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Une enquête décrypte les attentes et difficultés des jeunes qui se tournent vers l’agriculture

Quelles sont les attentes de celles et ceux qui portent un projet agricole ? Quelles sont les réalités rencontrées sur le terrain par les agriculteurs et chefs d’exploitation récemment installés ? Si ces deux questions ne trouvaient jusqu’ici que peu de réponses, une enquête coordonnée par le Collège des producteurs vient combler ce manque et livre des résultats devant permettre de mieux accompagner les uns et les autres.

Temps de lecture : 7 min

Le renouvellement des générations et la transmission des fermes constituent une préoccupation de premier ordre dans le milieu agricole. Pour preuve, on retiendra ces deux chiffres interpellants : 68 % des agriculteurs ont plus de 50 ans et seuls 22 % ont un successeur connu, selon l’État de l’agriculture wallonne.

Dans ce contexte, les organisations agricoles Grüner Kreis, Fja, Fugea, Fwa, Mig et Unab se sont associées avec le Collège des producteurs afin de mener une enquête portant sur le renouvellement des générations. Celle-ci a été réalisée du 30 mai au 19 juin et s’adressait tant aux agriculteurs récemment installés (depuis moins de cinq ans) qu’aux porteurs de projets d’installation.

« Nos objectifs étaient de mettre en avant les attentes que peuvent avoir les récents et futurs installés, ainsi que les difficultés qu’ils rencontrent, en vue de définir les points à améliorer dans leur accompagnement », éclaire Catherine Bauraind, en charge du projet pour le Collège des producteurs. L’enquête avait également pour ambition de mieux cerner l’importance et les caractéristiques des installations dites « spéciales » (hors cadre familial, à temps partiel, de personnes non issues du monde agricole…).

Trois principales difficultés pour les femmes

Pas moins de 346 répondants ont pris part à l’enquête, parmi lesquels 79 % sont âgés de 40 ans ou moins, soit l’âge maximal pour être considéré comme jeune agriculteur en Wallonie. En détail, 26 % des sondés sont étudiants dans une orientation agricole, 35 % sont porteurs d’un projet d’installation (futurs agriculteurs ou chefs d’exploitation) et 36 % sont des agriculteurs ou chefs d’exploitation récemment installés. Les différents groupes ciblés sont donc assez bien représentés.

Une des premières conclusions concerne les femmes (27 % des répondants). « Au cours de l’enquête, ces dernières ont mis en évidence trois difficultés qu’elles rencontrent. Tout d’abord, elles constatent que certains agriculteurs doutent qu’une femme puisse s’installer à titre principal en agriculture. Deuxièmement, certains travaux physiques forment un frein à leur projet. Enfin, le manque de temps pour la famille et pour soi constitue une crainte supplémentaire », détaille Mme Bauraind.

Évoluer à l’air libre et au contact de la nature, une réelle motivation

Parmi les répondants récemment installés ou porteurs d’un projet d’installation, l’enquête révèle que la principale motivation pour travailler dans le monde agricole est le fait d’évoluer à l’air libre, au contact des animaux et de la nature. Les deux autres principales sources de motivation sont l’intérêt pour l’agriculture depuis le plus jeune âge et le fait d’être indépendant. Notons, malheureusement, que certains répondants se sentent moralement obligés de perpétuer l’exploitation familiale.

L’objectif des répondants, en devenant chef d’exploitation, est d’avoir un travail en adéquation avec leurs valeurs, d’être son propre patron et/ou de travailler à l’air libre et avec des animaux.

Si l’on s’attarde maintenant sur les porteurs de projets, l’enquête montre que 83 % d’entre eux prévoient de s’installer dans les cinq ans. Ils visent une grande variété de secteurs mais les principaux restent l’élevage bovin (pour 66 % d’entre eux) laitier ou allaitant et les grandes cultures. « Cependant, si l’on analyse les résultats des répondants récemment installés, on constate que ce sont les grandes cultures et pommes de terre qui attirent la majorité des suffrages (41 %, alors qu’elles ne sont plébiscitées que dans 25 % des projets), suivies par les bovins laitiers (32 %) et les bovins allaitants (20 %). » Cela témoigne d’un certain décalage entre les projets et la réalité des mises en œuvre.

Pour 56 % des répondants, être chef d’exploitation, c’est avoir un travail en adéquation avec ses valeurs.

Enfin, le Collège des producteurs et ses partenaires se sont intéressés au type d’agriculture pratiquée. Les porteurs de projets plébiscitent l’agriculture conventionnelle (56 %), suivie de l’agriculture bio (17 %), de la qualité différenciée (12 %) et de l’agriculture partiellement bio (5 %). 9 % des répondants n’ont pas encore arrêté leur choix.

Ces chiffres sont en cohérence avec ce que l’on observe sur le terrain. Ainsi, les récents installés ont fait des choix similaires, à quelques points de pourcentage près : agriculture conventionnelle (61 %), agriculture bio (22 %), qualité différenciée (8 %), en conversion (5 %), partiellement bio (3 %).

Des reprises familiales… et dans la continuité

L’agriculture demeure une histoire de famille, et cela se ressent dans les résultats de l’enquête. Ainsi, les porteurs de projets sont 70 % à affirmer que leur installation consiste en la reprise de l’exploitation familiale. 67 % des récents installés ont, eux, effectivement concrétisé ce souhait.

Dans 70 % des cas de reprise familiale, on observe une continuité au niveau des spéculations et des diversifications existantes sur la ferme.

« Pour un meilleur accompagnement, de nombreux répondants souhaitent pouvoir disposer d’une personne de contact qui servirait de référent pour la ferme, entre autres pour les aspects administratifs », livre Catherine Bauraind.
« Pour un meilleur accompagnement, de nombreux répondants souhaitent pouvoir disposer d’une personne de contact qui servirait de référent pour la ferme, entre autres pour les aspects administratifs », livre Catherine Bauraind. - J.V.

Ces chiffres traduisent également que certaines activités voient le jour d’une autre manière. Ainsi, 3 % des récents installés affirment avoir repris une exploitation hors du cadre familial tandis que 30 % d’entre eux ont créé leur propre exploitation. Les porteurs de projets agricoles sont, eux, 17 % à envisager une reprise hors cadre familial et 13 % à s’orienter vers la création d’une nouvelle exploitation.

Dans 70 % des cas de reprise familiale, on observe une continuité au niveau des spéculations et des diversifications existantes sur la ferme.

Mais pourquoi créer sa propre exploitation alors que tant d’agriculteurs cherchent des repreneurs ? « Dans 55 % des cas, les répondants ne trouvent pas d’exploitation qui correspond à leur projet et la transformation d’une exploitation existante est trop coûteuse », répond Catherine Bauraind. Et de confirmer cela par quelques chiffres : les offres d’exploitations ne répondent pas (ou seulement partiellement) aux attentes en termes de prix de vente et/ou rentabilité pour 73 % des répondants, de conditions de vie pour 65 %, d’accès au crédit et/ou garanties pour 65 % et d’infrastructures pour 58 %.

Et comment les porteurs de projets recherchent-ils une exploitation, lorsqu’ils ne peuvent accéder au métier d’agriculteur par le biais d’une reprise familiale ? Dans 77 % des cas, les recherches se font par le bouche-à-oreille. Arrivent en deuxième et troisième positions le recours aux agences immobilières (38 %) et les petites annonces dans les journaux agricoles (35 %). « Il ressort également de l’enquête que 67 % d’entre eux sont favorables à la création d’un outil de centralisation des offres de vente. »

Des pistes pour un meilleur accompagnement

Une installation, qu’elle s’envisage dans le cadre familial ou non, requiert bien souvent un accompagnement. Ainsi, l’enquête menée par le Collège des producteurs et ses partenaires nous livre un chiffre à ce sujet : 63 % des récents installés ont été accompagnés dans leur projet. Ils ont principalement eu recours aux conseils administratifs (46 %), en gestion (26 %) et juridiques et/ou financiers (20 %).

De leur côté, les porteurs de projets sont 64 % à connaître au moins une structure d’accompagnement. Leurs principales demandes concernent les démarches administratives (69 %), les calculs de rentabilité (43 %) ainsi que les conseils financiers (43 % également).

69 % des porteurs de projets attendent des conseils sur les démarches administratives à effectuer.

Ne niant pas le fait qu’une installation ne peut se faire sans rencontrer de difficultés, un volet de l’enquête s’est concentré sur celles-ci. Avec des résultats sans équivoque.

Chez les porteurs de projet, les principaux obstacles sont l’accès au foncier (46 %), les difficultés financières liées aux emprunts (45 %) et les incertitudes concernant la rentabilité des exploitations (44 %). Alors que chez les répondants déjà installés, les principales difficultés sont administratives (65 %), ensuite viennent les complications liées à l’accès au foncier (43 %) et à la rentabilité de l’exploitation (37 %).

Sur base de ces différents résultats, il a également été demandé aux répondants comment améliorer l’accompagnement à l’installation. « Le point le plus important, c’est l’aide nécessaire dans les démarches administratives (Afsca, Pac, Spw…). La possibilité de disposer d’une personne de contact compétente, qui servirait de référent pour l’exploitation, est fréquemment évoquée », relève Catherine Bauraind.

Les autres pistes ciblent l’instauration d’un accompagnement global, qui se poursuit après l’installation ; la possibilité de disposer d’une étude de viabilité économique du projet ; la mise en place d’un accompagnement spécialisé pour les spéculations moins courantes en Wallonie ; et, enfin, la création d’un service pro-actif qui identifie les cédants et fait le lien avec les repreneurs potentiels. Notons, à ce propos, que les syndicats agricoles sont déjà actifs en la matière.

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Outre ces principaux enseignements, de nombreuses autres statistiques sont encore disponibles auprès du Collège des producteurs (www.collegedesproducteurs.be).

J. Vandegoor

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