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Congé pour motif d’exploitation personnelle: et si le motif n’est pas respecté?

Les précédentes parutions étaient consacrées à un examen approfondi des conditions de validité légale des congés pour le motif d’exploitation personnelle, tant sur le plan des délais (de notification et de préavis), de forme et de fond.

La présente parution, qui clôturera cet examen global du congé pour le motif d’exploitation personnelle, concerne, en tant que tel, l’après-congé, plus précisément l’après-validation du congé et, plus précisément encore, la façon dont les choses doivent se passer après l’échéance du délai de préavis.

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Il s’agit donc d’examiner ce que doit respecter, au titre d’obligations, le bénéficiaire du congé et le propriétaire (s’ils ne sont pas la même personne).

Une exploitation effective et continue durant 9 ans

L’obligation première ressort de l’article 9 al.1er de la loi sur le bail à ferme : « L’exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8 (NDLR : le motif de l’exploitation personnelle), doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s’il s’agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés ».

Le bénéficiaire du congé, qu’il soit le bailleur ancien ou un parent légalement éligible, doit donc assumer, sur les biens dont congé, une exploitation personnelle, effective et continue. Ceci suppose qu’il doit lui-même, à titre strictement personnel, les exploiter dans le cadre de son activité agricole professionnelle. Et cette obligation doit durer, dit la loi, neuf années. Ceci permet donc de soutenir que la partie n’est pas (définitivement) toujours gagnée par le seul fait de la validation du congé. Encore faut-il respecter l’obligation d’exploitation personnelle, à la lettre peut-on dire puisqu’en cas de litige, le respect de cette obligation est strictement apprécié par les Cours et Tribunaux.

Des sanctions prévues

Si l’on parle, à ce stade, de cours et tribunaux, c’est parce que l’obligation d’exploitation personnelle durant neuf années est loin de n’être que purement théorique. De fait, son irrespect peut entraîner une sanction, elle-même contenue à l’article 13 de la loi sur le bail à ferme, ainsi rédigé : « (1). Le preneur qui a évacué les lieux loués à la suite d’un congé donné pour exploitation personnelle a droit à sa réintégration dans les lieux loués avec dommages-intérêts ou, s’il le souhaite, aux dommages-intérêts seuls, si, sans motifs graves, plus de six mois et moins de neuf années après l’évacuation du bien, celui-ci ne se trouve pas exploité par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation. En cas de contestation, la charge de la preuve incombe à celui ou à ceux en faveur de qui le congé a été donné. (…) ».

Il se comprend ainsi, de la lecture dudit article 13, qu’en réalité, le preneur évincé des biens dont congé a un droit de regard sur l’après et, s’il estime que l’après libération ne correspond pas à l’intention annoncée par le bailleur dans le congé, soit l’exploitation agricole personnelle par tel ou tel bénéficiaire, ledit preneur évincé dispose d’un droit d’agir, organisé par la loi, pour s’en plaindre devant le Juge de Paix… Ce droit d’agir tendra soit à la réintégration, soit à l’obtention de dommages et intérêts, soit les deux. Les conditions d’application de l’article 13 sont strictes.

Sauf si justification d’un motif grave

En premier ordre, à dater de l’évacuation du bien loué, le bénéficiaire du congé dispose de six mois au maximum pour entamer son projet d’exploitation, projet d’exploitation qui doit se poursuivre durant neuf années au moins. Ce n’est que si le bénéficiaire du congé n’assume pas son projet d’exploitation durant cette fourchette de temps que le preneur évincera pourra songer à agir sur base de l’article 13 de la loi. Et encore, puisque, si le bénéficiaire du congé qui n’assumerait pas cette exploitation personnelle durant la fourchette de temps susdite, peut justifier d’un motif grave, toute action basée sur l’article 13 devrait se voir sanctionnée d’un rejet, pour autant, évidemment, qu’il soit réellement question d’un motif grave.

La notion de motif relève de l’appréciation du Juge saisi, la loi ne définissant par la notion. La doctrine et la jurisprudence ont été amenées à se pencher sur les contours de la notion, puisqu’il est évident qu’il ne suffit pas de brandir le panneau « motif grave » pour être dédouané de l’obligation d’exploitation personnelle consécutive à la validation d’un congé. Peuvent, par exemple et selon les circonstances, constituer un motif grave : décès, accident, maladie, changement de profession, difficultés pécuniaires imprévisibles…

Le bénéficiaire du congé qui n’assumerait pas l’exploitation personnelle durant la fourchette de obligatoire, peut justifier d’un motif grave.
Le bénéficiaire du congé qui n’assumerait pas l’exploitation personnelle durant la fourchette de obligatoire, peut justifier d’un motif grave. - D.J.

Dans les trois ans de l’évacuation ou de la cessation

En second ordre, l’introduction d’une action basée sur l’article 13 de la loi est, elle-même, soumise au respect de certains délais qu’il convient de respecter. En effet, l’article 13 s’achève par un alinéa 3 dont les termes sont les suivants : « La demande de réintégration ou de dommages-intérêts basée sur le défaut de réalisation de l’intention annoncée par le bailleur dans le congé, doit être introduite dans les trois ans de l’évacuation du bien loué. Celle qui est basée sur la cessation prématurée de l’occupation doit l’être dans les trois ans qui suivent cette cessation » . Le délai est donc identiquement de trois ans, sauf qu’il prendra cours à dater de l’évacuation du bien loué lorsqu’il s’agira de reprocher un défaut de réalisation de l’intention annoncée par le bailleur dans le congé et à dater de la cessation de l’occupation lorsqu’il s’agira de reprocher la cessation prématurée de l’occupation.

On l’aura compris : quand on « vend un projet » à un preneur en place et/ou à un Juge en cas de contestation du projet et que ce projet est accepté, par qui que ce soit, encore faut-il le respecter à la lettre parce que le retour de flammes peut être très douloureux à accepter.

Rappelons que la matière est complexe: mieux vaut donc être conseillé que d’agir tout seul «dans son coin».

Henry Van Malleghem,

avocat au barreau de Tournai

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