Accueil Santé animale

Boiteries en élevage laitier: en cas de doute, levez le pied

Bien plus importants en élevage laitier qu’en viandeux, les problèmes de boiteries ne sont pas à prendre à la légère. Si les causes sont multi-factorielles, les problèmes de pieds peuvent peser lourdement sur le bien-être de l’animal, la santé du troupeau et celle du porte-feuilles, tant la santé et la production des animaux touchés peuvent être mises à mal. Arnaud Sartelet, de la faculté vétérinaire de l’ULg, revient sur son expérience.

Temps de lecture : 8 min

Moins de trois lactations par vache – 2,7 en Wallonie, selon l’awé –, c’est le nombre moyen de lactations par vache avant réforme dans les exploitations laitières ! Les causes ? Les boiteries, au même titre que les mammites et autres troubles liés à la reproduction. Il est donc important de prévenir ces soucis de pied et/ou d’agir rapidement le cas échéant ! En effet, une boiterie négligée ou mal traitée peut avoir de lourdes répercussions, tant sur les plans économique que zootechniques (diminution des déplacements, de l’appétit, chute de la production, de la fertilité…).

Arnaud Sartelet, vétérinaire à l’ULg, est régulièrement appelé en ferme pour des parages curatifs. « Si certaines races laitières plus rustiques rencontrent moins de problèmes de cet ordre, la Pie noire holstein a des besoins métaboliques supérieurs et une sensibilité plus élevée au niveau des pieds. Or, nombreuses sont les exploitations où les animaux n’ont plus la possibilité de sortir, où les logettes ne sont pas adaptées à la taille des animaux, où les aires ne sont plus paillées mais bétonnées et donc plus abrasives (caillebottis, des sols bétonnés avec racloirs)… Les pieds sont donc souvent plus mis à contribution et bien plus sous pression. »

Si les problèmes peuvent survenir toute l’année, la saison en pâturage est généralement un phénomène positif, un facteur améliorant pour tout ce qui est problèmes de boiteries. Arnaud Sartelet : « La pression sur les onglons est moindre, l’hygiène est meilleure. A contrario, si l’on est face à un été pluvieux, que les prairies sont détrempées, la chaleur, l’humidité, la concentration des animaux… peuvent permettre la propagation de maladies à tout le troupeau, dont celle de Mortellaro notamment, pour autant qu’un individu soit porteur. »

Un phénomène surtout péri-partum

La période péri-partum est vraiment un moment critique pour les laitières. Celles qui produisent entre 30 et 40 l par jour connaissent toujours une phase de balance énergétique négative autour du vêlage. Amaigrissement, acétonémie, sensibilité aux phénomènes endotoxémiques (mammites, métrites), relâchement des ligaments, statut physiologique différent, chute d’immunité… sont autant de facteurs qui peuvent provoquer l’apparition de boiteries et de fourbures.

Davantage de problèmes à l’arrière

Les onglons sont responsables de la mobilité du pied et du confort des animaux. Ils déterminent donc non seulement l’ingestion mais également la production laitière des animaux.

Il faut savoir que 90 % des boiteries sont liées au pied et 80 % des boiteries sont liées à l’onglon externe des membres postérieurs. Et M. Sartelet de l’expliquer : « Urine, excréments… Si l’hygiène au niveau des arrières est moins bonne, d’un point de vue mécanique, c’est également de ce côté que les onglons sont soumis à plus de contraintes. Et qui dit pression sur un onglon, dit croissance plus rapide de celui-ci. Un déséquilibre se crée alors entre deux onglons du même pied. Celui-ci va pousser la vache à resserrer ses jarrets pour mettre ses pieds à plat. Les onglons vont ainsi grandir différemment et c’est alors que les problèmes apparaissent. La douleur et l’inconfort vont pousser l’animal à moins s’alimenter, à moins se déplace et a fortiori moins produire de lait. Avec le temps, l’aplomb de la bête va changer, d’où la présence de lésions arrière principalement.

Le nombre de passages au pédiluve recommandé peut être plus ou moins important en fonction de la propreté des pieds du troupeau.
Le nombre de passages au pédiluve recommandé peut être plus ou moins important en fonction de la propreté des pieds du troupeau. - CVU-ULg

Les détecter

Une observation attentive et régulière du troupeau permet la détection précoce des vaches atteintes, une prise en charge rapide des boiteries et une meilleure guérison. Cela doit devenir un réflexe lorsque l’on entre dans le troupeau, ou lorsqu’on les observe à l’étable ou en pâture. La gestion individuelle commence par la capacité de repérer toutes les vaches boiteuses, qu’elles soient le fortement, mais aussi et surtout faiblement. Toutes les boiteries doivent être détectées, de la plus légère à la plus sévère.

Plus l’animal présente des signes visibles de boiterie, plus le stade pathologique du pied est avancé. Il faut savoir qu’un animal en souffrance a souvent un dos tenu voûté, balance la tête et l’encolure, présente une raideur articulaire et se déplace par petites foulées.

Avant toute intervention sur l’animal, il faut savoir pourquoi l’animal boite. Il ne faut donc pas hésiter à lever le pied de l’animal pour repérer la présence éventuelle de lésions et évaluer leur degré de gravité. C’est une démarche simple et rapide. En cas de doute, n’hésitez donc pas à lever le pied de l’animal.

Le système de détection automatique présent les colliers peuvent être de bons moyens alternatifs à la détection des boiteries. À la base utilisé pour détecter les chaleurs, le podomètre doit pouvoir mesurer l’activité d’une bête. Si celle-ci vient à moins se déplacer, cela peut-être révélateur d’un problème de boiterie.

Arnaud Sartelet recommande deux parages fonctionnels par an, soit à l’entrée et à la sortie de la prairie, soit au tarissement.
Arnaud Sartelet recommande deux parages fonctionnels par an, soit à l’entrée et à la sortie de la prairie, soit au tarissement. - CVU-ULg

Les reconnaître

Pour le vétérinaire, on distingue deux grandes catégories de pathologies entraînant les boiteries : infectieuses et non-infectieuses ou mécaniques ou traumatiques (voir tableau en page suivante).

Du côté des pathologies infectieuses, la plus connue est la maladie de Mortellaro, viennent ensuite le panaris et le fourchet.

La maladie de Mortellaro, ou dermatite digitée, est contagieuse. Les animaux en restent toujours porteurs même en cas de traitement. « En général, c’est malheureusement une maladie que l’on achète. Une fois qu’elle est dans le troupeau, il n’existe que des moyens de prévention pour diminuer au maximum la pression et la douleur des animaux et ainsi augmenter la production. À l’heure actuelle, personne ne peut prétendre avoir guéri son troupeau d’une telle maladie. La gestion de cette problématique passe avant tout par la prévention, le parage, les pédiluves, le nettoyage en salle de traite… » Les facteurs de risque ? L’hygiène, la surpopulation, l’alimentation… tant d’aspects qui jouent sur l’immunité des vaches.

« Ensuite, on retrouve des dermatites interdigitées. Le panaris et le fourchet en sont deux formes différentes. Le premier consiste en une boiterie aiguë avec le pied gonflé. Le second est dû à l’érosion du talon, des bactéries viennent alors ronger la partie du pied ouvert. Seul le panaris nécessite un traitement antibiotique. »

Pour ce qui est des pathologies non infectieuses, elles sont d’origine métabolique. En effet, au moment des vêlages, la production laitière augmente et les femelles maigrissent. Le coussinet graisseux au niveau du pied disparaît alors. Associé à un défaut de parage, le phénomène d’amortissement se perd et favorise l’apparition de boiteries mécaniques. L’ouverture de la ligne blanche conduit aux abcès de sole, à l’ulcère, à la cerise… des boiteries liées à la fourbure. Les facteurs de risques sont souvent liés à la surpopulation dans l’étable, au manque de place à table, pour le couchage… Il y a alors compétition entre les animaux et ceux-ci doivent forcer sur leurs onglons. En termes de parage, le pareur est alors souvent face à des hémorragies sur toutes les soles.

Des bêtes boiteuses qu’il est appelé à soigner, Arnaud estime qu’entre 50 et 60 % des boiteries qu’il cure en laitier sont dues à Mortellaro, 20 % sont des problèmes de dermatites interdigitées, et les autres 20 % sont des problèmes de cerise, de ligne blanche…

mortellaro

Entre préventif et curatif

Il existe deux types de parage : fonctionnel et curatif. Arnaud Sartelet : « Le parage fonctionnel consiste à remettre les pieds d’aplombs car les ongles grandissent et s’usent relativement mal. Un phénomène physiologique qui pousse la pince à grandir plus vite que le talon. Le pied a alors tendance à basculer… La bête ne boite pas, elle a juste un défaut de parage… » Or, les défauts d’aplomb, de parage restent des facteurs de risques. Des bêtes qui auront donc régulièrement le talon irrité vont avoir plus facilement des lésions dans le pied, puisque l’entrée des germes est facilitée.

Il poursuit : « Une fois que les lésions apparaissent, vient le parage curatif. Si c’est du fourchet, on dégage le fourchet ; si c’est une cerise, on dégage la cerise ; si c’est une double sole, un abcès, on décolle tout, on met une talonnette… »

Pour éviter d’en venir au curatif, deux parages par an sont préconisés : à la sortie et à la rentrée du pré ou au tarissement. Elles peuvent ainsi commencer la période de vêlage avec de bons pieds.

motricité

Notons qu’il existe des scores de boiteries (voir tableau ci-contre) qui vont déterminer s’il y a lieu de parer ou non. Lorsqu’un animal obtient un score de boiterie de 4 ou 5, il est essentiel de parer le plus rapidement possible. Les interventions curatives engendrent un réel manque à gagner. Plus le problème est traité tôt, plus vite l’animal s’en remettra. Plus on laisse traîner, plus la récupération sera longue. Le second tableau montre qu’à ces stades, l’intervalle vêlage est augmenté, que la production laitière a fortement chuté et que le taux de réforme augmente considérablement.

conséquences

Outre le parage, il existe des systèmes de soins aux pieds ajoutés au niveau de la salle de traite, notamment.

Pour le vétérinaire, il n’y a pas de solution miracle, tous les systèmes fonctionnent, il faut juste pouvoir les utiliser correctement.

« En ce qui concerne les pédiluves, on recommande généralement trois à quatre passages tous les 15 jours (nettoyage+ désinfection). Ceux-ci doivent respecter des normes de hauteur, de longueur et de largeur. En fonction de la propreté des pieds, plus ou moins de passages seront préconisés.

***

Les schémas et tableaux sont issus du document « Les boiteries, reflets de la viabilité du système de production » édité dans le projet DairyMan. Celui-ci est disponible sur www.cra.wallonie.be/fr/les-boiteries-reflet-de-la-viabilite-des-systemes....

P-Y L.

A lire aussi en Santé animale

Voir plus d'articles