Machinisme agricole: Stefan Top, président du Cema, décrypte les défis du secteur
Si Stefan Top endosse au quotidien la fonction de directeur général d’AVR, il est également président du Cema, l’Association européenne des constructeurs de machines agricoles, depuis novembre 2024. À ce titre, il est directement confronté aux défis que rencontre le secteur, que ce soit en termes de réglementation, autonomisation, exportation… Agribex constitue l’occasion de dresser un point sur la situation actuelle.

L’association s’organise autour d’une vision : construire des machines agricoles de pointe et proposer des solutions pour une agriculture durable. Pour ce faire, elle s’appuie au quotidien sur l’expertise de ses membres. Le tout sous l’égide d’un président, le Belge Stefan Top, qui a succédé le 19 novembre 2024 à Thierry Krier, président-directeur général du groupe Kuhn.
Stefan Top, vous êtes président du Cema depuis un an déjà. Comment le vivez-vous ?
Cela me demande plus de temps que prévu (rires). D’autant qu’habitant en Belgique, je suis plus enclin à dire « oui », à sauter dans ma voiture et à me rendre aux réunions et divers événements. Je suppose qu’un président vivant à l’étranger n’est pas aussi disponible. La présidence ouvre de nombreuses portes avec, à la clé, un réseau qui s’étend. Cela permet de côtoyer des personnes que l’on n’aurait pas rencontrées aussi facilement autrement. C’est le cas, notamment, de personnes de premier rang au sein de la Commission européenne. Dans ce cadre, j’ai reçu le commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen. Ce fut, sans aucun doute, un moment fort. Il est non seulement intéressé mais connaît également l’agriculture. Il nous considère comme un « facilitateur » ou un « catalyseur » en vue d’atteindre les objectifs européens.
Quelles sont vos tâches pratiques ?
Être président, c’est être responsable du fonctionnement opérationnel de l’organisation. Le secrétaire général rapporte au président et je préside les quatre conseils d’administration annuels. Ce qui demande quelques préparatifs tels que déterminer le contenu, coordonner la stratégie à suivre ou encore harmoniser les visions des différentes entreprises afin que tout le monde n’ait pas un discours différent.
Comment êtes-vous devenu président ?
J’ai une longue carrière au sein du Cema, car je siège au conseil d’administration depuis fin 2010 déjà. C’est en fait la troisième fois que l’on me demande d’être président. Cette fois a été la bonne, et j’ai été élu à l’unanimité. Le fait que je sois présent depuis si longtemps a aussi joué en ma faveur. Je connais donc bien le fonctionnement du système, car les sujets abordés sont complexes. Le fait que je ne sois pas nouveau dans le secteur et que j’aie déjà construit un réseau autour de moi a été un atout.
De quelles réalisations êtes-vous fier ?
Quels sont les autres sujets d’actualité sur lesquels travaille le Cema ?
Je pense au CRA (Cyber Resilience Act). Il s’agit d’une législation européenne visant à améliorer la cybersécurité des produits contenant des éléments numériques. Cela concerne également les machines agricoles « connectées ». Elles doivent être équipées de certains dispositifs de sécurité afin d’éviter tout piratage. Un autre sujet qui nous préoccupe actuellement est celui des tracteurs autonomes. Relèvent-ils de la directive « Machines » ou de la « Tractor Mother Regulation » ? Nous nous penchons sur la question de savoir à quelles exigences doit satisfaire un engin qui ne circule pas sur la voie publique, mais qui peut parfois la traverser. Ces discussions sont toujours en cours. 
La multitude de salons et autres événements est-elle un sujet d’actualité ?
Non ! Nous ne pouvons et ne devons pas intervenir dans ce domaine ; nous ne prenons aucune décision à ce sujet. Les salons sont souvent organisés par des fédérations, parfois par des acteurs privés. Cela suscite beaucoup de tensions, mais elles ne sont pas abordées au sein du Cema. Nous devons veiller à respecter les règles de concurrence en vigueur en Europe. Elles font l’objet de contrôles stricts. Les autorités françaises, par exemple, sont très strictes à cet égard.
Des plaintes concernant le coût sans cesse croissant des engins agricoles se font entendre. Comment les fabricants peuvent-ils garantir qu’ils restent abordables ?
Il s’agit d’une dualité entre ce que le client attend et ce que le constructeur propose. Je me permets, ici, de m’exprimer au nom d’AVR et non du Cema. Nous avons dévoilé une nouvelle version de l’arracheuse à pommes de terre Puma sur laquelle nous avons essayé d’intégrer les commentaires des clients et les améliorations qu’ils suggéraient. Cela a un coût, car elle comporte davantage de fonctionnalités. Mais celles-ci ont été demandées par les clients… Auparavant, le coût de nombreuses machines avait augmenté en raison de l’arrivée des systèmes de post-traitement des gaz d’échappement. Cela était lié aux normes environnementales auxquelles les fabricants doivent se conformer. Mais le coût des machines n’est pas un sujet en soi au sein du Cema.
Comment se porte le marché des machines agricoles ? Quelles sont les perspectives ?
Sur base d’un aperçu des immatriculations de nouveaux tracteurs, nous constatons que celles-ci ont diminué dans certains pays. Ce que l’on ne peut nier après la course effrénée de 2023, avec ses situations post-Covid et autres problèmes d’approvisionnement en pièces détachées. Les parkings des concessionnaires étaient alors pleins et les taux d’intérêt ont augmenté. Leur trésorerie étant sous pression, les concessionnaires ont cessé de passer des commandes à l’usine afin d’écouler les stocks. Il en résulte une année 2024 moins bonne, et 2025 suit la même tendance. On pense que 2026 sera meilleure, car les stocks ont été écoulés. Ceux-ci constituent, en quelque sorte, un poison : lorsque les parcs des concessionnaires sont pleins, il faut du temps pour résorber les stocks, et le marché ne fonctionne alors pas normalement. 
Les puissances augmentent, les largeurs de travail aussi. Faut-il craindre qu’il n’y ait bientôt plus de « petites » machines disponibles ?
Non, de nouveaux tracteurs sont également mis sur le marché dans les petites puissances. Il ne faut pas oublier que la consolidation dans l’agriculture se poursuit sans relâche. L’âge moyen des fermiers augmente. Beaucoup quittent le secteur et leurs terres sont reprises par d’autres. Les grandes exploitations ont alors besoin d’un parc de machines adapté car elles doivent travailler avec moins de main-d’œuvre sur des périodes tout aussi courtes. En raison de l’évolution du climat, on constate encore que les périodes durant lesquelles il est possible de travailler raccourcissent. Il est donc important d’avoir une capacité de frappe suffisante. Cela explique en partie la tendance à utiliser des machines plus grandes.
La vitesse à laquelle les constructeurs avancent dans les solutions numériques (télématique, agriculture de précision, transfert des données…) n’est-elle pas trop élevée par rapport aux attentes et besoins du terrain ?
En effet, tout est allé très vite. Nous constatons toutefois que l’utilisateur adopte rapidement ces technologies lorsqu’il en perçoit la valeur ajoutée. Certains rentabilisent leur investissement dans un système d’aide à la conduite GPS avec coupure de section en un an, voire moins. En effet, cela leur permet de réaliser des économies sur les plants, les semences, les produits phytosanitaires, les engrais… C’est particulièrement vrai dans les cultures où les intrants ont un impact financier important sur le coût de revient. Si le retour sur investissement est intéressant, l’agriculteur n’hésite pas à investir. De nombreuses cultures nécessitent d’être triées, ce pour quoi on utilise des caméras intelligentes, l’intelligence artificielle et des algorithmes qui remplacent la main-d’œuvre. Il s’agit souvent d’un travail pour lequel il est difficile de trouver du personnel. Le tri constitue, en effet, une tâche plutôt monotone et ennuyeuse, ce qui rend la technologie de reconnaissance d’images très populaire dans ce domaine.
On parle souvent d’électrification et d’autres formes de motorisation alternatives. Quand
(Rires) Je me demande parfois ce que signifie « alternatif ». Lors du dernier Agritechnica, j’ai observé une machine à propulsion électrique dans laquelle un moteur hydraulique entraînait d’abord un alternateur. Je me suis alors demandé où nous en étions… Les techniques alternatives finiront bien par arriver.
Comment les fabricants « traditionnels » et le Cema perçoivent-ils l’essor des robots ?
Nous sommes favorables à cette évolution. Les grands acteurs s’y intéressent. À l’heure actuelle, je pense que les tracteurs autonomes suscitent davantage d’intérêt que les véritables robots. C’est une question de puissance. Les délais pour intervenir au champ sont courts… Le recours au robot requiert de nombreuses unités, qu’il faut déplacer. Un tracteur autonome peut toujours être couplé à de larges outils. De plus, il en faut moins que des petits robots, que je vois plus facilement se coincer dans les parcelles ou tomber en panne, faute de batterie. À mon avis, les robots sont plus adaptés à l’horticulture. En agriculture, je crois davantage aux tracteurs autonomes. Ceux-ci peuvent encore être utilisés manuellement pour circuler sur la route ou pour être déplacés de manière encadrée vers le champ. Concernant les robots, il n’existe pas encore de solution leur permettant de rouler en autonomie sur la route, jusqu’au champ. En Europe, les parcelles sont souvent petites, ce qui oblige à déplacer fréquemment les robots. Avec un tracteur autonome, on peut intervenir plus rapidement et le déplacement ne pose pas de problème.
Pour finir, que répondez-vous à ceux qui assimilent le Cema à un lobby ?








