Bruno Toussaint : «J’ai eu la chance de juger les plus belles vaches d’Europe!»
Belges, Suisses, Françaises… des milliers de vaches de différentes nationalités sont déjà passées sous les yeux de Bruno Toussaint. Le temps d’un concours, ce juge de renommée internationale scrute chaque bovin avec précision, repérant le moindre défaut comme les qualités d’une future championne. Un savoir-faire qui lui a permis de travailler dans les plus grandes expositions et de se faire un véritable nom dans le milieu. Aujourd’hui, il nous dévoile les coulisses de cette fonction, mais aussi la manière dont elle a évolué au fil du temps.

Lorsqu’il parle de sa passion pour les Holstein et de son parcours de juge, Bruno Toussaint a l’œil qui pétille. Pas de doute, à 42 ans, cet habitant de la province de Liège est toujours animé du même enthousiasme pour ces vaches laitières. Une passion qui a ponctué sa vie, de son enfance à son métier. En effet, il est tombé dans la marmite quand il était petit, grâce à ses grands-parents, agriculteurs. « Et j’ai toujours aimé ce monde », confie-t-il.
Plus de 600 animaux analysés en seulement deux jours !
Quelques années plus tard, en 2001, il remporte l’école des jeunes éleveurs à la Foire de Battice. Sa carrière était lancée… Grâce à ce titre, de nombreuses portes s’ouvrent à lui. Tout d’abord, il parvient à se forger une renommée internationale dans la préparation des bêtes de concours.
« J’ai fait cela pendant plusieurs années. J’en prépare encore, mais plus à la même fréquence. Il y a une dizaine d’années, je partais une centaine de jours par an à l’étranger. Je suis allé en Espagne, en Italie, au Canada, aux États-Unis… On m’appelait pour aller tondre des vaches de l’autre côté de l’Atlantique ! », explique celui qui se rendra à Paris ce week-end pour le Salon international de l’agriculture.
Puis, au fil des rencontres, on lui propose de juger. D’abord, il participe à des petites expositions, pour ensuite passer aux plus gros événements. « J’ai également suivi des formations organisées par le Herd-Book, toutefois c’est surtout sur le terrain que cela s’apprend ». Une connaissance et un œil plus qu’aiguisés, appréciés par de nombreux organisateurs, belges et internationaux.
Ainsi, en 2018, il a jugé les laitières françaises lors du national organisé au Space à Rennes. Parmi les concours qui l’ont marqué, citons également le Junior expo à Bulle, en Suisse, où il a vu plus de 600 animaux sur deux jours. « Il faut vraiment une grande concentration. Je n’avais pas mon podomètre, mais à mon avis, j’ai battu des records », confie-t-il en souriant.
Pas pour l’argent, mais une fierté
S’il lui arrive aussi de juger des Brune Suisse et des Jersey, bien que les Holstein prennent 90 % de son temps, Bruno n’est pas payé pour cette fonction. Seuls les frais sont pris en charge par l’organisation. S’il y va, c’est donc principalement par passion et parce qu’« il s’agit d’une fierté ».
Pour la préparation, en revanche, il touche une rémunération. « Néanmoins, ce sont des fonctions différentes. En termes de temps également, puisque pour préparer des animaux, il m’arrive de partir une semaine… ».
Lorsqu’on est juge, certaines années sont bien remplies, tandis que d’autres sont plus calmes. En effet, il est rare d’être appelé pour juger deux fois le même concours. « En Belgique, nous sommes 4-5 juges qui tournons à l’étranger », ajoute-t-il.
Par ailleurs, même s’il a toujours baigné dans le milieu agricole, ne vous attendez pas à trouver une exploitation en vous rendant chez lui puisqu’il n’exerce pas la profession d’agriculteur. Lorsqu’on lui demande s’il n’a jamais eu envie de se lancer dans l’élevage, il répond avec sincérité : « Oui, cela m’est passé par la tête, mais en Belgique, reprendre une exploitation, ce n’est pas évident. Cependant, si mon père avait eu une ferme, j’aurais franchi le cap. Toutefois, je n’aurais alors pas eu l’opportunité de partir comme je l’ai fait, car il y aurait eu du travail à la maison… ».
Néanmoins, cela ne l’a pas empêché d’être immergé au quotidien dans l’univers de l’élevage laitier. Titulaire d’un graduat en agronomie, il travaille comme conseiller génétique chez Inovéo. Il y vend des doses d’insémination, principalement sur la province de Liège. Une fonction pour laquelle son carnet d’adresses est plus que précieux. « Par exemple, si l’on veut obtenir un renseignement à l’étranger sur certains lots de descendance d’un taureau, je sais qui appeler ! ».
Le revers de la médaille ? Il faut rester d’une impartialité à toute épreuve, et ce même lorsqu’il se retrouve sur le ring face à des personnes qu’il fréquente régulièrement…
Une même ligne de conduite et une impartialité indiscutable
« Le plus compliqué, c’est lorsque l’on connaît beaucoup de gens dans le milieu. J’ai déjà eu l’opportunité de juger des vaches que j’ai préparées, voire présentées lors de concours. Parfois, je sais aussi qu’elles ont obtenu d’excellents résultats dans des compétitions prestigieuses », confie-t-il.
Objectif, il tient à garder sa ligne de conduite lorsqu’il foule le ring. À chaque jugement, il analyse tous les animaux de manière identique et accorde le même temps à chaque candidate. Lorsqu’il en a la possibilité, il prend également le soin d’expliquer le classement aux éleveurs dont les vaches terminent au-delà des cinq premières de section. Un réel travail de communication et de transparence, où il faut savoir pointer les défauts tout en valorisant les qualités des participantes.
En amont des compétitions, également, Bruno avance avec une prudence de Sioux. S’il sait que, le jour J, son jugement sera impartial, il tient à éviter toute confusion des genres. « Par exemple, si j’étais allé à Agridays (voir encadré), je savais que certains de mes clients d’Inovéo allaient y participer. Je leur ai bien précisé que je ne voulais pas voir leurs animaux avant le concours. Pour le Space, à Rennes, un mois avant, j’ai préparé des bovins pour une vente d’élite et j’ai fait attention à ne pas visiter d’élevages de la région après ce travail ».
Bref, tout est fait pour que son intégrité ne soit jamais remise en cause. Et lorsqu’on lui demande si certains ont déjà tenté de l’influencer, il rétorque du tac au tac : « Ça ne servirait à rien ! ».
Des animaux adaptés aux réalités du terrain
Nourri de ses voyages et de ses rencontres dans le quotidien des fermes, il sait quels sont les types de laitières dont les gens ne veulent plus dans leur étable. En une trentaine d’années, les Holstein ont évolué et pris une quinzaine de centimètres. Pourtant, à présent, il n’est plus question d’aller dans les extrêmes avec des bovins de grande taille. Si, à l’époque, celles qui remportaient des titres étaient des vaches « tape-à-l’œil, des top models », aujourd’hui, les juges privilégient des animaux productifs et capables de s’inscrire dans le temps. Il faut également que chaque éleveur puisse s’y identifier.
« Pour moi, une gagnante de concours est une laitière capable de faire rêver tout le monde. Solide, elle doit pouvoir se déplacer dans n’importe quel système d’élevage. Les points les plus importants sont les pieds et membres ainsi que le système mammaire, ce qui permet aux bêtes d’être aptes à bien vieillir. Par exemple, j’ai eu l’opportunité d’acheter quelques animaux en copropriété, et cette année, nous allons exposer l’une d’elles à Paris. C’est la plus vieille vache du concours. À 14 ans, elle en est à sa 11e lactation et a produit 130.000 litres de lait ! Je l’avais repérée dans le sud-ouest de la France, et elle est à présent dans un élevage de cette région ».
Vous l’avez donc compris : ce n’est pas la plus grande ni la plus grosse qui repartira avec le gros lot. À ce propos, l’une des erreurs les plus courantes est justement d’inscrire un animal parce qu’il est grand, alors que pour Bruno, une jeune vache grande et frêle, c’est rédhibitoire !
Cette race s’est également développée au niveau de la qualité de ses systèmes mammaires. « À un certain moment, on est allé trop loin avec des trayons trop courts et serrés ». Maintenant, ces pis extraordinaires doivent être adaptés à tous les types de traite, du robot à la salle, avec des trayons correctement placés.
Une bonne communication
Lors des compétitions, alors que les participants attendent avec impatience les résultats, dans la tête du juge, la concentration est au rendez-vous pour établir un classement. Il repère les bovins du top 5 ou 10, ceux classés dans le 1er, le 2e ou le 3e tiers. Parfois, il arrive que le spécialiste ait un coup de cœur… Lorsqu’une participante fait ses premiers pas sur le ring, il peut rapidement y déceler une future championne.
Ensuite, place aux explications, micro en main.
« C’est une habitude. Bien qu’il y ait toujours un petit stress lorsqu’on commence. Pour certaines expositions, je peux avoir un peu le trac. Le tout, c’est de le faire partir le plus vite possible ». Ce qui l’aide ? Garder, justement, sa ligne de conduite ou s’entraîner. « Avant un gros concours, il peut m’arriver de réaliser une classe fictive dans ma voiture et de relire du vocabulaire pour enrichir mon champ lexical ».
Et bien qu’il ait déjà parcouru des milliers de kilomètres pour assurer son rôle, certains événements continuent de le faire rêver. « En général, ce sont des juges français qui y officient, mais le Salon international de l’agriculture à Paris, cela me plairait beaucoup. Il y a aussi la Nuit de la Holstein ».
Autant de rendez-vous prestigieux pour ce passionné, toujours prêt à juger les plus belles vaches de notre continent.