L’élevage entre urgences structurelles et ambition politique
Le secteur de l’élevage européen est en crise. Fragilisé par les bouleversements climatiques, les maladies animales, les pressions réglementaires et une concurrence étrangère jugée déloyale, il fait aujourd’hui l’objet d’un rapport d’initiative au parlement. Les grandes lignes ont été présentées, voici quelques jours, par le conservateur italien Carlo Fidanza. Ce texte entend poser les fondations d’une stratégie de long terme. Si le consensus est large sur le diagnostic, les orientations proposées cristallisent des visions contrastées.

Avec 4 millions d’emplois directs et 2.400 milliards € de valeur économique, l’élevage européen demeure un pilier de l’économie agricole. Mais ce socle s’effrite.
Un secteur en détresse au cœur des territoires ruraux
« Ce secteur est trop souvent ignoré dans les grands débats politiques, alors qu’il est central pour la sécurité alimentaire, l’environnement et notre identité culturelle », a déclaré Carlo Fidanza, appelant à « une stratégie européenne forte et pragmatique » pour en garantir la pérennité.
Des coopératives laitières irlandaises aux éleveurs transhumants espagnols, en passant par les bergers des Alpes italiennes, l’élevage façonne les paysages et entretient la vie rurale. Mais il ploie sous les contraintes : flambée des coûts, prolifération des zoonoses, normes environnementales strictes, perte d’attractivité chez les jeunes. S’ajoutent les importations venues de pays tiers, accusés de ne pas respecter les standards européens.
Une ligne de fracture : durabilité contre compétitivité
Le rapport Fidanza revendique un équilibre entre durabilité et compétitivité. « L’élevage peut faire partie de la solution environnementale », plaide-t-il, mettant en avant les bénéfices du pâturage extensif, le stockage de carbone ou encore le potentiel du biogaz. Mais il rejette les approches fondées sur la réduction du cheptel : « Réduire de manière uniforme le nombre de têtes de bétail serait un suicide pour notre sécurité alimentaire ».
Cet équilibre est jugé fragile par plusieurs eurodéputés. L’écologiste français David Cormand salue la valorisation des systèmes herbagers et de polyculture-élevage, « vertueux pour l’économie et l’environnement », mais déplore l’absence de mesures concrètes pour les développer. « Ce rapport semble davantage protéger un modèle industriel d’élevage que promouvoir les pratiques vertueuses qu’il identifie », regrette-t-il.
Il pointe aussi l’angle mort de la répartition de la valeur ajoutée, dénonçant une situation où « le travail ne paie plus », tandis que de grands groupes (tels que Lactalis ou Bigard, le spécialiste de la transformation de viande bovine, porcine et ovine) « asphyxient les producteurs ».
« Une vision de long terme pour éviter l’effondrement »
L’eurodéputé belge Benoît Cassart a, quant à lui, souligné l’urgence d’une planification à long terme. « En Belgique, seuls 5 % des éleveurs ont moins de 35 ans. Cette situation n’est plus tenable », a-t-il affirmé. Il s’est réjoui de la reprise de sa proposition de création d’un groupe de haut niveau sur l’élevage, destiné à élaborer une stratégie commune et concertée entre États membres, scientifiques, professionnels et institutions européennes.
Il a également plaidé pour un mécanisme d’alerte rapide face aux zoonoses, estimant que la crise sanitaire actuelle exige une réponse coordonnée. Enfin, il a appelé à des amendements en faveur du renouvellement générationnel, d’un accès équitable au financement, et d’une cohérence entre la politique agricole et les accords commerciaux. « On ne peut pas exiger des normes strictes à nos agriculteurs tout en important massivement des produits qui y échappent », a-t-il insisté.
Une diversité de points de vue sur le terrain
D’autres voix ont souligné les angles morts du rapport, notamment en matière de résilience économique et de gouvernance.
La démocrate-chrétienne Jessica Polfjärd a salué « un rapport équilibré » et rappelé le rôle « irremplaçable des protéines animales » dans l’alimentation humaine. La socialiste Christina Maestre a insisté sur la nécessité d’« une transition juste », qui prenne en compte la dimension sociale et territoriale de l’élevage. Issu de la droite de la droite, Gilles Penelle, lui, a dénoncé un « agribashing insupportable » et réclamé un durcissement de la lutte contre la viande cellulaire, perçue comme une menace existentielle pour l’élevage traditionnel.
Dans un registre plus technique, plusieurs interventions ont souligné l’impact des zoonoses, comme la langue bleue en Irlande, qui a touché plus de 6.000 exploitations, avec des conséquences lourdes sur la santé mentale des éleveurs. D’autres, comme l’Irlandais Colm Markey, ont évoqué les pertes financières liées aux suspicions de salmonelle.
Le Roumain Daniel Buda a quant à lui pointé les incohérences des restrictions à l’exportation imposées à son pays, malgré l’éradication de certaines maladies. Il a cité l'exemple de la Roumanie, toujours interdite d'exportation de viande ovine malgré la suppression officielle des foyers de maladie, et a accusé la commission de ne pas tenir compte de la réalité sur le terrain.
Selon lui, cette gestion erratique décourage les éleveurs locaux, notamment dans les zones rurales les plus fragiles, où beaucoup ont déjà abandonné leur activité faute de soutien clair et de perspectives commerciales stables.
Céline Imart a salué un « excellent rapport ». Pour l’éleveuse française, l’essentiel sera la préservation des paiements couplés (en particulier pour les ruminants). Elle prévient également qu’il faudra « sacraliser les dénominations pour la viande ».
Des attentes fortes autour de la Pac et de la simplification
Plusieurs députés, de tous bords, ont appelé à une simplification administrative, évoquant un fardeau réglementaire devenu insoutenable, notamment pour les exploitations de montagne. « Les éleveurs travaillent 25 heures sur 24 », a résumé un député, tandis qu’un autre demandait : « Qui ici enverrait
Quel élevage voulons-nous ?
Une stratégie d’ensemble, ou un rendez-vous manqué ?