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Des oiseaux pour réenchanter nos campagnes

Ils nichent à même le sol, chantent en vol et se nourrissent d’insectes cachés entre deux sillons. Le bruant proyer, l’alouette des champs, la caille des blés et la bergeronnette printanière sont les emblèmes discrets de nos plaines agricoles. Mais leur chant se fait plus rare. Grâce à des plans d’action en faveur des espèces menacées, la Wallonie inverse la tendance, avec l’aide essentielle des agriculteurs.

Temps de lecture : 8 min

Autrefois omniprésents dans les paysages ruraux, ces oiseaux sont aujourd’hui en fort déclin. Leurs populations s’effondrent : jusqu’à 80 % de pertes en moins de 30 ans pour certaines espèces. Le bruant proyer, par exemple, enregistre un taux de déclin de 12,7 % par an depuis 2007.

Des campagnes plus silencieuses et une biodiversité sous pression

Le déclin brutal des oiseaux des plaines agricoles est le miroir fidèle d’une transformation tout aussi rapide de nos campagnes. En quelques décennies, certains paysages se sont simplifiés à l’extrême : jachères supprimées, haies arrachées, prairies permanentes retournées et cultures uniformisées. Ce qui constituait autrefois une mosaïque accueillante est devenu un territoire appauvri, dans lequel les oiseaux peinent à survivre.

À cette transformation s’ajoute une accumulation de menaces directes, dont les pesticides. Leur effet est triple : elles déciment les invertébrés, source de nourriture essentielle à la reproduction ; elles éliminent les adventices, source de graines pour les oiseaux ; enfin, les cultures rendues plus homogènes font disparaître les plantes refuges utilisées pour nicher. Le résultat est clair : moins de nourriture, moins d’abris, moins de petits.

Le manque de nourriture en hiver est un facteur souvent oublié. L’amélioration des machines agricoles a laissé des champs trop « propres » : moins de résidus de moissons et moins de graines sauvages pour nourrir les oiseaux pendant la mauvaise saison.

L’agrandissement des parcelles aggrave le phénomène. En gommant les bordures, les buissons isolés ou les transitions entre cultures, il réduit la diversité dans le périmètre vital des oiseaux. Un milieu trop homogène ne peut répondre à tous leurs besoins.

Parfois, la menace vient même des cultures elles-mêmes. C’est le cas, par exemple, des pois destinés à la consommation humaine. Leur végétation attire les oiseaux au printemps, qui y construisent leurs nids. Mais la récolte intervient avant que les jeunes ne puissent voler. Des nichées dont détruites, sans que personne ne s’en rende compte. Un véritable piège pour le bruant proyer, notamment.

S’ajoutent encore des assolements peu adaptés, des rotations de cultures qui ne laissent pas le temps aux oiseaux de s’installer, une pression croissante des prédateurs (renards, corvidés…), et des menaces émergentes comme l’irrigation intensive, le changement climatique ainsi que des infrastructures énergétiques implantées dans les milieux agricoles.

Face à cet empilement de pressions, les oiseaux des champs manquent de temps, d’espace, de tranquillité, et de marge de manœuvre.

Cinq Plans d’action espèces

Conscients de l’urgence, les pouvoirs publics wallons ont lancé et mis à jour en 2025 cinq nouveaux Plans d’action espèces (PAE). Ces documents stratégiques visent plusieurs espèces menacées, dont un oiseau des champs emblématique de nos territoires : le bruant proyer. Cette espèce est dite « parapluie » : sa sauvegarde bénéficie à tout un cortège d’espèces associées et aux habitats dans lesquels elle évolue. Le Plan d’action « Oiseaux des champs » par exemple, bénéficiera à tout un cortège d’autres oiseaux des plaines agricoles tels que l’alouette des champs, la caille des blés et la bergeronnette printanière.

Le Plan d’action « Oiseaux des champs » bénéficie à tout un cortège d’oiseaux des plaines agricoles,  dont l’alouette des champs (Alauda arvensis).
Le Plan d’action « Oiseaux des champs » bénéficie à tout un cortège d’oiseaux des plaines agricoles, dont l’alouette des champs (Alauda arvensis). - Marton Berntsen

En restaurant les habitats favorables à ces oiseaux, on restaure aussi le fonctionnement des cycles naturels : régulation des crues, épuration de l’eau, maintien des nappes phréatiques, résilience face aux sécheresses. Ce sont des effets bénéfiques à long terme, y compris pour l’agriculture.

Les PAE définissent les objectifs, identifient les menaces, localisent les zones d’intervention prioritaires, estiment les coûts et proposent des solu tions. Ils encouragent également la concertation entre les acteurs : agriculteurs, naturalistes, communes, chasseurs et citoyens. Ils s’appuient sur les données scientifiques mais aussi sur les savoirs de terrain. Ils permettent d’enclencher une dynamique vertueuse de restauration de la nature.

Des leviers d’action concrets pour des campagnes vivantes

Le PAE « Oiseaux des champs », adopté en 2025 par la Wallonie, s’appuie sur plusieurs piliers : diagnostic écologique, restauration des habitats, accompagnement des agriculteurs, sensibilisation et suivi. Son objectif : permettre à ces quatre espèces de se maintenir et, là où c’est possible, de recoloniser les paysages.

Il met particulièrement l’accent sur le dialogue avec les agriculteurs, qui sont au cœur du dispositif. Une boîte à outils a été créée pour leur proposer des mesures concrètes, souples et adaptées : fauche tardive, maintien de zones non récoltées, bandes refuges, conversion de certaines parcelles, réduction de l’usage des intrants. Ces pratiques ne sont pas uniquement favorables aux oiseaux : elles renforcent la fertilité des sols et la lutte contre l’érosion, diversifient les ressources mellifères et favorisent les auxiliaires de culture.

En vue de réduire les menaces pesant sur les populations d’oiseaux tout en permettant les activités agricoles, de nombreux leviers d’actions sont envisageables. Deux grandes pistes d’actions complémentaires se profilent.

La première consiste à dédier une partie des surfaces agricoles à des couverts favorables à la biodiversité. Jachères fleuries, bandes tampons, haies, céréales non récoltées : ces aménagements ciblés offrent un habitat précieux pour les oiseaux, mais pas seulement. Ces actions peuvent également se concrétiser par la mise en place de couverts hivernaux à base d’avoine blanche, l’épandage de graines ou encore par l’installation de légumineuses à fauche réduite.

La seconde piste, plus structurelle, repose sur l’adaptation des pratiques agricoles de production. Plusieurs voies sont possibles : conversion à l’agriculture biologique, adoption de l’agriculture de conservation des sols, remplacement des engrais minéraux par des fertilisants organiques, allongement des rotations, co-cultures, cultures associées, réduction raisonnée des produits phytopharmaceutiques, ou encore recours à des techniques mécaniques pour limiter les adventices.

Les actions ciblées entrent dans le cadre des Mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) et résultent d’un engagement volontaire des agriculteurs, pour lequel ils perçoivent une rémunération pour le service environnemental rendu. Ce paiement se justifie pour compenser la perte de revenu liée à une gestion moins intensive et/ou des efforts supplémentaires. L’asbl Natagriwal informe et conseille les agriculteurs sur les différentes méthodes proposées, et assure l’accompagnement technique et administratif pour les mesures ciblées.

La MB 12 « céréales sur pied » incite à laisser des parcelles de céréales sur pied jusque fin février afin de mettre,  en hiver, de la nourriture à disposition des espèces les plus menacées d’oiseaux hivernants et de passage.
La MB 12 « céréales sur pied » incite à laisser des parcelles de céréales sur pied jusque fin février afin de mettre, en hiver, de la nourriture à disposition des espèces les plus menacées d’oiseaux hivernants et de passage. - Natagriwal

Derrière ces ajustements, l’objectif est triple : offrir aux oiseaux suffisamment d’invertébrés durant la période de reproduction pour nourrir leurs jeunes, garantir une alimentation en hiver grâce à la production de graines, et fournir des sites de nidification sécurisés, épargnés par les machines agricoles et protégés des prédateurs. Certaines pratiques vont plus loin encore : repérer les nids avant la fauche, marquer les zones sensibles, contacter l’agriculteur pour retarder le passage de la machine ou délimiter une zone refuge.

Ces leviers ne sont pas des contraintes, mais des opportunités pour redessiner un paysage agricole plus durable, plus vivant, plus équilibré. Et, au bout du compte, plus riche pour tous.

Des expérimentations porteuses d’espoir

Depuis plusieurs années, des projets pilotes menés dans différentes régions de Wallonie ont démontré l’efficacité de certaines mesures. À Perwez-Thorembais, des bandes de céréales non récoltées ont permis le retour du bruant proyer. Des jachères fleuries ont offert un habitat à la bergeronnette printanière. Ces résultats montrent qu’une reconquête est possible, à condition d’agir de manière coordonnée.

Ces projets ont également permis de mieux comprendre les dynamiques de population : les oiseaux des champs sont capables de se réinstaller rapidement si les conditions leur sont à nouveau favorables. Mais cela suppose de restaurer des surfaces suffisantes, connectées, et de garantir leur tranquillité pendant la saison de reproduction.

À Lincent, en Wallonie, Marc Lambrickx (29 ans) et Lucie Laporte (31 ans) l’ont expérimenté ! Ces jeunes agriculteurs et chasseurs cultivent du blé, des pommes de terre et de la betterave. Inquiets du déclin marqué de certaines espèces d’oiseaux présentes autrefois dans leurs champs, ils ont décidé, en collaboration avec l’association Faune et Biotope, de mener des actions concrètes pour redonner vie au paysage agricole.

« Un paysage traversé par des espèces sauvages est beau, n’est-ce pas ? », estime Marc Lambrickx

Ils ont ainsi aménagé environ 4 ha de bandes herbacées, installées en bordure de leurs parcelles faisant frontière avec les terrains voisins. Ces zones non cultivées ont rapidement attiré de nouveau l’alouette des champs, le bruant proyer, la perdrix grise et la caille des blés.

Cependant, ce retour s’accompagne aussi de celui de leurs prédateurs : renards, buses, busards et corvidés, qui viennent se nourrir de ces oiseaux déjà peu nombreux ! Pour le couple, la régulation de ces espèces prédatrices devrait être mieux encadrée. Les demandes de dérogation sont longues, complexes et énergivores, et leur obtention reste difficile.

Natagriwal gère le relais avec les primes et s’assure du bon respect des contraintes calendaires strictes imposées pour certaines interventions, comme la fauche, le broyage ou l’arrachage manuel du chardon. Pour ces agriculteurs, un système plus flexible, basé sur les conditions météorologiques, serait plus logique. Par exemple, lors d’une fauche effectuée par temps pluvieux, il faut ensuite sécher l’herbe, ce qui est loin d’être évident sur le terrain.

Redonner souffle, chant et couleur aux plaines

Les oiseaux des champs sont bien plus que des espèces menacées. Ils sont les témoins vivants d’un paysage en équilibre. Leur présence témoigne d’une richesse en insectes, d’un sol sain, d’une diversité de cultures et d’un tissu paysager structuré. En les protégeant, on préserve aussi les conditions de production durables, la beauté du territoire et notre propre bien-être.

En réconciliant agriculture et biodiversité, en soutenant les pratiques favorables, en restaurant des habitats clés, la Wallonie peut faire de ses campagnes un modèle vivant. Les Plans d’action espèces en sont une des clés. Reste à transformer l’élan en mouvement durable. Pour que les chants du bruant proyer, de la caille des blés, de la bergeronnette printanière et de l’alouette des champs redeviennent un son familier sur notre territoire.

Avec les Plans d’action espèces, la Wallonie se donne les moyens d’y parvenir. À condition d’agir maintenant, de manière concertée pour que les générations futures n’aient pas à chercher ces oiseaux dans les livres, mais à tendre l’oreille au milieu des blés.

Biotope

Service public de Wallonie

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