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Digestat de biométhanisation en culture de pomme de terre: pour favoriser la production et le calibre?

Le digestat est une matière organique dont la production est croissante. Environ 600.000 tonnes sont produites chaque année par plus de 50 stations de biométhanisation wallonnes (Valbiom 2020). À la demande de Protect’eau, l’UCLouvain a mis en place, depuis 2019, des expérimentations visant à étudier l’utilisation du digestat de biométhanisation en tant que fertilisant de la culture de pommes de terre de transformation.

Temps de lecture : 7 min

L’intérêt de l’étude se situe tant au niveau des surfaces potentiellement concernées, qu’au niveau de l’impact sur la qualité de l’eau. La culture de pommes de terre fait partie des classes de cultures à risque d’APL élevé (Azote Potentiellement Lessivable).

Bien que cette étude ne soit pas encore terminée, voici les premiers résultats et enseignements tirés de ces expérimentations. Celles-ci concernent des apports de printemps pour quatre essais. Pour deux d’entre eux, un apport d’été précédant la culture a également été étudié. Des doses croissantes de fertilisation par un engrais azoté minéral sur chaque modalité permettent d’évaluer l’impact des paramètres étudiés sur les facteurs de production et environnementaux.

Les expérimentations ont été menées par l’UCLouvain Earth & Life Institute en collaboration avec les centres d’action de Protect’eau et les agriculteurs qui ont accepté de mettre leurs parcelles à disposition.

Zoom sur les teneurs

Selon les données accumulées par Requasud, les digestats ont une teneur moyenne de l’ordre de 5 kg d’azote total par tonne de matière fraîche, dont 50 % sous forme d’azote ammoniacal (engrais à action rapide). Cette partie est disponible pour la culture, à condition de limiter les pertes par volatilisation. Pour cela, il convient d’incorporer le digestat lors de l’épandage ou directement à la suite de celui-ci, et si possible, dans des conditions météorologiques favorables (peu de vent et d’ensoleillement). Les teneurs peuvent varier en fonction de l’origine du digestat et des matières utilisées comme intrants dans le digesteur. Il est donc particulièrement intéressant de disposer d’une analyse récente pour bien doser l’apport et calculer correctement le complément de fertilisation minérale. Les quantités de phosphore et de potassium sont également non négligeables. (Tableau 1)

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Plus de tubercules et de rendement ?

Après une première expérimentation réalisée en 2019 dans des conditions de sécheresse pénalisant les rendements (28 t/ha), ceux mesurés sur l’essai récolté en 2021 s’avèrent en revanche élevés (49 t/ha sur un site et 50 t/ha sur l’autre site), dans un contexte de pluviométrie abondante. Ces pluies ont provoqué un drainage significatif en début d’été, avec de probables répercussions quant à l’impact des différentes fertilisations étudiées sur les productions et les reliquats azotés.

En 2022, malgré la sécheresse, les rendements (44 t/ha) sont dans la moyenne de ceux observés en Wallonie.

Lors de chaque essai, des doses croissantes d’engrais minéral ont été utilisées en plus du digestat.

Certaines années, les productions de pommes de terre ont été peu influencées par la fertilisation azotée. Les essais de 2021 et 2022 (Beaumont) démontrent une augmentation du rendement avec les apports, mais de manière non significative. La minéralisation de la matière organique du sol a ainsi considérablement contribué aux besoins de la culture.

Dans les deux autres expérimentations (essais 2019 et 2021, près de Sombreffe), l’apport d’engrais minéral a augmenté le rendement de manière significative dès la première dose : 100 kg N/ha suffisent pour obtenir un niveau statistiquement équivalent au maximum.

Du côté des apports organiques, les digestats ont, pour chaque expérimentation, augmenté significativement la production de tubercules, tant en quantité totale qu’en proportion de gros calibres (>50 mm).

En 2021, année particulièrement humide, l’apport de 40 m³/ha de digestat (190 kg N/ha) a permis la production moyenne de 5 t/ha supplémentaires (en calibre >35mm) pour les différentes modalités de fertilisation testées. Sur ce même essai, le digestat a également augmenté la proportion de calibre >50mm de 8 %.

En 2022, année particulièrement sèche et chaude, l’apport de digestat au printemps (160 kg N/ha) a permis une augmentation significative de 3 t/ha de la production totale de tubercules (passant de 42.1 à 45.5 t/ha en >35mm), la proportion de gros calibres passant de 65 % à 71 %. Ces résultats sont obtenus malgré une influence à nouveau faible de la fertilisation azotée sur les rendements.

Lorsque les dates d’apports ont pu être comparées, nous n’avons pas observé de différences significatives entre ceux réalisés en été avant Cipan ou au printemps avant plantation.

L’intérêt d’un apport d’engrais foliaire en cours de culture a également été étudié, lors des applications de fongicides. Il y a encore trop peu de recul sur cette pratique. Jusqu’à présent, l’intérêt de cette pratique au niveau des productions ou des reliquats azotés post-récolte n’a pas pu être mis en évidence.

 

Reliquats azotés avec application d’été ou après Cipan

Les reliquats azotés sont mesurés aux étapes clés de la culture. Avant et après épandage des digestats ainsi qu’en période d’APL. Lorsqu’il y a eu application d’été avant Cipan, on observe une bonne efficacité de celle-ci. Elle produit plus de biomasse et donc présente un APL du même ordre de grandeur que lorsqu’il n’y a pas d’application de digestat. Ce qui n’est évidemment pas le cas en absence de CIPAN, pratique non autorisée par le PGDA, mais réalisée sur quelques m² de l’essai pour mesurer la libération d’azote supplémentaire par le digestat.

Au printemps, au moment d’implanter la culture, les reliquats montrent une quantité d’azote disponible plus élevée après apport de digestat, que ce soit après Cipan fertilisé avec le digestat l’été précédent, ou après l’apport de printemps peu avant la mesure.

Après la récolte, nous observons des reliquats qui croissent avec la fertilisation azotée. L’augmentation est logiquement plus forte lorsque l’azote minéral est apporté en complément du digestat de biométhanisation. Le conseil sans digestat était de 150 kg N/ha, avec digestat d’été de 105 kg N/ha et apport de printemps de 85 kg N/ha.

Dans tous les résultats obtenus jusqu’à présent et avec apport de digestat, on mesure un dépassement du seuil de conformité lorsque le conseil de fertilisation est dépassé. En fertilisation uniquement minérale, l’APL est proche ou au-delà de la conformité en cas de sur-fertilisation.

Que vaut le digestat ?

Le digestat contient de l’azote sous forme organique et ammoniacale, mais aussi du phosphore et du potassium. Si nous tenons compte des coefficients d’efficacité et de la valeur commerciale de ces éléments, nous pouvons estimer la valeur théorique d’un mètre cube de digestat complet à 6 €/m³ (Tableau 2).

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La synthèse des coûts n’a pas encore été réalisée. Toutefois, en se rapportant à l’expérimentation de 2021, les fertilisations à l’optimum donnent un avantage à la combinaison digestat complété avec de l’engrais minéral (Tableau 3). Pour le calcul réalisé, les paramètres sont les suivants : production totale (>35mm, chiffre de 2021) ; prix de vente des PDT = 200 €/t (contrat 2023) ; coût de l’engrais minéral N27 % (en 2023) 485 €/t ; digestat à 404 €/ha (prix 2023, les frais d’épandage varient parfois fortement entre les prestataires).

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À combiner avec une fertilisation minérale

Quelles que soient l'année d’essai et les conditions climatiques, les productions totales et les calibres supérieurs à 50 mm ont été favorisés par l’apport de digestat. Soit en été, juste avant l’implantation de la Cipan, soit au printemps, avant la plantation des pommes de terre.  L’efficacité calculée de cette matière est de 55 %. Cela signifie que l’apport de 100 kg d’azote total sous forme de digestat correspond à une fertilisation minérale de 55 unités d’azote sous forme de N27. Cela s’applique lorsque le digestat est directement incorporé à l’épandage.

La comparaison des rendements obtenus avec les différents traitements organiques en fonction de doses croissantes d’azote permet de mettre en évidence l’intérêt pour l’agriculteur de  combiner un apport organique de type digestat avec une fertilisation minérale adaptée. L’ap port d’engrais minéral doit être limité et faire l’objet d’un conseil de fertilisation. Ainsi, l’engrais apporté en complément du digestat permet d’atteindre un optimum de production et de limiter le reliquat d’azote potentiellement lessivable. Au-delà de cet optimum, l’augmentation de la production devient non significative, tandis que le risque de perte d’azote vers la ressource en eau augmente significativement.

 

En été ou au printemps ?

Quant à la comparaison entre apport d’été et de printemps, le digestat apporté en été avant un couvert d’interculture a présenté la meilleure combinaison. Ce dernier allie un revenu élevé de la production et un reliquat limité d’azote potentiellement lessivable (APL). L’apport de printemps a présenté un intérêt économique élevé, mais les reliquats azotés après récolte sont plus fréquemment non conformes. Pour limiter ce risque, il conviendrait d’adapter la dose épandue au printemps en la limitant à 25-30 m³/ha (150 kg N/ha). L’expérimentation sera poursuivie en 2023 afin d’affiner les préconisations en termes de fertilisations avec du digestat. Les paramètres agronomiques, environnementaux et économiques seront considérés, tout comme le contexte des marchés de plus en plus volatil concernant le prix des engrais et des productions.

D’après Marc De Toffoli,

UCLouvain – Protect’eau

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