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Comment observer les sols agricoles pour préserverleur qualité?

Diagnostiquer un sol, c’est avant tout apprendre à l’observer : structure, porosité, traces de compaction, développement racinaire… autant d’indices qui permettent d’ajuster les pratiques au bon moment.

Temps de lecture : 9 min

Sous nos pieds, dans les champs, se développe une multitude d’organismes. Cette activité biologique participe à de nombreuses fonctions et contribue à la structuration des sols. Les vers de terre, les auxiliaires, les mycorhizes et les bactéries fixatrices d’azote sont les plus reconnus mais derrière eux se cachent aussi les fragmentateurs, les décomposeurs, les ingénieurs chimiques, les microrégulateurs ou encore d’autres bioturbateurs.

Comme tout être vivant, les organismes telluriques ont besoin de conditions physico-chimiques propices à leur développement. Parmi les quatre besoins principaux figurent l’eau, l’oxygène et la nourriture, composée notamment des exsudats racinaires ou des résidus de plantes. Un abri accueillant, offrant des zones de nidification et un pH compris entre 6 et 7,5, est également indispensable.

« Ces conditions optimales à la prolifération de la vie du sol se retrouvent dans ceux qui présentent une bonne qualité structurale. À l’image d’un cercle vertueux, la qualité structurale et l’activité biologique s’entretiennent mutuellement : un sol bien structuré stimule la vie microbienne et faunistique, laquelle renforce à son tour la stabilité et la porosité du sol », explique Laurent Serteyn.

Dans le cadre du quatrième épisode des agriwebinaires proposés par le Service public de Wallonie Agriculture, Ressources naturelles et Environnement, Laurent Serteyn et Simon Dierickx de Greenotec sont, en effet, intervenus sur ce sujet.

Conserver une configuration naturelle

Selon eux, une bonne qualité structurale d’un sol peut s’observer au premier coup d’œil. La présence de mottes arrondies, de structures grumeleuses et d’agrégats de petite taille en est un synonyme.

Pour préserver cette qualité, la clé est d’éviter sa dégradation. Le passage répété de machines lourdes peut avoir d’importantes conséquences, surtout lors des années humides. Ces tassements se marquent durablement dans le profil du sol, parfois sur plusieurs années, et à des profondeurs presque impossibles à corriger mécaniquement. Laurent Serteyn poursuit : « Maintenir une structure naturelle, avec sa microporosité, c’est aussi renforcer la résilience du sol face aux aléas climatiques ».

On distingue plusieurs types de porosité :

– la porosité d’assemblage, crée par le travail mécanique du sol (charrue, décompacteur),

– la porosité fissurale, issue de l’action du climat, notamment l’alternance humidité/sécheresse ou le gel,

– la porosité tubulaire, directement liée à l’activité biologique des sols.

Les travaux d’Agro-Transfert, un centre français de recherche et de développement agronomique, démontrent que, même lorsque la porosité semble correcte, un simple passage d’outil suffit à faire s’effondrer les pores d’assemblage et une partie des pores tubulaires. Ces derniers, bien que fragilisés, restent essentiels, car plus ils sont nombreux, plus la structure globale du sol résiste.

À l’inverse, le travail du sol répété fragilise la structure, favorise la compaction et entraîne un véritable cercle vicieux : travail du sol, fragilisation, compaction, nouveau travail du sol.

Selon Laurent Serteyn, le retour à un état d’origine peut prendre de 2 à 10 ans, selon le niveau d’activité biologique initial. « Plus le sol est vivant au départ, plus il se régénère rapidement ».

Enfin, les recherches d’Agro-Transfert soulignent également l’importance du premier passage. « On peut comparer cela à de la neige poudreuse : lors de notre premier passage nos pas s’y enfoncent, mais si nous revenons sur nos traces, la neige ne se compacte presque plus », illustre Laurent Serteyn. Idéalement, il conviendrait donc d’utiliser les mêmes voies de circulation pour limiter la compaction à certaines zones, plutôt que de tasser l’ensemble de la parcelle.

Observer et…

« Connaître son sol, c’est avant tout l’observer. Si la connaissance théorique est indispensable pour comprendre les différents processus, rien ne remplace une observation de terrain pour prendre les bonnes décisions », affirme Simon Dierickx.

La première étape consiste à réaliser une analyse de sol, environ tous les cinq ans. Celle-ci permet de suivre l’évolution du pH, des éléments nutritifs et du taux de carbone, et d’évaluer les effets concrets des pratiques culturales.

Mais au-delà de l’analyse chimique, il est aussi essentiel de s’intéresser à la fertilité physique, autrement dit à la structure du sol. Plusieurs indicateurs peuvent être observés directement sur la parcelle.

– L’état des cultures : une végétation hétérogène, des zones de croissance ralentie ou encore des traces de roues persistantes sont souvent le signe de zones compactées.

– La surface de la terre : un sol grumeleux, couvert de turricules de vers de terre, traduit une activité biologique et une bonne porosité. À l’inverse, une surface glacée, des terres « comme un miroir », ou un engorgement d’eau révèlent un problème d’infiltration.

– Le développement racinaire : en observant les racines d’un couvert (radis, moutarde…), on peut rapidement évaluer leur capacité à explorer le sol. Des racines qui s’étalent en « arêtes de poisson » indiquent une compaction dans laquelle se sont faites quelques fissures. « On peut comparer cela à un mur de briques. Les racines se développent dans les joints », décrit Simon Dierickx.

– La structure interne : en creusant une fosse, on peut visualiser le profil du sol. Un horizon homogène et grumeleux est bon signe, tandis qu’une zone compacte à 10 – 15 cm traduit souvent un tassement.

… diagnostiquer

Plusieurs outils peuvent aider à affiner ce diagnostic. Le pénétromètre, simple tige métallique, donne une estimation de la résistance à la pénétration, ou encore un manomètre mécanique ou électronique permet d’en quantifier la force. « Mais l’outil le plus précieux reste souvent la bêche, qui offre une vision directe de la structure », ajoute Simon Dierickx.

Ces observations doivent conduire à une prise de décision raisonnée : identifier la cause du tassement (passages répétés, conditions humides, affinage excessif…) et adapter l’itinéraire cultural. Lorsque le retour à l’état naturel est difficile, l’emploi d’un fissurateur peut s’envisager, à condition d’intervenir dans de bonnes conditions d’humidité.

Un diagnostic régulier, notamment au début de l’automne, permet d’intervenir au bon moment. Les tournées de plaine sont aussi l’occasion de réaliser des mini-profils de sol à l’aide d’un télescopique ou d’une grue, pour mieux visualiser le développement racinaire en profondeur et la richesse des horizons.

Enfin, certaines interventions peuvent accentuer les problèmes de compaction. La semelle de labour apparaît souvent en cas de travail du sol dans de mauvaises conditions (trop humide ou trop sec). D’autres outils, comme les disques ou les herses rotatives, peuvent également lisser le sol et fermer les galeries de porosité. Un affinage excessif rend le sol battant. « On remarque donc qu’en voulant améliorer la structure, on finit parfois par la dégrader. La règle d’or reste donc d’intervenir avec parcimonie, uniquement lorsque c’est nécessaire », conclut Simon Dierickx.

Mesurer et investir dans la qualité physique des sols

Observer, c’est bien. Mesurer, c’est encore mieux. Pour objectiver les observations de terrain, plusieurs outils permettent aujourd’hui d’obtenir des données chiffrées et d’analyser la qualité physique des sols à grande échelle. C’est tout l’objectif du projet Terrae, mené en partenariat avec plusieurs structures, qui réalise depuis plusieurs années de vastes campagnes de mesures sur l’infiltration de l’eau et la stabilité structurelle des sols, en lien direct avec les risques d’érosion.

L’idée est d’aborder les phénomènes érosifs à travers des indicateurs mesurables. Deux tests sont principalement utilisés : le test Beerkan, qui calcule la capacité d’infiltration de l’eau (en mm/h), et le test QuantiSlake, où une motte de terre est plongée dans l’eau pour mesurer, en temps réel, la perte de poids liée au ruissellement et à l’entraînement de particules. Plus la courbe décroît rapidement, plus le sol est sensible à l’érosion.

Durant quatre ans, des campagnes de prélèvements ont été menées sur des parcelles d’interculture, de betteraves et de pois de conserverie afin d’évaluer l’impact des pratiques agricoles sur la stabilité structurale. Les résultats montrent d’abord que toutes les parcelles ne partent pas sur un même pied d’égalité : l’historique de la parcelle influence fortement sa stabilité à la moisson. En revanche, la présence d’un couvert végétal en interculture, grâce à son effet racinaire et à l’absence de travail du sol intensif, améliore nettement la stabilité. À l’inverse, la technique et la date de destruction du couvert, ainsi que le labour, ont un effet déstabilisant marqué.

En cultures betteravières, les mesures d’infiltration ont révélé une grande variabilité, même au sein d’une même parcelle. Cela montre que les tests doivent encore être développés et multipliés pour affiner les tendances. Cependant, une constante se dégage : plus le travail du sol est réduit, meilleure est la stabilité structurelle. En semis direct, où aucun travail du sol n’est effectué depuis l’été précédent, la stabilité est maximale. À l’inverse, elle diminue progressivement avec l’intensification du travail mécanique.

Les mêmes tendances s’observent en pois de conserverie : le labour d’hiver ou de printemps fait chuter la stabilité, tandis que les systèmes simplifiés permettent de maintenir une structure solide et les rendements. « Des sols plus stables, c’est donc aussi une meilleure résilience face aux aléas », ajoute Laurent Serteyn.

Investir dans son sol, un pari gagnant

« Pour améliorer la stabilité, il faut investir dans son sol », résume Simon Dierickx. Réduction du travail du sol, non-labour et augmentation de la teneur en matière organique sont les leviers les plus efficaces. Ces pratiques améliorent la structure et maintiennent la fertilité physique, chimique et biologique.

L’équilibre repose sur un bilan humique positif : les entrées de carbone doivent compenser les pertes liées à la minéralisation. Or, dans nos régions, les sols perdent environ une tonne de carbone par hectare et par an. Seules certaines cultures, comme le colza, le maïs grain ou épis broyés et les céréales avec restitution de la paille, permettent une restitution suffisante. Les autres cultures exportent l’essentiel de la biomasse et appauvrissent le sol si rien n’est compensé.

Les couverts végétaux constituent dès lors un investissement rentable pour enrichir les sols en matière organique. L’intégration d’une prairie temporaire d’au moins de deux ans dans les rotations reste le levier le plus efficace pour conserver, voire augmenter, la teneur en matière organique. Le système polyculture-élevage demeure d’ailleurs le modèle le plus durable, par les échanges constants entre productions végétales et animales.

Grâce à des outils comme Merci, il est désormais possible d’attribuer une valeur monétaire aux éléments nutritifs restitués par les couverts végétaux, prouvant qu’ils ne sont pas qu’une contrainte réglementaire, mais bien un investissement agronomique rentable. Pour maximiser leur efficacité, il convient de réussir leur implantation : semer tôt, détruire tard et allonger la durée de végétation. Certaines exploitations testent même des couverts permanents, comme le trèfle violet sous froment.

Enfin, Laurent Serteyn rappelle quelques clés simples pour progresser durablement : s’informer et se former, observer et analyser son sol, échanger avec d’autres agriculteurs pour apprendre de leur expérience, couvrir et nourrir le sol, et enfin ne pas hésiter à réaliser ses propres tests à petite échelle.

Astrid Bughin

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