestion forestière. Objectif : construire une forêt dont le choix des fonctions prioritaires résulte d’un engagement réciproque.

Jacques Rondeux
Jacques Rondeux - J.V.

La gestion adaptative s’appuie quant à elle sur les acquis de la recherche scientifique. Elle s’emploie à améliorer la résistance de la forêt par rapport aux perturbations pouvant l’affecter. Elle vise encore à la préparer de manière flexible aux attentes et besoins, parfois imprévisibles, à venir.

Et de conclure : « N’oublions pas que les forêts fournissent, gratuitement et pas seulement à leurs propriétaires, des biens et services comme le paysage, la récréation et la biodiversité. Construire des mécanismes de mise sur le marché de ces biens permettrait d’encourager une meilleure efficience environnementale et économique de la gestion forestière. »

J.V.

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