Tripl’Scotch: le cocktail gagnant entre les races laitières et l’Angus!
Si l’on vous dit Tripl’Scotch, ne pensez pas directement à une boisson alcoolisée, mais plutôt à un projet de recherche ! En effet, derrière ce nom assez surprenant, on retrouve l’Angus. Une race écossaise utilisée en croisement sur des vaches Jersaise, Normande et Holstein dans le cadre d’un programme mené par Luc Delaby, ingénieur à l’Inrae (Institut national français de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Le pari ? Valoriser ces veaux laitiers issus de cette union. Et cette idée remporte déjà un franc succès !

On le sait : la valorisation des veaux laitiers constitue un véritable défi. Si nous vous en parlions déjà dans notre dossier élevage du 13 novembre, les projets consacrés à cette thématique se poursuivent, en Belgique comme ailleurs. C’est notamment le cas en France avec le programme Tripl’Scotch. Afin d’en faire profiter les éleveurs belges, Luc Delaby est venu en expliquer les tenants et les aboutissants à l’occasion d’une des journées techniques organisées par le Cra-W.
Avant de se lancer dans le vif du sujet, place à un peu de recontextualisation. Un état des lieux paradoxal, comme l’a souligné l’expert. Tout d’abord, si pour les citoyens et les autorités les prairies sont la panacée, l’élevage, lui, est pointé du doigt pour son impact écologique. Pourtant, on le sait, l’un ne va pas sans l’autre. D’autant plus que la consommation de viande bovine a encore de beaux jours devant elle. Si en Europe elle est stable, certains pays dont le niveau de vie augmente en sont de plus en plus friands. Le tout conjugué au fameux hamburger, devenu un plat incontournable. La preuve : il représente 60 % de la viande bovine traitée en France. Tandis que ce burger a le vent en poupe, une blanquette de veau, par exemple, n’attire plus les foules. Des veaux blancs dont la production est souvent décriée et qui ne remportent plus vraiment les faveurs des consommateurs.
S’ajoute à cela l’hyperspécialisation, soit le lait pour les races laitières, la viande pour les allaitantes. Une logique économique compréhensible pour l’éleveur, qui peut augmenter son revenu et intensifier sa production. « À l’échelle de l’animal ou de l’exploitation, la spécialisation et l’intensification peuvent se justifier, à l’échelle nationale et mondiale, elles créent des déséquilibres ». Et une réalité demeure : une vache laitière produira, quoi qu’il arrive, de la viande au cours de sa vie. Les deux sont indissociables. Dès lors, pourquoi ne pas mieux valoriser cette production issue du troupeau laitier ? C’est à partir de cette réflexion qu’est né Tripl’Scotch.

D’abord des doses sexées, puis place à la méthode naturelle
Pour ce faire, prenez un troupeau de vaches laitières composé de trois races : Jersiaise, Holstein et Normande. Ces bovins vivent en prairie 8 mois par an et en bâtiment le reste de l’année. Dans le cadre de ce programme, il y en a 144 avec un 1er vêlage à 2 ans. Des mises bas groupées sur trois mois : février, mars et avril. La période de reproduction a donc lieu durant un timing très précis, du 21 avril au 21 juillet. Un processus bien rodé pour ce cheptel, utilisé au départ afin de mener d’autres expérimentations sur ce site normand de l’Institut de recherche. « Le problème est que nous ne voulions pas faire naître de mâles Jersey, pour des raisons déjà connues des éleveurs. Dans un programme porté par l’Inrae, il n’était pas judicieux de recommander l’abattage à la naissance de veaux dont nous n’avions pas besoin… ».
Face à ce constat, l’équipe décide d’utiliser de la semence sexée. « On peut s’en servir de différentes manières, sur des femelles intéressantes génétiquement, ou alors comme en Irlande, lors de la première insémination. Dans ce cas de figure, celles qui ne sont pas gestantes sont utilisées pour le croisement. Puis, il y a une troisième méthode… ». L’équipe opte justement pour cette dernière option.
La technique ? Inséminer les vaches du 21 avril jusqu’au 1er juin avec des doses sexées, en race pure, pour assurer le renouvellement du troupeau. Ensuite, après le 1er juin jusqu’au 21 juillet, c’est au tour du taureau Angus d’entrer dans l’arène…
C’est ainsi que, sur ce site, naissent chaque année des génisses en race pure accompagnées d’une quarantaine de veaux croisés (Jersiaise x Angus, Holstein x Angus et Normande x Angus) !

La naissance d’un partenariat gagnant-gagnant
« Lorsque nous avons commencé cette expérience, nous ne gardions que les femelles de race pure. Classiquement, à 15 jours, les veaux mâles et femelles croisés partaient afin de devenir des veaux de boucherie. Néanmoins, le marché était mauvais pour ces bêtes », raconte Luc Delaby. Le site bénéficiant de prairies de moins bonne qualité, mais intéressantes pour ce type d’élevage, la décision est prise : les croisés resteront au sein de l’exploitation. Toutefois, plusieurs conditions s’imposent. Il fallait un cheptel peu coûteux en temps et argent, sans perdre en rentabilité. Bref, des bêtes simples et efficaces !
Cependant un défi persiste… Il fallait trouver une filière capable de mettre en lumière le potentiel de ces bovins d’un nouveau genre. « Lorsque nous avons réalisé notre première vente, on nous a informés que nous étions dans la lignée du cahier des charges de Charal ». Une enseigne qui a développé le Herbo’pacte. Cette filière a pour but de valoriser les systèmes d’élevage centrés sur l’herbe. « Pour eux, c’est la viande de demain… », ajoute-t-il. À partir de là, une collaboration gagnant-gagnant entre les chercheurs, d’un côté, et l’entreprise, de l’autre, débute. Un partenariat d’autant plus intéressant que la marque donne accès aux scientifiques à certaines pièces de viande. L’opportunité de les passer au peigne fin afin de connaître, notamment, leur valeur nutritive.
Pas de concentré en finition, mais un ensilage de top qualité
Au niveau de la conduite d’élevage, ces animaux nés entre mars et avril vivent avec les génisses laitières jusqu’à leurs 5 mois. C’est le seul moment durant lequel ils recevront un peu de concentrés… Puis, les jeunes bêtes sont séparées et les mâles castrés afin qu’ils puissent continuer à vivre avec les femelles croisées. Une question de facilité…
Mi-novembre, ils rentrent tous en stabulation. Ils y reçoivent un fourrage classique, avec de l’enrubanné et éventuellement un peu de foin. À partir de mars, ils repartent au pré « et vivent leur vie sans objectif de croissance absolue ». À partir de novembre, rebelote, les bovins rentrent en bâtiment et profitent d’un fourrage « normal ». Par après, durant 60 à 80 jours, ils peuvent profiter du meilleur ensilage de l’exploitation. « Nous ne mettons jamais de concentrés. Ils sont finis avec cet ensilage d’excellente qualité ». C’est lorsqu’ils sont âgés de 2 ans qu’ils partent à l’abattoir, en deux vagues, à quelques jours d’intervalle.
En croisement avec des mères Normande et Holstein, ils sont abattus à un peu plus de 600 kg de poids vif pour environ 300 kg de carcasse. Cela passe à une moyenne de 532 kg de poids vif et 256 kg de carcasse pour les croisés Jersiaise, voire un peu moins pour les femelles (voir tableaux).
« Quelques animaux sont trop lourds pour le cahier des charges. Concernant les Jersiaise-Angus, c’est parfois le contraire ».
« Zéro regret d’avoir opté pour cette race »
D’après Luc Delaby, Tripl’Scotch séduit, et beaucoup sont ceux qui viennent visiter le site. Avec des interrogations, évidemment, sur la qualité de la viande. De son côté, Charal est également satisfait de cette collaboration et recherche de nouveaux talents. « Cela intéresse les producteurs laitiers et aussi les céréaliers. Ces derniers se sont aperçus de la dégradation de la structure et de la teneur organique des sols et sont confrontés aux problèmes d’adventices. Ils souhaitent remettre de l’herbe dans leur système avec des animaux à engraisser. C’est pourquoi Charal place chez eux des animaux à l’âge de 5 mois. Toutefois, l’enseigne cherche des éleveurs capables d’assurer la phase de 0-5 mois, moyennant une rémunération satisfaisante », complète-t-il.
Toujours au niveau des interrogations, plusieurs portent sur le choix de l’Angus. Qu’a-t-elle de plus qu’une autre race ? À cette question, l’expert met en avant sa facilité de vêlage, sa précocité, son aptitude pour une bonne finition à l’herbe, la qualité de sa viande et sa capacité à produire des pièces de petite taille, mieux adaptées aux besoins des consommateurs d’aujourd’hui. Enfin, l’Angus n’a naturellement pas de cornes. On peut, dès lors, faire l’impasse sur l’écornage. De plus, il souligne la docilité de ces attachants bovins. « J’ai zéro regret d’avoir choisi l’Angus », souligne Luc Delaby qui, sans aucun doute, a réussi à faire mouche parmi les éleveurs belges présents dans l’assemblée…







