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«Il ne faudrait pas que la Vision devienne un mirage»

C’est l’un des nouveaux visages au sein du parlement européen. Son patronyme chantant, sa vivacité d’esprit et sa large connaissance du terrain font déjà du socialiste français Éric Sargiacomo une personnalité clef de la commission de l’Agriculture (Comagri) dont il est l’un des vice-présidents. Dans le cadre de la session plénière de ce mois d’avril, nous l’avons questionné sur les sujets qui font bouger l’actualité agricole particulièrement riche en ce début de printemps.

Temps de lecture : 8 min

Né à Louhans, en Saône-et-Loire, c’est toutefois au carrefour des Pyrénées-Atlantiques, du Pays basque et les Landes que le social-démocrate déroule, depuis sa prime jeunesse, l’écheveau de sa vie.

Il vit plus précisément depuis 1996 dans la petite commune rurale de Saint-Sever, connue pour être le berceau du premier Label Rouge en France, attribué en 1965 aux volailles fermières des Landes dont il garantit une qualité supérieure des produits, notamment en termes de goût et de méthodes d’élevage.

Éric Sargiacomo, c’est votre premier mandat au parlement européen et vous voici déjà vice-président de la Comagri. Était-ce une volonté de votre part ?

J’ai investi les sujets agricoles dès le début de la campagne électorale. Vu le territoire dont je suis issu, siéger en Comagri m’apparaissait le plus logique pour donner un sens et une utilité maximale à mon mandat. Devenir vice-président de cette commission, c’est un peu la cerise sur le gâteau.

Vous êtes « cerné » par deux vice-présidents issus du PPE, et une présidente, Veronika Vrecionova, représentante de la très à droite formation des conservateurs et réformistes européens (ECR). Comment cela se passe-t-il ?

Plutôt bien. Nous avons globalement des relations cordiales. Il y a des analyses communes à partir du moment où l’on possède une bonne connaissance du monde agricole. Je connais un peu moins bien ma collègue tchèque, qui est présidente, et dont le groupe est difficile à situer dans l’arc politique. Mais il y a quelques piliers au sein de la commission, comme l’Allemand Norbert Lins qui en fut président, avec lesquels il est enrichissant d’échanger. C’est passionnant d’appréhender les réalités de chaque pays.

Nouvelle législature mais aussi nombreux changements au sein de l’Exécutif. Que pensez-vous du nouveau commissaire à l’Agriculture, Christophe Hansen ?

Il a un discours fort. La difficulté pour lui sera d’obtenir des résultats qui soient à la hauteur des ambitions qu’il a affichées. Au-delà de cela, c’est une personne avec laquelle il est facile de dialoguer, qui répond sans langue de bois sur ce qu’il peut faire ou non. Il a surtout la particularité de très bien connaître les sujets agricoles, et c’est une grande satisfaction pour ceux qui siègent en Comagri. Il a aussi l’avantage d’avoir été eurodéputé et rapporteur de plusieurs textes, dont celui sur la déforestation importée. S’il a clairement une sensibilité de droite, il nous a avoué avoir été surnommé « le Vert du PPE ».

Après la présentation de la Vision pour l’Agriculture et l’Alimentation, on attend de la part de la commission un premier paquet de mesures de simplification. Où en est-on ?

On l’attend avec beaucoup d’impatience. Le commissaire a déjà présenté deux propositions visant à modifier le règlement OCM (organisation commune des marchés) sur le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et la directive contre les pratiques commerciales déloyales (UTP). Moi, j’observe les actes et je n’écoute pas seulement les paroles. Il ne faut pas que la Vision devienne un mirage. Nous serons attentifs, sachant aussi que Christophe Hansen aura la latitude que lui laisseront les États membres. Il faudra surtout voir quelle sera la future architecture du budget.

Quelles sont justement vos attentes en la matière ?

Il faut un budget conséquent car il y a d’immenses défis à relever en raison des nouveaux enjeux géopolitiques et climatiques mais aussi des questions environnementales et de production. Les agriculteurs sont confrontés à la nécessité de faire plus avec moins de moyens. Il serait inconcevable de baisser l’enveloppe budgétaire de la Pac qui doit par-dessus tout être proche des réalités de terrain. Et je suis bien évidemment opposé à toute fusion de l’ensemble des fonds d’intervention. Il faut par ailleurs tirer les conséquences de la Pac actuelle et ses plans stratégiques nationaux qui ont amené autant de politiques agricoles que d’États membres. C’est le contraire de ce que l’on doit faire en Europe. Je suis, pour ma part, très attaché au « c » de la Pac.

Vous venez d’une région d’élevage, lequel est particulièrement décrié un peu partout en Europe. Comment faire face à cette tendance ?

Aujourd’hui, on a besoin d’élevage. Mais on importe ! La logique n’est-elle pas que l’on produise au maximum ce que l’on consomme ? Supprimer l’élevage pour accroître les émissions importées relèverait de l’absurde. On n’ira pas dans le sens de l’histoire si l’on fait cela. Je m’inscris en faveur de l’élevage respectueux des conditions de vie des animaux, de la qualité des circuits alimentaires et des produits que l’on propose aux consommateurs. L’élevage est un élément essentiel de l’agriculture et beaucoup en ont une vision hors-sol. Mais tout n’est pas négatif. En France, nous avons même des zones qui connaissent un essor de l’élevage parce que les éleveurs se sont donné les moyens de transformer leurs productions au plus près de leur ferme. On observe par exemple un accroissement du cheptel, notamment de vaches laitières comme la Montbéliarde, en Franche-Comté, un territoire qui est étroitement lié à la production de fromages AOP emblématiques de la région. Il existe selon moi un problème d’organisation en amont des productions mais aussi entre l’entrée de filière et la transformation.

Est-ce pour cette raison que vous avez particulièrement à cœur de travailler sur le règlement OCM ?

Tout à fait ! je suis d’ailleurs très content que le premier texte sur lequel nous sommes amenés à travailler porte sur ce sujet. À côté de la partie financière de la Pac, il y a le volet réglementaire. C’est un peu mon « dada » parce que c’est le nerf de la guerre en termes d’organisation de la profession agricole et des filières. Nous avons un premier rapport sur « le petit OCM » (une réforme ciblée, plus technique que politique qui ne remet pas en cause l’architecture générale de la Pac, ndlr) en attendant la réforme globale dans le cadre de la Pac post-2027. On doit encore prendre connaissance du document de la rapporteure Céline Imart qui devrait d’ailleurs être disponible rapidement.

La question de la souveraineté alimentaire s’invite dans tous les débats depuis les premières heures du conflit russo-ukrainien. Comment y répondre, selon vous ?

La souveraineté, c’est maîtriser ses choix. Il faut savoir quels moyens l’on donne aux agriculteurs pour maîtriser leur production et quels sont les circuits agricoles qu’ils choisiront de mettre en place. Je lie toujours la production agricole avec l’alimentation de la population. Je ne parle pas de souveraineté agricole, mais bien de souveraineté alimentaire. Elle se construira par ailleurs en ayant des outils de gestion de crise plus efficaces. Pour nous, il est crucial de bénéficier d’une réserve agricole confortée et augmentée en financement. J’attends aussi avec impatience la stratégie de stockage de la commission dans le cadre de la « Preparedness Union Strategy » annoncée il y a dix jours et qui devrait arriver avant l’été. L’agriculture fait partie des secteurs importants sur lesquels on a besoin de stocks. Enfin, on assure sa sécurité alimentaire tant quantitative que qualitative en étant capable de refuser des importations de produits qui ne respectent pas nos normes.

Vous songez à l’accord commercial avec les pays du Mercosur…

Cela parle surtout d’une autre façon de concevoir les rapports internationaux. Autoriser de la production d’alimentation en Amérique du Sud avec des produits que l’on a interdit sur le sol européen depuis 30 ans est un non-sens absolu. La mise en danger de la vie d’autrui vaut autant en Europe que dans les pays tiers. J’observe par ailleurs que les petits fermiers argentins et brésiliens ne sont pas favorables à cet accord de libre-échange. Seuls 5 % des agriculteurs, mais surtout des multinationales du bloc sud-américain qui maîtrisent déjà une grosse partie du marché céréalier, protéagineux et oléagineux sont concernés. Plus largement, je n’aime le terme de « libre-échange » parce que le commerce n’est jamais libre. On a un vendeur et un acheteur et la relation est rarement équilibrée. On le voit dans le circuit agricole entre le paysan et le premier acheteur.

Dès lors, comment remettre l’agriculteur au centre de la chaîne de valeur ?

Les critiques se cristallisent autour du maillon de la distribution, alors qu’il ne constitue pas le principal problème dans la chaîne agroalimentaire. Certains acteurs ont un tel poids sur les filières (viande, volaille, lait) qu’ils commandent totalement l’amont. Les producteurs sont souvent la variable d’ajustement des grands groupes agroalimentaires. Je souhaite que l’on mette les moyens pour soutenir activement le renforcement des organisations de producteurs pour améliorer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur. Cela fonctionne très bien avec les indications géographiques (IG) qui constituent un outil stratégique par ailleurs essentiel pour valoriser les produits agricoles. En France, nous avons malheureusement un vrai problème avec le gouvernement qui refuse de financer les organisations de producteurs dans le lait alors qu’elles sont très mal structurées et sont sous la domination de quelques gros groupes (Lactalis, Savencia, Bel…).

Le renouvellement des générations constitue un autre gros point de cette législature. Comment l’abordez-vous ?

On ne peut parler du secteur agricole sans évoquer sa résilience qui implique la question centrale du renouvellement des générations. Or, aujourd’hui, on évolue dans un système d’aides directes où l’on met davantage l’accent sur ceux qui sont en fin de carrière que sur ceux qui vont rentrer dans un parcours agricole. Je plaide pour la mise en place d’une grande loi foncière visant à faciliter la reprise des exploitations agricoles, favorisant ainsi le renouvellement des générations et luttant contre l’accumulation des terres par les multinationales agricoles. Se lancer en agriculture coûte d’autant plus cher pour un nouvel entrant qu’il est hors cadre agricole. Et ils sont de plus en plus nombreux. Il faut absolument leur faciliter la tâche pour leur éviter de crouler sous les dettes dès leurs premières années d’exploitation.

Marie-France Vienne

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