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Histophilus somni, un germe qui foudroie les bovins insidieusement

Perdre une vingtaine de taurillons en l’espace d’un mois sans percevoir de signes avant-coureurs, c’est la mésaventure qu’a connu Eric Royer, naisseur-engraisseur à Fexhe-Slins. La cause ? Histophilus somni, un germe connu depuis des années mais dont l’incidence sur le cheptel peut s’avérer dévastatrice surtout depuis quelques années. Un épisode d’autant plus désastreux qu’il n’a pas été aisé de diagnostiquer le microbe. L’éleveur revient sur cette épizootie.

Temps de lecture : 7 min

O utre les grandes cultures, Eric Royer est à la tête d’un élevage allaitant important. Amateur des races françaises, il croise principalement du Blanc-bleu avec de la charolaise et un peu de Maine Anjou. Les bêtes culardes sont réparties sur trois sites d’engraissement. Toutefois, tous les lots destinés à l’engrais transitent par le cœur de ferme, premier site d’exploitation.

Un novembre noir

« Cette année, la mise en route de nos lots était très correcte, mais une fois transférés sur le second site, il n’a pas fallu une dizaine de jours pour voir apparaître les premières mortalités », se souvient M. Royer. Le mois de novembre vient à peine de débuter.

Tous les jours survient alors une mortalité. L’éleveur les retrouve soit morts, soit couchés comme un dormeur, soit transpirant. L’éleveur et son vétérinaire sont dans l’incompréhension. « C’est d’autant plus surprenant que les animaux étaient en bonne santé la veille et que le phénomène se présente sur les deux sites. »

Sans tarder, les corps sont autopsiés. La faculté vétérinaire de Liège penche d’emblée pour le botulisme. « Le hasard a voulu que la crise commence quelques jours après une livraison d’aliments. Or, les animaux ne consomment pas d’ensilage et sont soignés au sec… »

Alors que l’éleveur transfère un lot de jeunes femelles dans son étable, il voit ses deux plus grosses génisses comme foudroyées et s’éteindre en moins de 48 heures.

Les mâles n’ont quant à eux pas l’air d’être touchés. Mais alors qu’il rentre de pâture un beau lot de taureaux solides de 500 kg, il voit un animal vaciller. Sa température est à 42,2ºC, il n’avait pourtant rien six heures auparavant. L’animal est comme foudroyé.

La semaine suivante, il retrouve un taureau mort, et un autre en passe de l’être, 48 h plus tard.« ce serait le passage dans le bâtiment principal qui donne de mauvaises suites », estime le producteur.

Plus tard, il voit un mâle pris du dos. Son vétérinaire et lui l’isolent dans un box. Le lendemain matin, il avait passé l’arme à gauche. Et c’est par la péricardite de ce taureau que les scientifiques, lors de la 8e autopsie, soupçonnent la bactérie Histophilus somni .

Il prend alors ses informations et apprend que le germe cause divers problèmes tels que l’encéphalite, la pneumonie, la septicémie, l’arthrite, la myocardite (infection au cœur). Le microbe est particulièrement présent dans les parcs d’engraissement où forte concentration animale et stress facilitent sa transmission.

Les veaux sont nourris à la louve. Cette année, quelques uns ont tété leur mère. Mais ils n’ont pas été moins vulnérables au germe par la suite.
Les veaux sont nourris à la louve. Cette année, quelques uns ont tété leur mère. Mais ils n’ont pas été moins vulnérables au germe par la suite. - P-Y L.

La vaccination, seule solution ?

On est le 16 novembre et Eric apprend par un ami éleveur que lui aussi a eu une période d'élevage difficile avec plusieurs pertes, que le vaccin contre Histophilus somni lui a été conseillé et qu'effectivement depuis la mise en place de ce schéma de vaccination l'élevage de veaux et des jeunes bêtes est devenu beaucoup plus facile. Eric commande alors le vaccin sans attendre les résultats d’analyse qui confirmeront une semaine plus tard la piste de l’histophilose.

S’il doit effectuer un rappel du vaccin trois semaines plus tard – le temps d’immunisation (7 jours) et l’acquisition des défenses– , il n’est pas épargné par l’épizootie. Il ne doit pas attendre une semaine avant de voir de nouvelles mortalités. Les animaux qui sont en incubation avancée ne peuvent lutter.

Au 4 décembre, l’hécatombe prend fin. Il aura fallu à Eric 5 longues semaines pour ne plus connaître de mortalités, soit le délai avant lequel le vaccin peut faire pleinement effet. Sur ce laps de temps, une vingtaine de bovins se sont éteints.

Pas de symptôme unique

Tous les animaux ciblés par le germe ont entre 6 mois et un an. Les jeunes veaux et les adultes de plus d’un an n’ont pas connu de problèmes.

Dans la littérature, on lit que les bêtes peuvent mourir de pneumonie, d’arthrite… Sur un court laps de temps, l’éleveur aura eu tous les symptômes, et pas forcément ceux auxquels il s’attendait, ce qui a rendu le diagnostic difficile.

En effet, aucune lésion pulmonaire n’a été observée. Elles sont en général caractéristiques de l’histophilose. « Peut-être parce qu’elles n’ont pas eu le temps de se développer », nous explique un vétérinaire. « Si les animaux sont morts d’une dégénérescence suite à des arthrites, c’est avant tout le signe d’une septicémie qui provoque une mort rapide », précise-t-il encore. Dans cet élevage, le vétérinaire a observé plusieurs cas d’arthrose et un d’endocardite.

«  Histophilus , nous le connaissons depuis longtemps mais il n’a jamais fait autant de dégâts… Les morts étaient toujours ponctuelles. Selon les experts, il semblerait que près de 50 % des exploitations détiennent le germe en leur sein. Mais il est possible que seul moins d’1 % d’entre elles connaîtront des problèmes. « Tout le monde peut l’avoir… mais la question est de savoir quand le microbe frappera ». Notons que selon l'Arsia et la DGZ, entre 15 et 35% des fermes à problème respiratoires sont porteuses d’ H. somni .

Et si le vétérinaire n’a pas d’emblée pensé au germe, c’est tout simplement car il n’a jamais connu un cas aussi suraigu. Au total, entre 15 et 20 autopsies ont été réalisées. « Quand on recherche H istophilus de manière traditionnelle, on ne le trouve pas. D’où la nécessité d’utiliser la méthode PCR, un système de détection beaucoup plus fin, qui démultiplie l’ADN des microbes. »

Eric Royer croise la base de son élevage Blanc-bleu principalement  avec du Charolais et un peu de Rouge des prés.
Eric Royer croise la base de son élevage Blanc-bleu principalement avec du Charolais et un peu de Rouge des prés. - P-Y L.

Une bactérie latente dans près de 50 % des exploitations belges

« Certaines mauvaises langues pensent qu’on a « acheté » la maladie. Avec le recul, je peux affirmer aujourd’hui que le germe est présent et latent depuis plusieurs saisons. J’ai eu des épisodes d’élevage plus difficiles, avec, ponctuellement, un animal mort. En septembre, nous avions trouvé un animal couché agonisant. C’était déjà le même problème », explique Eric.

De notre côté, on pense que notre cheptel aurait pu être infecté par le sperme d’un géniteur. Et dans notre exploitation, on a un mâle dont les produits sont plus fragiles. Nous les tenons donc à l’œil même s’il n’y a aucune certitude quant à la véracité de cette théorie.

D’autres chercheurs se demandent si certaines génisses porteuses du germe n’infecteraient pas des mâles. Quoi qu’il en soit, la pathologie est connue depuis des années mais se développe particulièrement maintenant, sans que l’on sache pourquoi.

Des veaux qui démarraient mal

L’éleveur a l’habitude de nourrir les veaux à la louve. L’hiver dernier, il a voulu soulager le bâtiment en laissant téter quelques-uns. Pour reconnaître les tèteurs, il leur a mis une boucle bleue. Sur la douzaine, quatre sont morts. « On aurait pu penser qu’ils auraient été plus costauds, plus résistants. »

«  Avec le recul, les cas de morts subites que l’on a eu sont imputables au germe. Une seule bête a pu être sauvée, une génisse pleine qui présentait des troubles nerveux. »

Il poursuit : « J’ose dire que le germe tourne depuis longtemps car quand le vaccin a été effectif, l’élevage des veaux a été beaucoup plus facile. Cela faisait deux ans que nous rencontrions des difficultés pour les élever. »

La situation après vaccin s’est sensiblement améliorée. En outre, on avait un problème récurrent de stomatite, une infection au niveau de la langue, mais les problèmes ont été atténués avec le vaccin. « Ce serait peut-être dû à un effet second. Outre l’immunité contre l’histophilose, le vaccin augmenterait l’immunité par rapport aux autres maladies.

M. Royer : « Je ne dis pas que le schéma de vaccination est efficace pour tous., mais nous allons le continuer. Si cela peut déjà me supprimer le problème d’aphtes, je serai déjà satisfait !

Notons que le vaccin est efficace contre Histophilus somni mais également contre d’autres pasteurelles. « Mais ce n’est pas parce que l’on vaccine contre H. somni qu’il ne faut pas être vigilant pour la RS », précise-t-il.

Suite à cette épizootie, les langues se délient. D’autres éleveurs lui confient avoir eu ce problème sans toutefois connaître la même ampleur (5 à 6 bêtes perdues).

P-Y L.

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