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Pas de modèle unique d’élevage pour une Europe plurielle

Cinq agriculteurs venus d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne et d’Autriche ont franchi les portes du parlement européen, en juillet, pour alerter sur l’avenir de leur métier. Invités à s’exprimer lors d’une session de l’intergroupe sur l’élevage durable, ces acteurs de terrain ont dressé le constat d’un secteur confronté à une succession de pressions environnementales, économiques et sociales qui se trouve aujourd’hui à un tournant décisif.

Temps de lecture : 7 min

Sous l’impulsion de l’eurodéputé autrichien Alexander Bernhuber, l’intergroupe avait déjà accueilli en juin une table ronde scientifique sur les conséquences d’une réduction drastique de l’élevage. « Cette fois, ce sont les experts de terrain qui parlent », a-t-il déclaré en ouverture.

La session a été marquée par l’intervention d’Elisabeth Werner, nommée, le 28 mai dernier, directrice générale de la DG AgrI, venue porter la voix d’une commission consciente de la gravité des enjeux. Sa présence peut être perçue comme un signal d’ouverture envers un secteur qui se sent souvent marginalisé dans les débats européens sur la durabilité.

Un modèle agricole européen en péril

Les eurodéputés Benoît Cassart et Maria Grapini, co-présidents de l’intergroupe, ont souligné la singularité du modèle européen : un élevage majoritairement familial, de petite ou moyenne taille, profondément ancré dans les territoires. « Il n’existe pas de solution unique, chaque type d’exploitation mérite d’être soutenu », a rappelé Maria Grapini, tandis que Benoît Cassart mettait en garde contre toute standardisation des politiques : « Appliquer indistinctement des règles conçues pour d’autres contextes reviendrait à fragiliser, voire à faire disparaître ce modèle ».

Le modèle agricole européen repose sur une double exigence : produire des denrées de qualité tout en préservant les écosystèmes. Un équilibre difficile à maintenir dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée, où les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous les producteurs.

Les témoignages se sont succédé, chacun incarnant une facette d’un élevage européen à la fois riche de sa diversité et confronté à une même insécurité.

Les contours d’un avenir incertain pour le secteur porcin

Miguel Angel Higuera, directeur de l’association espagnole Anprogapor, a détaillé une initiative européenne qui se propose d’écouter ceux qui, au quotidien, vivent et façonnent l’élevage porcin : les éleveurs eux-mêmes.

Dans un secteur en mutation, confronté à des injonctions multiples en matière de bien-être animal, d’environnement et de sécurité sanitaire, cette démarche entend recentrer le débat sur l’expérience concrète du terrain. Intitulé « Welfare in Pigs Farming » (WF), le projet ne relève pas d’un programme de recherche à proprement parler. Il s’inscrit dans une logique de capitalisation et de transmission : identifier des pratiques agricoles existantes, éprouvées, les documenter puis les rendre accessibles aux professionnels du secteur – agriculteurs, conseillers, techniciens.

Améliorer le bien-être animal à partir de ce qui fonctionne déjà

Au fil de deux vagues de recensement, 192 bonnes pratiques ont été relevées dans différents pays européens. Parmi elles, 24 ont été sélectionnées comme exemplaires. L’objectif est clair : diffuser ces méthodes sous des formats clairs, concrets et adaptables, afin de favoriser leur adoption à plus grande échelle. Cette approche pragmatique vient répondre à une demande croissante de la société et des institutions : améliorer les conditions d’élevage, tout en préservant la durabilité économique des exploitations. Un équilibre délicat, souvent difficile à atteindre dans les élevages intensifs, soumis à une double pression : sociale et réglementaire.

La directive européenne sur les émissions industrielles (IED) accentue cette pression. Elle impose désormais des obligations strictes à partir de certains seuils : plus de 2.000 porcs à l’engraissement ou 750 truies. Mais les exploitations intermédiaires, voire plus modestes, sont elles aussi concernées, avec des seuils d’entrée plus bas pour certains types de production. Cette évolution rebat les cartes pour de nombreuses structures, contraintes à se réadapter sous peine de sanctions.

Des menaces sanitaires toujours présentes

Dans le même temps, les risques épidémiques persistent. Des maladies comme la peste porcine africaine ou la fièvre aphteuse rappellent la vulnérabilité de la filière. Le renforcement des protocoles de biosécurité s’impose comme une réponse indispensable, à la fois préventive et structurante.

Le recul de la population porcine européenne – en baisse de 9,44 % entre 2015 et 2024 selon Eurostat – illustre une réalité : la filière entre dans une phase de contraction. Cette tendance interroge la capacité du modèle actuel à perdurer sans profonde adaptation.

Dans ce contexte, la démarche initiée par Miguel Angel Higuera propose un renversement de perspective : et si les solutions venaient d’abord des éleveurs eux-mêmes ? À travers leurs expériences, leurs pratiques et leur vision du métier, ils dessinent les lignes d’un élevage plus sobre, plus respectueux, peut-être plus résilient.

Jonas Friess, jeune aviculteur bavarois, a quant à lui décrit sa ferme à énergie positive et à gestion hydrique optimisée. Mais cette réussite ne doit pas masquer une réalité plus difficile : « Une norme uniforme sur la densité des animaux, sans prise en compte du contexte, peut être contre-productive. » Il plaide pour une approche multidimensionnelle de la durabilité, intégrant les aspects sociaux et économiques au même titre que les critères environnementaux.

Raul Muniz, vétérinaire et éleveur ovin dans le nord de l’Espagne, a dressé un tableau sombre de sa filière : maladies animales persistantes, manque de main-d’œuvre, pression des prédateurs, et une filière laine devenue économiquement obsolète. « Il faut redonner un sens et une valeur à tout ce que produit un troupeau », a-t-il plaidé, évoquant le potentiel oublié de cette fibre naturelle dans l’économie circulaire.

Werner Habermann, éleveur de bovins en Autriche, a conclu ce tour d’horizon en appelant à une simplification administrative et à un dialogue plus transparent entre les institutions européennes et les éleveurs. « Nous avons besoin de visibilité à moyen terme, pas d’une jungle de règlements qui évoluent sans cesse », a-t-il tranché.

La commission consciente des limites du système actuel

Dans sa prise de parole, Elisabeth Werner a reconnu l’ampleur des difficultés. « La situation est actuellement favorable en termes de prix, mais cela reste fragile. Nous faisons face à un déclin structurel du nombre d’exploitations, à la récurrence des crises sanitaires, et à une concurrence mondiale qui ne joue pas à armes égales. »

Elle a appelé à une révision ambitieuse de la Pac à l’horizon post-2028, structurée autour de quatre piliers : la reconnaissance de la diversité des modèles de production, la garantie d’un revenu équitable, le soutien aux zones rurales et à la transition écologique, et une stratégie commerciale plus cohérente. « La qualité a un coût, qui n’est pas toujours pris en compte dans les échanges internationaux », a-t-elle insisté.

Mme Werner a également évoqué la nécessité de réduire la dépendance européenne aux protéines importées, notamment en diversifiant les sources d’alimentation animale. « L’avenir de l’élevage passe par l’innovation : additifs alimentaires pour réduire les émissions de méthane, valorisation des coproduits agricoles, gestion intelligente des effluents. »

Mais au-delà des dispositifs techniques, c’est à un changement de méthode qu’elle appelle. « Ce que nous proposons, ce n’est pas un catalogue d’objectifs, mais une chaîne de travail collective. Il nous faut un pacte entre agriculteurs, consommateurs, chercheurs et décideurs. » Et de conclure : « Sortons de la logique de gestion de crise. Engageons-nous dans une transformation structurelle. C’est une exigence de justice pour les agriculteurs, mais aussi une condition de confiance pour les citoyens. »

L’élevage, levier de transition écologique

Loin des images caricaturales, l’élevage peut être un allié puissant de la transition environnementale. Agroécologie, gestion durable des prairies, autonomie énergétique, sélection génétique responsable, réduction raisonnée des intrants : autant de leviers que les agriculteurs souhaitent voir reconnus, soutenus, et intégrés à une stratégie européenne cohérente.

Mais pour cela, préviennent-ils, il faut sortir d’une logique punitive et restaurer un climat de confiance. La transition ne se fera pas sans eux. « Ce n’est pas un privilège que nous demandons, c’est un avenir », a résumé Raul Muniz.

Un consensus semble émerger : l’avenir de l’élevage européen ne se construira ni dans la nostalgie, ni dans l’abandon. Il exige une politique agricole audacieuse, enracinée dans la diversité des territoires et attentive aux signaux du terrain.

Alors que l’UE s’apprête à définir ses priorités pour l’après-2028, les éleveurs européens rappellent qu’ils ne sont pas des obstacles, mais des acteurs de la solution. Loin d’être les derniers témoins d’un monde rural en déclin, ils en sont, plus que jamais, les bâtisseurs lucides et engagés.

Marie-France Vienne

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