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Terres rares

En Ardenne, les vraies bonnes terres sont rares, admettent volontiers les agriculteurs de chez nous. Elles sont situées sur les plateaux, là où du limon éolien s’est déposé à l’époque des mammouths et des rhinocéros laineux, sur une épaisseur de 80 cm au grand maximum et sur des plages de quelques hectares. Rien de comparable, par exemple, avec la vaste plaine du Tournaisis où deux mètres d’alluvions de l’Escaut se sont accumulés. Les veinards !

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Ces terres « rares » ne représentent qu’une très faible partie de la surface agricole utile en Centre-Ardenne ; quelques îlots disséminés parsèment la large crête vallonnée entre Bastogne et Recogne-Libramont. Pour le reste, les fonds de vallée sont hydromorphes et les pentes sont infestées de pierres de quartz et de schiste. La couche arable ne dépasse nulle part 40 centimètres, hormis les quelques poignées d’hectares de cette miraculeuse terre rare, de çà de là.

Ce qui est rare est très convoité… Ce furent des terres évaluées « à mille points » dans le classement établi lors des remembrements des années 1980-90. Elles valaient le double de la moyenne, et jusqu’à cinq à dix fois les plus mauvaises terres. Celui qui en possédait ne voulait pas les lâcher, et cet attachement viscéral créait des discussions sans fin pour réaliser le regroupement des parcelles.

Des palabres, des marchandages, des malentendus, des jalousies, des disputes sur fond de vieilles rancœurs familiales ou villageoises, des recours, des menaces, des accords reniés, des paroles non tenues, des arrangements à la mords-moi-le-noeud… Ces terres rares provoquaient des petites guerres entre agriculteurs, arbitrées par les instances administratives, sidérées par certaines réactions épidermiques, et qui finissaient par trancher dans le vif à l’arrache.

Faire la guerre pour des terres rares ! Ça ne vous dit rien ? La mafia Trump des États-Unis essaye de faire main basse sur celles d’Ukraine, en échange d’un hypothétique soutien militaire. Ces terres rares - vraiment rares ! - renferment des éléments chimiques stratégiques, utilisés dans la fabrication de matériel informatique, les écrans tactiles, les smartphones, les satellites, etc. Le déploiement à grande échelle des énergies vertes serait tout simplement impossible sans ces molécules très particulières. Les technologies de pointe embarquées dans les engins agricoles et tous les véhicules, dépendent absolument de ces terres rares, dont la valeur ne cesse de croître.

Elles valent plus chère que des vies humaines, serait-on tenté d’affirmer, quand on voit de par le monde des tensions infernales se créer autour d’ elles. Ces terres dites « rares » font partie des « minerais critiques », essentiels aux technologies modernes qui consomment par ailleurs des quantités affolantes de cuivre, cobalt, lithium pour les batteries, etc. Ces éléments sont indispensables à notre confort moderne, aux industries, à l’agriculture intensive…, à la sacro-sainte « croissance économique ».

À l’évidence, ces terres rares & Cie font l’objet du désir le plus intense qui soit de la part des maîtres de la Terre. Ils sont prêts à tout leur sacrifier ! Pas uniquement les Russes et les Américains… Les Européens de l’Union ne valent guère mieux sur ce sujet. Bien sûr, ceux-ci ne mèneront pas de guerre meurtrière pour s’emparer de ces minerais critiques. Nous autres du Vieux Continent sommes civilisés… Ursula von der Leyen et ses eurocrates se contentent de signer tous azimuts des traités et des accords bilatéraux avec des pays comme ceux du Mercosur, avec le Chili et la Bolivie, sans oublier l’Afrique et ses ressources minières pillées sans vergogne par les gentils Européens depuis des siècles, et parmi eux, nous autres gentils Belges qui fourrons notre nez au Congo depuis 140 ans.

Oh mais zut ! Le Congo n’est plus à nous, alors il faut lorgner ailleurs, faire du commerce, laisser entrer chez nous des produits agricoles qui serviront de monnaie d’échange. « Terres rares » contre « paysans du terroir », lithium contre agriculture européenne. Nous valons moins que ces terres rares-là et les métaux critiques. C’est ainsi ! « Terres rares agricoles », les paysans savent pourquoi ! Eux-mêmes se sont démenés quelquefois pour en obtenir, aux dépens d’un plus pauvre paysan, d’un moins agressif, d’un moins gourmand. Ils se sont battus et se battent encore à coups de surenchères, de luttes d’influence pour agrandir sans cesse leurs exploitations.

Au-dessus de ces agricul-tueurs avaleurs de terres, sévissent des super-prédateurs : les sociétés agricoles et d’autres spéculateurs qui investissent leurs sous-sous dans l’or brun des terres arables. Ce n’est pas joli joli, et même vilain vilain, mais à leur décharge, on dira que leurs terres rares à eux restent au final nourricières, tandis que les terres rares des politiciens et des grands financiers sont mortifères, engagent à faire la guerre, détruisent la planète.

Et pourtant… Et pourtant , disaient nos aïeux, de la terre, il n’en faut que deux mètres carrés au-dessus de nous, quand on est mort…

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Comme une odeur d’incendie…

Voix de la terre Se plaindre ? Qui donc se plaint de nos jours ? Un peu tout le monde, ai-je l’impression… Les agriculteurs ne sont pas les seuls experts en jérémiadiologie, tant s’en faut ! Il est vrai que nous vivons une période particulièrement rock and roll, où les grands bouleversements économiques et politiques se succèdent à toute vitesse, comme autant de tornades aussi imprévues que dévastatrices, lesquelles envoient valdinguer nos certitudes et notre confiance dans l’avenir.
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