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«Innover, c’est se créer un créneau et aller chercher la plus-value qu’il offre»

Réseau de chaleur, séchage de foin en grange, serres chauffées… La ferme Champignol, une exploitation bio à Surice, n’est pas en manque de projets ! À partir de son unité de biométhanisation, elle innove et développe ses installations de manière à ce qu’elles soient en interconnexion. Retour sur une exploitation dans laquelle s’est tenue la 4e Route de l’innovation impulsée par le Réseau wallon de développement rural.

Temps de lecture : 8 min

Porteurs de projets innovants, Dimitri Burniaux et Marie Etienne sont installés à Surice, dans la Ferme Champignol. L’exploitation familiale en polyculture élevage dispose de 75 ha (30 de mélanges céréaliers et 45 de prairies temporaires et permanentes), d’un cheptel laitier d’une soixantaine de productrices et d’une unité de biogaz, soit le point de départ à toutes les innovations sur l’exploitation.

S’ils sont considérés comme des innovateurs, Dimitri reste modeste : « On ne fait qu’une synthèse des projets qui existent autour de nous ! On se renseigne, on visite ce qui se fait… Cela fait huit générations que la ferme existe. »

La mélangeuse fait un mix de tous les intrants, ce qui correspond théoriquement à un ration équilibrée. Le système introduit ensuite la ration dans le digesteur au fur et à mesure que ce dernier a «faim».
La mélangeuse fait un mix de tous les intrants, ce qui correspond théoriquement à un ration équilibrée. Le système introduit ensuite la ration dans le digesteur au fur et à mesure que ce dernier a «faim». - P-Y L.

D’une optique conventionnelle…

C’est en 1996 que Dimitri s’associe à ses parents sur la ferme. À l’époque, l’exploitation valorise déjà une partie du lait en beurre et en fromage blanc (la boulette de Surice) qu’elle vend tous deux dans son magasin.

Alors que ses parents s’occupent de la transformation du lait et du magasin, Dimitri se consacre aux activités traditionnelles. « Quand je suis sorti de l’école, j’étais un phytoman convaincu et j’étais dans une optique plutôt conventionnelle. »

Freiné par son petit quota, il décide d’investir 4 ans plus tard dans un cheptel de 300 chèvres laitières… sur un coup de tête ! Le travail est peu rentable et énergivore. Dimitri ne parvient pas à augmenter le revenu en vue d’engager. une tierce personne. Le projet est donc abandonné en 2005.

… à la biométhanisation

C’est à cette époque que le projet d’unité de biogaz arrive sur l’exploitation.

La raison ? Un appel à projet lancé par le Centre pilote en énergie renouvelable et un travail sur le potentiel énergétique de la ville de Philippeville réalisé par l’asbl La Surizée. Si la biométhanisation a tout son sens, les exploitants ne sont alors pas suffisamment solides pour se lancer dans un tel projet. Ils s’associent donc avec l’asbl qui a se fixe pour objectif le développement du renouvelable dans 4 villages (dont Surice) et de les pousser à une transition écologique.

Leur premier projet est refusé par l’urbanisme pour le terrain qu’ils avaient proposé, vient alors l’idée de le déplacer sur la ferme. À l’époque, le projet est très innovant et Dimitri doit se former sur le terrain.

« Nous n’étions alors que trois exploitations en Wallonie à nous être lancé dans pareille initiative. Nous ne nous côtoyions pas souvent contrairement à maintenant », explique Dimitri.

Au début, les certificats verts (CV) étaient de bons incitants mais leur prix à progressivement diminué contrairement aux prix des intrants qui ont augmenté. « On a connu quelques années de vaches maigres. » En 2013, Dimitri co-fonde la Feba, la fédération des biométhaniseurs agricoles wallons afin de faire comprendre aux politiques le manque de rentabilité de ses installations. D’où l’obtention de davantage de CV pour ce type d’installation.

« Ce qui nous manquait, c’était une vision économique claire. Aujourd’hui, on est payé à 80 % par les certificats verts… Ceux-ci sont notre employeur ! Mais ils dépendent de notre gouvernement… et il n’est pas aussi durable que l’énergie renouvelable ! »

En ce qui concerne les intrants, on a d’abord utilisé du maïs avant de rapidement s’intéresser aux sous-produits déclassés de l’agriculture : pulpes de betteraves, déchets de triages de céréales, de pommes de terre, tontes de pelouse, du fumier, du lisier… Des intrants de qualité relativement correcte qui permettent à la sortie de mieux valoriser les 5.000 t de digestat produites annuellement.

Dimitri Burniaux s’est rapidement tourné vers des sous-produits déclassés de l’agriculture: pulpes de betteraves, déchets de triage de céréales, tontes de pelouse, un peu de fumier, un peu de lisier.
Dimitri Burniaux s’est rapidement tourné vers des sous-produits déclassés de l’agriculture: pulpes de betteraves, déchets de triage de céréales, tontes de pelouse, un peu de fumier, un peu de lisier.

Fertilisation : à 100 % autonome

Et d’en venir à la fertilisation : « On est 100 % autonome de ce point de vue. On produit plus ou moins 1.000 t de fumier sur l’exploitation et on consomme 2. 000 m³ de digestat. On importe donc près de 1.000 t d’intrants. »

« Le digestat représente une économie de 100 à 200 euros d’engrais minéraux à l’hectare. »

Un réseau de chaleur dans la foulée

Dans la foulée de la construction de l’unité de biogaz, en 2006, un réseau de chaleur vient se greffer à l’installation. D’une longueur de 400m, il alimente en chaleur 16 logements avoisinants. Dimitri sourit : « Si les habitants étaient d’abord récalcitrants, l’économie que leur proposait la technologie les a poussés à accepter… Mais on sentait une certaine jalousie des autres voisins. Plus on s’éloignait du village, plus il y avait des pétitions contre… Une fois l’installation terminée, ces mêmes signataires ont demandé à être raccordés. »

Le réseau est raccordé au circuit des chaudières existantes. Ainsi chauffées, celles-ci « oublient » de s’allumer. « En cas de panne du réseau, les chaudières repassent sur le mazout. Mais voilà plus de deux ans que nous n’avons plus connu de panne avec le circuit », explique l’exploitant.

Pour Dimitri Burniaux, le réseau de chaleur a été dimensionné sur les 140 kW thermiques de l’installation. «Le réseau ne connaît qu’une déperdition de 2°C, une paille!»
Pour Dimitri Burniaux, le réseau de chaleur a été dimensionné sur les 140 kW thermiques de l’installation. «Le réseau ne connaît qu’une déperdition de 2°C, une paille!» - P-Y L.

Puissance doublée

En 2015, les parents Burniaux prennent leur pension. Quant à Dimitri, il recapitalise dans l’installation et double sa puissance, passant ainsi de 100 à 200 kW. « Par rapport aux installations, wallonnes, nous avons la plus petite parmi les grosses. »

Et en 2016-2017, vient une nouvelle cuve de stockage pour optimiser la puissance de l’unité.

Une telle installation demande de la présence. « Le temps de travail sur l’installation ? Minimum une heure par jour ! En fonction des pannes, cela peut évidemment augmenter. Pour le moment, on passe plus de temps dans les optimisations, les constructions, le bétonnage… »

Passage au bio…

Quant à Marie, elle s’occupe plutôt du maraîchage, du magasin, et des veaux.

Cette ingénieure diplômée de Gembloux rejoint pleinement Dimitri sur l’exploitation en 2010, à la naissance de leur premier enfant. Elle souhaite parvenir à une autonomie alimentaire. « J’avais envie de m’occuper de notre enfant et de nous fournir une alimentation de qualité. » Elle se lance donc un potager.

En 2011, la ferme passe en bio, ce qui entraîne une modification drastique des rations des laitières, des cultures et de l’équipement. Exit le maïs et le froment, place aux mélanges céréaliers, aux prairies temporaires.

C’est une petite révolution pour les laitières puisque l’exploitation est dorénavant en autonomie fourragère à 95 %. En fonction de la qualité des fourrages, le couple achète du maïs ou de pois moulu issu de Belgique. Pour eux, c’est une démarche naturelle qui a du sens.

Mais un tel changement s’est fait ressentir sur la production. « On élève des Holsteins, des usines à maïs et non à herbe… Lors du passage au bio, on est passé d’une production de 8.500 l à 5.000 l… on est remonté un peu mais je ne m’attendais pas à descendre si bas ! Si on a envisagé de croiser notre cheptel avec de la Montbéliarde, il n’a pas été question de changer la race. Notre philosophie est d’avoir le moins de bête possible sur l’exploitation. Nous cherchons à avoir du lait et pas un maximum de bêtes. L’exploitation est équilibrée pour traire 65 vaches et cela ne va pas changer à court terme. »

… et au maraîchage !

Dans le courant de la même année, Marie lance son projet de maraîchage. Achat d’une serre d’occasion, installation de buttes permanentes… c’est le développement d’une activité professionnelle pour elle qui souhaite produire une grande diversité de légumes.

En 2014, le couple agrandit le magasin qu’ils reprendront à leur compte deux ans plus tard. Il sera géré totalement par Marie.

Cette année, les choses ont continué à évoluer. Un nouveau hangar vient d’être construit. Il implique une réorganisation de la ferme.

2017 c’est aussi l’année de l’achat de deux nouvelles serres chauffées grâce à l’unité de biogaz. « Elles sont chauffées gratuitement une fois que l’investissement a été fait. » Une belle opportunité pour Marie pour étoffer sa gamme. Elle aimerait démarrer la production de plants à repiquer pour le particulier mais cela nécessite de développer le réseau de vente. Actuellement Marie travaille avec des restaurants, des groupements d’achats, et quelques revendeurs…

La chaleur de l’unité de biogaz est aussi utilisée pour des serres chauffées.
La chaleur de l’unité de biogaz est aussi utilisée pour des serres chauffées. - P-Y L.

Pour les fruits, elle se fournit chez un grossiste mais l’idée est de privilégier l’achat les producteurs afin de combler ou de compléter l’offre du magasin. Elle réfléchit d’ailleurs avec d’autres producteurs à la création d’une coopérative de producteurs et de consommateurs. L’objectif ? Vente et échange de produits entre producteurs. « On aimerait que la structure soit un petit grossiste pour les producteurs. »

« Comme en hiver le maraîchage est plus calme, je propose également des ateliers de vannerie avec des matériaux sauvages… Pourquoi ne pas proposer d’autres ateliers, des formations en vue de réapprendre à cultiver, cuisiner, conserver les légumes anciens ? »

La fromagerie se développe !

Si la ferme produit du beurre et de la boulette de Surice depuis 83, le couple a rencontré un jeune fromager, Tristan Ratz, qui a pris ses quartiers dans la fromagerie. « On a du lait, un local et Tristan peut tester des recettes. Ça démarre bien et on espère que cela va continuer même si cela va nécessiter des aménagements au niveau d la fromagerie. Actuellement, la vente se fait au magasin mais sera développée chez tous les autres revendeurs », indique Marie.

En hiver, Marie a pour autres projets de proposer des ateliers en vue de réapprendre des savoir-foire anciens.
En hiver, Marie a pour autres projets de proposer des ateliers en vue de réapprendre des savoir-foire anciens. - P-Y L.

Du foin séché en grange

En 2018, le hangar destiné au séchage de foin en grange devrait être opérationnel. Dimitri a pris le temps de la réflexion pour un tel investissement. Selon lui, le retour sur investissement est lent, soit de 10 à 12 ans. Une telle structure va permettre de valoriser la chaleur du biogaz en été (250 kW thermiques). « On aura besoin de maîtrise, raison pour laquelle une formation est prévue en Normandie. Dimitri espère une augmentation de la production laitière « d’au moins 500 l par vache ».

Par ailleurs, le fait que le fourrage ainsi séché permette d’améliorer également les taux butyriques du lait et la qualité fromagère participe à la rentabilité indirecte du projet. « En France, les AOC exigent d’ailleurs d’avoir un lait fait à partir de fourrages secs. » « Chez nous, il va falloir créer un créneau pour aller chercher la plus-value qu’elle offre. C’est là que la clé du système se trouve ! »

P-Y L.

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