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Courrier des lecteurs : «Je vous ai compris»!

Imaginez ce scénario saugrenu : Vous vous rendez chez votre médecin, salement enrhumé. Vous avez chopé la « crève », genre covid ou grippe, et ça dégénère en pneumonie. Toux caverneuse, sphère rhino-pharyngée explosée, poumons en feu, cœur lancé au grand galop, nausées cataclysmiques. Votre médecin vous reçoit, sourire patelin aux lèvres, et vous serre la main en débitant quelques lieux communs d’une voix enjouée. Mobilisant le peu de forces qu’il vous reste, vous lui exposez votre pathologie ; il vous écoute distraitement et fait semblant d’être désolé.

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Puis il se lance dans un long monologue : «  Nous sommes tout à fait conscients du mal qui vous accable, et nous travaillons d’arrache-pied à le guérir. J’ai d’ailleurs convoqué un comité d’experts qui va examiner votre problème, parallèlement à la mise sur pied d’une commission d’étude, où seront entendues des sommités issues des différents secteurs de notre société. J’ai interpellé mon collègue à l’Agriculture pour obtenir davantage de précisions quant à vos besoins spécifiques, dans le cadre socio-économique de votre profession, afin de pondérer et d’optimiser les paramètres du syndrome dont vous souffrez. Nous ne vous abandonnons pas, sachez-le. J’attends des éclaircissements sur certains points importants afin de finaliser les modalités d’introduction de votre dossier, lequel sera débattu en urgence, lors d’un conseil restreint qui se tiendra après le conclave budgétaire, lequel risque de nous retarder quelques semaines. Votre problématique est d’une importance capitale à nos yeux et mérite tout notre intérêt. Nous sommes à vos côtés, aujourd’hui comme hier et à jamais  ! ».

La suite de l’exposé se perd dans le néant, car vous êtes mort. Oups ! Le docteur a trop parlé, sans initier la moindre thérapie : l’espoir fait vivre, mais l’attente fait mourir…

Rassurez-vous, comme disent les enfants, cette histoire, «  c’était du pour rire  »  ! Un médecin digne de ce nom vous dirigerait vers les urgences, et dans la demi-heure qui suit, vous seriez pris en charge et sauvé (en Province du Luxembourg, comptez toutefois une heure de plus, vu notre réseau médical…). Par contre, quand le patient s’appelle « Agriculture », la kyrielle des « sommités » censées nous aider, délivre «  pour du vrai  » un message surréaliste et frustrant, semblable à ci-dessus.

J’en veux pour preuves les comptes rendus de politique agricole publiés dans Le Sillon Belge depuis ses origines. J’ai fouiné dans mes vieux Sillon des années 1960 à aujourd’hui, et pris au hasard des articles rédigés par divers journalistes sur une période de plus de soixante ans. C’est drôle ! J’ai l’impression que les différents ministres de l’Agriculture se refilent les uns aux autres leurs vieux discours ressassés sans fin ; ils copient-collent des formules toutes faites et utilisent les mêmes métaphores, les mêmes recettes, les mêmes brouillons de sorcière pour nous répondre. À l’image des médecins charlatans d’autrefois, ils pratiquent à tout va la « saignée » pour soigner la moribonde Agriculture Familiale, laquelle perd ses forces vives et se meurt un peu plus chaque année.

Les messages qu’ils nous renvoient sont pour le moins ambigus, ai-je constaté en relisant mes Sillon, mémoires objectives des six dernières décennies. Ainsi, dans les années 1960, le Général de Gaulle a tenu deux discours très différents pour qualifier la diminution dramatique du nombre d’exploitations en France. L’un, celui du terrien soi-disant amoureux de son pays, cultivait la nostalgie et mettait la larme à l’œil : « Comment, étant qui je suis, ne serais-je pas ému et soucieux en voyant s’estomper cette société campagnarde, installée depuis toujours dans ses constantes occupations et encadrée par ses traditions ; ce pays des villages immuables, des églises anciennes, des familles solides, de l’éternel retour des labours, des semailles et des moissons ; cette contrée des légendes, chansons et danses ancestrales, des patois, costumes et marchés locaux ; cette France millénaire que sa nature, son activité, son génie avaient faite essentiellement rurale. »

L’autre discours, celui du chef d’État, donnait froid dans le dos par son pragmatisme et son cynisme : « Le problème paysan, c’est comme celui des anciens combattants : tous les jours il en disparaît, si bien que la question va se régler d’elle-même  ! ». Les politiciens en charge d’agriculture de 2025 perpétuent la méthodologie de leurs prédécesseurs, le prêchi-prêcha à la De Gaulle : de manière inconsciente, par tradition, par fatalisme, parce que ça marche, parce que ces c(…)s de fermiers gobent tout ce qu’on leur raconte, se contentent de promesses et de quelques aides financières ponctuelles. Pour le reste, rien ne change. La roue tourne, et lors de chaque crise provoquée par leurs lâchetés et leurs atermoiements désastreux, nos dirigeants nous resservent les mêmes plats, les mêmes formules éculées : « Nous sommes tout à fait conscients du problème (…) etc. etc., » (voir second paragraphe).

Pas à dire, ils et elles, jeunes ou vieux, nous prennent de manière définitive pour des demeurés mentaux, pour des andouilles mal cuites, des pigeons débiles qui n’y pigeons que dalle ! Nous avons parfaitement compris que l’agriculture est et restera la variable d’ajustement lors des tractations commerciales internationales, qu’elle est et sera toujours désignée comme coupable pour expliquer les dérives de l’industrie agroalimentaire, pour justifier la hausse des prix des denrées alimentaires, leur baisse de qualité.

Roi de l’ambiguïté, prince des tribuns, président d’une nation agricole par excellence, de Gaulle a également prononcé ces mots célèbres : « Je vous ai compris  ! » ; en quelque sorte, il a tracé la voie suivie par les eurocrates de la Pac, nos ministres et dirigeants agricoles. Ils ont tous compris, en effet, comment nous manipuler sans jamais guérir les maux endémiques qui tuent notre agriculture familiale.

Ils s’en fichent : nous, on l’a bien compris…

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Voix de la terre Dans le nord du pays, et ce n’est pas une blague, la ferme « Ons Dagelijks Groen » (Notre Vert Quotidien) organise régulièrement des événements de team building destinés à des groupements plus ou moins proches de l’agriculture. Les participants ne se contentent pas d’y bâiller à se décrocher la mâchoire lors d’une visite guidée, impatients de prendre l’apéro et de faire bombance à midi. Non ! Ils mettent carrément les mains dans la terre et participent aux multiples tâches de l’exploitation agricole. Les visiteurs d’un jour ont ainsi l’opportunité de se glisser dans la peau d’un fermier, pour mieux comprendre les peines et les joies de son métier, ses ressentis et ses réels besoins, ses frustrations et ses aspirations. Existe-t-il semblable initiative en Wallonie ? Ne serait-ce point une bonne idée ?
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