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«La ferme doit s’adapter aux ressources naturelles existantes»

La liqueur bleutée de l’air donnait des frissons à l’horizon, ce printemps et son armée en marche des couleurs entraînant une joie diffuse, celle qui traverse la journée et réveille un consentement à vivre. Des pages de lumière se tournent, la rue pentue dégringole vers les prairies constellées de perles de fleurs et de haies vives. À Feschaux, et au bout c’est la France.

Temps de lecture : 8 min

C’est au cœur de ce petit village posé dans la nature beaurinoise, que Thibaut Goret mène son activité agricole, fruit d’une passion pour l’élevage depuis une enfance qu’il qualifie de « joyeuse », peuplée de lapins, moutons, chèvres et d’ânes.

De conseiller en MAEC à agriculteur

Devenir lui-même agriculteur sera donc une évidence rêvée qui deviendra réalité à l’âge de 35 ans, après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur agronome à l’UCL où il décroche, dans la foulée, un premier emploi de conseiller en méthodes agroenvironnementales.

Un métier qui lui offre l’opportunité de suivre plusieurs fermes dans la région de Beauraing et de pleinement s’investir dans le lien entre agriculture et environnement. Il fait aussi partie des fondateurs du mouvement « Terre-en-Vue » qui facilite l’accès à la terre pour des jeunes porteurs de projets agroécologiques.

L’exploitation de Thibaut est ancrée dans cette belle Famenne,  une région avant tout herbagère faite de prairies obligées, terre d’élevage.
L’exploitation de Thibaut est ancrée dans cette belle Famenne, une région avant tout herbagère faite de prairies obligées, terre d’élevage. - M-F V.

C’est dans ce cadre qu’il croise la route, en 2016, d’un agriculteur de Feschaux. À 68 ans, seul sur une exploitation qu’il a convertie en bio, celui-ci est à la recherche d’un repreneur pour pérenniser son activité. Pour Thibaut Goret, il s’agit d’une opportunité en or qu’il concrétise officiellement en avril 2017, en continuant dans un premier temps à travailler à l’extérieur.

Ferme clef sur porte

Thibaut reprend les terrains en location, le matériel et une partie du troupeau de Parthenaises. Une chance, car il s’agit d’une race qu’il apprécie particulièrement pour ses qualités multiples qui sont, pour lui, autant de critères de sélection.

Il s’agit d’une race dont la rusticité convient parfaitement bien à son style d’élevage bio extensif. « Malgré le fourrage maigre en énergie et en protéines qui provient de prairies à haute valeur biologique, les bêtes ne perdent pas de poids en hiver » se félicite-t-il.

« Ce qui ne serait pas le cas pour des Blanc-Bleu-Belge ou de la Holstein qui ont d’autres besoins » développe Thibaut, pour qui « l’agriculteur doit adapter ses choix agricoles au potentiel agronomique et environnemental du territoire dans lequel la ferme se trouve. Et c’est le cas de la Parthenaise en Famenne » illustre-t-il.

La Parthenaise, une « vache parfaite »

Parthenaise rime par ailleurs avec docilité et sensibilité moindre aux maladies, mais aussi avec vêlages naturels.

Il faut dire que Thibaut travaille depuis six ans au niveau de la sélection pour préserver ces caractères, tant et si bien qu’il n’a plus eu de césariennes depuis trois ans.

Fidèle à sa philosophie d’adapter l’élevage aux ressources naturelles de sa région, cela va pour lui de soi d’être à 100% en autonomie fourragère et en faible charge en bétail.  Il tourne d’ailleurs autour de 1UGB par hectare.
Fidèle à sa philosophie d’adapter l’élevage aux ressources naturelles de sa région, cela va pour lui de soi d’être à 100% en autonomie fourragère et en faible charge en bétail. Il tourne d’ailleurs autour de 1UGB par hectare. - M-F V.

« Il s’agit d’une race bien conformée et je fais attention de ne pas me diriger vers des bêtes trop culardes, une tendance dans l’élevage wallon où beaucoup recherchent du muscle et de la performance ».

Pour Thibaut Goret, la Parthenaise a quelque chose de la vache parfaite : elle vêle toute seule, a du lait pour ses veaux qui sont au pis pendant 8 à 10 mois, donne de la viande et rapporte à l’éleveur, économiquement parlant.

Sans oublier sa beauté. Avec sa robe fauve, couleur froment foncé, son museau noir et ses yeux que l’on imagine maquillés de blanc, elle a le don de séduire les éleveurs. Et Thibaut, pour qui « l’esthétique de la bête est aussi un critère important » est tombé sous son charme depuis longtemps.

À cette saison, il en possède 56 têtes dont un taureau, ce qui lui fait une vingtaine de vêlages par an.

Autonomie fourragère et faible charge en bétail

L’exploitation de Thibaut est ancrée dans cette belle Famenne, une région avant tout herbagère faite de prairies obligées, terre d’élevage.

« Ici à Feschaux, j’ai moins de 30 cm de sol et à certains endroits, la roche est même affleurante. Nous sommes sur de l’argile, c’est-à-dire très séchant l’été et très humide en hiver ».

Fidèle à sa philosophie d’adapter l’élevage aux ressources naturelles de sa région, cela va pour lui de soi d’être à 100 % en autonomie fourragère et en faible charge en bétail. Il tourne d’ailleurs autour de 1UGB par hectare.

« Si je dépasse ce chiffre, je n’arriverai plus à nourrir mes bêtes et cela signifierait que je devrais acheter du fourrage ou des aliments qui viennent d’ailleurs, ont donc une empreinte écologique plus marquée et un coût, surtout en bio ».

2020 a malheureusement fait exception à la règle en raison de la sécheresse, le poussant à devoir se tourner vers l’Ardenne pour nourrir ses bêtes.

« Les sécheresses sont d’ailleurs devenues une réalité à laquelle est confronté le monde agricole chaque année. Sur les six dernières années, cinq épisodes de sécheresse ont été reconnus comme calamité agricole à Beauraing ».

Un environnement vertueux

Vertueuse, la façon dont Thibaut Goret conduit son exploitation, l’est assurément. Deux tiers de celle-ci sont en Natura2000, ce qui lui permet d’être préservé de l’urbanisation galopante, laquelle est principalement responsable de la perte du tiers de prairies permanentes perdu en l’espace de 50 ans en Wallonie.

Thibaut connaît sur le bout des doigts les mesures agroenvironnementales qu’il a bien sûr mises en œuvre autour de lui, la première d’entre elles étant la faible charge en bétail (permettant d’être en autonomie) que l’État aide à maintenir grâce à un subside en raison d’un manque à gagner pour l’agriculteur.

«La Parthenaise est une race bien conformée, je fais attention de ne pas me diriger vers des bêtes trop culardes, une tendance  dans l’élevage wallon où beaucoup recherchent du muscle et de la performance » explique Thibaut Goret qui fait de la sélection.
«La Parthenaise est une race bien conformée, je fais attention de ne pas me diriger vers des bêtes trop culardes, une tendance dans l’élevage wallon où beaucoup recherchent du muscle et de la performance » explique Thibaut Goret qui fait de la sélection. - M-F V.

« Je gagne beaucoup moins qu’un autre qui dépensera par contre plus que moi » résume Thibaut dont le modèle agricole résilient lui permet d’amortir les chocs liés au changement climatique et à la raréfaction de certaines ressources.

Pour lui, il faut revenir sur des fermes telles qu’elles ont toujours existé il y a 7.000 ans quand les agriculteurs vivaient naturellement en autonomie fourragère. « Je n’ai rien inventé » sourit-il.

Au cœur de la réserve naturelle domaniale de Rend-Peine

Une bonne vingtaine d’hectares sur les quelque 50 que compte sa ferme, est en haute valeur biologique.

La plupart sont des prairies de fauche, comme celles que l’on retrouve dans la réserve naturelle domaniale de Rend-Peine et qui abritent une centaine d’espèces différentes de plantes et lui fournissent un fourrage de qualité.

« La manière dont je travaille me permet d’informer des consommateurs devenus clients  de la ferme et leur faire comprendre qu’élevage peut rimer avec bocage ».
« La manière dont je travaille me permet d’informer des consommateurs devenus clients de la ferme et leur faire comprendre qu’élevage peut rimer avec bocage ». - M-F V.

« Les prairies maigres sont reconnues comme l’écosystème le plus diversifié au monde en nombre d’espèces par mètres carrés, et c’est grâce aux pratiques de fauche tardive, à l’absence de traitement par pesticides et autres engrais ainsi qu’à la présence de bêtes qui les valorisent, que nous pouvons en préserver la richesse » insiste Thibaut.

Sa ferme comporte un peu plus de 5 hectares de cultures dédiés aux céréales matures ou immatures avec des mélanges de type avoine-triticale-pois dont l’ensemble de la production est destiné au bétail.

Un havre de paix pour les espèces protégées

Thibaut est le seul agriculteur bio de son village. Une orientation naturelle pour lui « car le bio permet de respecter au maximum la nature, de la faire coexister avec l’agriculture ».

Son petit coin de paradis, avec ses 10 % de maillage écologique, en est le plus bel exemple. On y trouve une foultitude de sortes d’insectes, des espèces protégées de chauves-souris dont l’emblématique grand rinolophe.

Huit kilomètres de haies courent sur son exploitation qui compte également un verger où Thibaut a planté 100 arbres fruitiers (pommes, poires, prunes, mirabelles), et une vingtaine de mares dont cinq qu’il vient tout récemment de creuser.

Les prairies de fauche, comme celles que l’on retrouve dans la réserve naturelle domaniale de Rend-Peine abritent une centaine d’espèces différentes de plantes qui fournissent  Thibaut Goret un fourrage de qualité.
Les prairies de fauche, comme celles que l’on retrouve dans la réserve naturelle domaniale de Rend-Peine abritent une centaine d’espèces différentes de plantes qui fournissent Thibaut Goret un fourrage de qualité. - M-F V.

Ses pratiques agricoles, que l’on peut qualifier d’ancestrales, favorisent la présence d’espèces rares, parfois d’intérêt communautaire au niveau de l’Europe telle que la pie-grièche écorcheur qui s’épanouit dans les haies et bosquets et dont les populations abondent particulièrement à Feschaux. Tout comme le triton crêté, une espèce rarissime que l’on retrouve toutefois dans les mares de Thibaut.

Quand élevage rime avec bocage !

Travailler en direct avec le consommateur, c’est encore un autre principe de Thibaut Goret qui ne vend ses bêtes ni aux marchands, ni aux grandes surfaces. Il s’agit d’une question de marges, certes, mais aussi de cohérence avec la philosophie qui sous-tend son travail et sa passion, lui qui souhaite reconnecter le citoyen avec l’agriculture de son territoire et rétablir le lien entre le mangeur et le producteur.

« La manière dont je travaille me permet d’informer des consommateurs devenus clients de la ferme et leur faire comprendre qu’élevage peut rimer avec bocage ». Surtout quand on apprend que sa ferme capte plus de carbone qu’elle n’en émet.

Thibaut Goret et son père lors de lasécheresse du mois d’août 2019. Celle-ci prouve plus que jamais la nécessité de l’agriculture de s’adapter au changement climatique !
Thibaut Goret et son père lors de lasécheresse du mois d’août 2019. Celle-ci prouve plus que jamais la nécessité de l’agriculture de s’adapter au changement climatique ! - Archives Th. Goret.

Thibaut a noué un partenariat avec Claudy Marion, un éleveur bio à Wavreille (Rochefort) qui possède sa propre boucherie à la ferme. Ce qui lui permet de maîtriser toute la chaîne, de la naissance de l’animal à l’assiette.

« J’amène ma bête à l’abattoir, après une maturation d’au moins 10 jours, Claudy découpe ensuite ma viande, je la mets sous vide et je prépare les colis de 10kg moi-même, dont la plupart partent en vente directe chez mes clients. Soit à la ferme, soit à Namur où je me rends une fois par semaine avec ma remorque frigorifique ».

Le bouche-à-oreille a tellement bien fonctionné que Thibaut possède désormais une liste de non moins de 400 clients… sans jamais avoir fait la moindre publicité.

Une petite partie de sa production se retrouve par ailleurs dans les rayons du « Comptoir Paysan », la coopérative de producteurs qu’il a co-fondée avec cinq autres agriculteurs bio à Beauraing. Et de rester ainsi en parfaite harmonie avec la philosophie qui l’anime depuis toujours…

Marie-France Vienne

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