Choyer les auxiliaires, pour en faire des alliés de premier choix
Les insectes nuisibles, sources de pertes de rendement et de qualité des cultures, sont des herbivores. Ils consomment les plantes. Mais comme tout maillon de la chaîne alimentaire, ils sont, eux aussi, consommés par d’autres. Les ennemis de nos ennemis sont alors nos alliés. Encore faut-il bien les connaître et les reconnaître afin de les choyer.

Les ennemis des nuisibles peuvent être des prédateurs, qui consomment leurs proies pour s’alimenter, ou des parasitoïdes, qui pondent leurs œufs dans (ou parfois sur) un hôte dont la larve se nourrira jusqu’à le tuer.
Les principaux insectes prédateurs sont les coccinelles, certaines espèces de syrphes, les chrysopes, la majorité des espèces de carabes, les cantharides, les staphylins, ainsi que les araignées. Les parasitoïdes sont, en général, des micro-guêpes.
La lutte biologique dite « par conservation » vise à aménager et gérer l’environnement pour favoriser leur présence et leur action de régulation des nuisibles. Choyer ces alliés revient à leur fournir de la nourriture et des abris, et à ne pas les trahir.
Des sources de nourriture variées
Les auxiliaires s’alimentent à partir de diverses sources de nourriture.
Du nectar et du pollen
Les syrphes et les chrysopes consomment uniquement du nectar et du pollen au stade adulte, et ce sont les larves (de certaines espèces) qui sont prédatrices, notamment de pucerons. Le nectar est aussi la ressource alimentaire essentielle des guêpes parasitoïdes avant qu’elles pondent leurs œufs dans leurs hôtes. Pour ces auxiliaires, la présence de fleurs est dès lors indispensable.
Néanmoins, toutes ne leur conviennent pas. Ayant des pièces buccales courtes, il leur faut des fleurs au nectar facilement disponible. C’est le cas des apiacées (carotte sauvage, berce, cerfeuil sauvage, coriandre), de nombreuses astéracées (achillée millefeuille, grande marguerite, centaurées, chicorée sauvage) ou encore du géranium des Pyrénées et du sarrasin.
Pour les ligneux, c’est le cas des Prunus (prunelier, cerisier), des saules, de l’érable champêtre et de la bourdaine, parmi d’autres.
Des proies alternatives
Les larves et les adultes de coccinelles sont, elles, essentiellement carnivores. Leur présence sera donc largement liée à celle de proies. Afin de maintenir les coccinelles à proximité, prêtes à intervenir en cas d’attaque dans les cultures, il est nécessaire de leur fournir des proies alternatives, c’est-à-dire des proies qui ne sont pas des insectes nuisibles des cultures.
Certaines espèces de plantes sont particulièrement sujettes à des infestations de pucerons spécialistes de celles-ci pouvant assumer ce rôle. C’est le cas de différents ligneux (le sureau, le frêne, le sorbier, l’alisier) et de quelques herbacées telles que les centaurées.
Par ailleurs, certaines plantes cultivées présentent des compatibilités intéressantes. Par exemple, les féveroles et les vesces sont hôtes du puceron noir de la fève (Aphis fabae) et du puceron vert du pois (Acyrthosiphon pisum), qui ne sont pas problématiques pour les céréales, et peu problématiques pour la betterave puisqu’ils ne transmettent pas les virus responsables de la jaunisse.
Au-delà des coccinelles, la présence de proies alternatives bénéficiera à un panel de prédateurs généralistes. C’est le cas des carabes, des cantharides, des staphylins et de diverses araignées. Ayant des régimes alimentaires diversifiés, leur cycle de développement n’est pas synchrone à celui de proies particulières. Ces auxiliaires peuvent donc être présents dans l’environnement avant même les premières infestations de nuisibles des cultures. Encore faut-il leur fournir des endroits où s’abriter.
Quels abris ?
Les parcelles cultivées sont, par définition, des milieux perturbés du fait de l’ensemble des opérations culturales réalisées. Ces perturbations, en particulier le travail du sol, sont défavorables à de nombreux auxiliaires, notamment ceux qui passent l’hiver en dormance, au stade larvaire ou de pupe (ou « cocon »), dans ou à la surface du sol.
Ainsi, les habitats pérennes (haies, bandes fleuries ou herbeuses pluriannuelles), ou au minimum non labourés avant l’hiver, verront deux à trois fois plus d’auxiliaires émerger au printemps que les parcelles cultivées sous labour.
Par ailleurs, certains auxiliaires (parfois les mêmes) passent l’hiver au stade adulte dans les creux des écorces, dans des litières et amas de feuilles mortes, et bénéficient des lisières forestières et des haies en particulier orientées au sud car plus chaudes.
Enfin, ces aménagements représentent des zones refuges aux pesticides.
Les pesticides : défavorables aux auxiliaires
Si la lutte biologique doit permettre de se passer de l’usage d’insecticides, les pesticides en général sont largement néfastes aux auxiliaires. Bien que censés cibler les nuisibles, les insecticides peuvent avoir des effets létaux sur les prédateurs et les parasitoïdes. Les herbicides et les fongicides, eux, sont la cause d’effets sublétaux, c’est-à-dire impactant négativement la physiologie et le comportement des insectes.
Par ailleurs, les insecticides, en éliminant les nuisibles, anéantissent les proies et les hôtes des auxiliaires. Ces derniers n’ayant plus de ressources dans les champs traités iront trouver de quoi se nourrir et faire leur cycle ailleurs. Ils seront alors absents lorsque les nuisibles reviendront, ce qui tend à accentuer les problèmes et à inciter à traiter à nouveau, dans un cercle vicieux.
Plus généralement, en éliminant insectes, plantes et micro-organismes, les pesticides éliminent des maillons essentiels des chaînes trophiques auxquelles les auxiliaires appartiennent. Les herbicides réduisent drastiquement l’abondance et la diversité floristique dans les paysages agricoles, ce qui impacte l’ensemble des auxiliaires se nourrissant de nectar et de pollen à certains stades de leur développement (syrphes, chrysopes, parasitoïdes, et coccinelles accessoirement).
Aussi, insecticides et pesticides à large spectre ont des effets néfastes sur l’abondance et la diversité de la faune du sol, qui est une source essentielle de proies alternatives pour les prédateurs généralistes rampant (carabes, staphylins, larves de cantharides).
Favoriser la lutte biologique : des leviers d’actions soutenus financièrement
Offrir de la nourriture et des abris est possible en aménageant des habitats propices à la biodiversité. C’est le rôle des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) et de l’éco-régime « Maillage écologique ».
Les bandes fleuries pluriannuelles (MC7, rémunérées à hauteur de 2.000 €/ha) sont particulièrement favorables à la préservation des prédateurs et des parasitoïdes. Les haies fourniront aussi des habitats stables, et souvent les premières ressources alimentaires à la sortie de l’hiver si elles sont composées d’essences adéquates. Les jachères mellifères (rémunérées à hauteur de 700 €/ha) complètent la boîte à outils, avec la possibilité de changer leur emplacement en adéquation avec la rotation des cultures (engagement annuel).
Les aménagements doivent être des sources d’auxiliaires qui coloniseront les cultures durant les périodes d’infestations de nuisibles, avant de retourner s’y ressourcer ou y passer l’hiver. Favoriser ces allées et venues implique d’allonger les longueurs d’interface, c’est-à-dire les surfaces d’échanges entre l’habitat et la culture. À surface égale, il est donc préférable d’implanter de longues bandes étroites plutôt que des blocs de parcelles fleuries dans des coins de champs.
Par ailleurs, il est estimé qu’un aménagement fleuri aura un effet positif sur la lutte biologique jusqu’à environ 30 m de celui-ci. Il est donc recommandé d’implanter un aménagement tous les 60 m, avec pour conséquence un redécoupage des plus grandes parcelles.
Offrir des ressources florales, des proies alternatives et des abris pérennes pour l’hiver via des aménagements en longueur (bandes fleuries, haies) tous les 60 m de culture, et leur faire confiance (éviter les insecticides en particulier) ; ainsi pouvons-nous choyer les alliés et bénéficier de leurs services pour réguler les nuisibles des cultures.
Natagriwal