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Culture d’épeautre: quelques conseils pour sa conduite en région froide

L’épeautre reste toujours la céréale dominante en Ardenne avec près de 4.000 ha en 2016 (Statbel, 2018). Ses caractéristiques la rendent très intéressante en région froide : notamment, une bonne résistante à l’hiver, un très bon comportement face à une couverture neigeuse, une faible sensibilité aux pathogènes responsables de pourritures (Microdochium nivale…) et une grande faculté de récupération, une bonne résistance à la germination sur pied et, enfin, une bonne production de paille.

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L ’hiver 2017-2018 a été caractérisé par une douceur et une humidité importante, excepté pour le mois de février qui a été plus sec et plus froid avec un épisode neigeux important. Une période de gel intense a été enregistrée fin février. À ce moment, certaines parcelles bénéficiaient encore d’une couverture neigeuse.

Le dégel s’est amorcé début mars. À l’heure actuelle, malgré quelques décolorations, qui ne devraient pas avoir de graves conséquences, la plupart des parcelles se trouvent dans un état correct excepté quelques parcelles où le drainage n’est pas satisfaisant.

Objectifs de rendement

Sur base des essais et des suivis réalisés en culture d’épeautre les années antérieures, des rendements en grains de l’ordre de 7,3 t/ha, ont été mesurés mais les variations peuvent être importantes selon les parcelles. Ainsi, le suivi réalisé par le Centre de Michamps dans le cadre du GAL HSFA (2017) a montré des variations comprises entre 6,6 et 8,4 t de grains, alors que dans les essais menés par le CRA-W (2017), ces variations étaient comprises entre 6,8 et 7,8 t de grains selon les quantités d’azote apportées et le mode de fractionnement (Rendements phytotechniques observés dans l’essai « fumure azotée épeautre » 2017 de Michamps).

Fertilisation

Afin de toujours mieux orienter la fertilisation azotée au niveau de la dose et du fractionnement azoté en épeautre, PIC-Gembloux Agro-Bio Tech (ULg – Unité de Phytotechnie tempérée), l’UCL (ELIA-membre scientifique de Nitrawal), le Centre de Michamps asbl et le Cra-w (Unité Amélioration des espèces et biodiversité) mènent en parallèle depuis 2011 des expérimentations en région limoneuse (Gembloux) et en Ardenne (Michamps).

En région ardennaise, les résultats de ces études pluriannuelles indiquent qu’un apport de l’ordre de 100 kg N/ha permet d’atteindre le plus souvent l’optimum économique. Les fractionnements recommandés sont 60-45-0 (105 kg N/ha) ou 75-30-0 (105 kg N/ha) (tallage – redressement – dernière feuille). L’apport d’engrais azotés à la dernière feuille ne se justifie pas économiquement sauf en présence de contrat spécifique requérant une teneur en protéine supérieure. Bien que l’augmentation des doses d’azote à 140 ou 150 kg N/ha permette une augmentation des rendements phytotechniques, cette augmentation ne se justifie économiquement pas et pourrait nuire à l’environnement en cas de mauvaise absorption de l’azote.

La fumure PK se raisonne davantage au niveau de la rotation en compensant les exportations. Un apport d’engrais de ferme est toujours bénéfique pour la parcelle dans une vision à long terme, et permet des économies importantes. Par ailleurs, il ne faut pas négliger une pratique habituelle en Ardenne : l’utilisation du rouleau à la sortie de l’hiver (sur sol ressuyé). Celui-ci permet d’assurer un bon contact entre les racines et le sol, et une meilleure absorption des éléments nutritifs, notamment du phosphore. Un faible apport de cet élément sous forme soluble par des engrais peut aussi s’avérer utile même dans des sols bien pourvus.

Désherbage

Dans de nombreuses situations, l’épeautre, de par sa végétation exubérante, va exercer, vis-à-vis des adventices, une concurrence relativement importante et le désherbage n’y sera pas toujours nécessaire dans les terres sans développement de graminées ou de rumex.

En agriculture raisonnée ou biologique, le passage de la herse étrille permet un désherbage efficace pourvu que celui-ci vise des adventices très jeunes. Il sera cependant inefficace contre des rumex installés et qui redémarrent à partir de leur racine.

Si le désherbage est nécessaire, les programmes classiques de désherbage du froment peuvent être transposés. Attention, toutefois, que certains produits autorisés pour cette céréale ne le sont pas nécessairement en épeautre. Il est donc impérieux de vérifier l’agréation des produits avant de les utiliser (www.phytoweb.be). L’utilisation de sulfonylurées, combinées ou non à des phytohormones, donne généralement d’excellents résultats, y compris sur les rumex. Par exemple, 4 g/ha de metsulfuron-méthyl (20 g/ha d’Allié ou générique) + 750 à 1000 g/ha de MCPA (1 à 1,3 l d’U46 M 750 ou autre). Ce schéma de désherbage est également relativement économique : soit moins de 30 €/ha hors coût de pulvérisation.

Dans le cas où un désherbage contre les graminées annuelles serait nécessaire, l’utilisation de produits à base de mésosulfuron est incontournable entre la sortie de l’hiver et la fin du tallage de l’épeautre.

Parcelle de Sérénité à gauche et  de Cosmos  à droite.
Parcelle de Sérénité à gauche et de Cosmos à droite. - S. Crémer

Régulateurs de croissance

L’épeautre est une céréale sensible à la verse. Bien que des progrès aient été réalisés sur les nouvelles variétés, il est important que tous les moyens phytotechniques soient mis en œuvre pour limiter cet accident de végétation. Il ne faut pas exagérer la densité de semis et raisonner la fertilisation azotée.

Pour permettre aux variétés actuelles d’atteindre leur haut potentiel de rendement, il est difficile de les cultiver sans traitement anti-verse. Les produits à base de chlormequat, d’étéphon, de chlorure de mépiquat, ou plus rarement, de Trinexapac-éthyl seront mis en œuvre pour se prémunir contre la verse. Selon la substance active choisie, les stades d’application du produit sont différents (tableau 1).

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Protection contre les maladies du feuillage

Les maladies habituellement rencontrées sur le froment d’hiver sont également observées sur l’épeautre à l’exception des maladies des épis (tableau 2).

Généralement, la stratégie de la protection fongicide se base sur un seul traitement positionné à la sortie de la dernière feuille avec des produits très efficaces sur la rouille brune. Les strobilurines sont très efficaces sur cette maladie, de même que certaines triazoles (epoxiconazole, tebuconazole, cyproconazole et prothioconazole). Le mélange de ces deux familles offre des solutions très efficaces. L’ajout de SDHI à ces mélanges est une très bonne solution contre la rouille brune. En cas de traitement unique entre le stade dernière feuille complètement sortie et l’épiaison, le choix se portera idéalement sur un mélange de strobilurine, SDHI et triazole (Livre blanc) (ex : Ceriax).

Cependant, la protection fongicide doit se réfléchir en fonction de l’année et des lieux. Dans les situations où l’on redoute le développement avant le stade dernière feuille de la septoriose, de l’oïdium surtout ou/et de la rouille jaune, il y a lieu d’intervenir avec un fongicide efficace contre ces pathogènes vers le stade 2 nœuds, idéalement 3 semaines avant l’épiaison pour passer alors le relais de la protection au traitement contre la rouille brune. Une variété résistante comme Sérénité peut se conduire avec un seul fongicide à la dernière feuille.

Protection insecticide

La protection insecticide n’est généralement pas nécessaire et peu économique. En cas de forte infestation de criocères (lémas), un traitement pourra être envisagé.

Les variétés à disposition des agriculteurs présentent des profils différents.

La variété Cosmos, bien connue, est sensible depuis quelques années à la rouille jaune. En conditions non traitées et en présence de rouille jaune, ses rendements sont faibles mais augmentent grandement si la variété est protégée efficacement. Sa qualité boulangère lui permet de se positionner sur tous les marchés.

Zollernspelz se caractérise par sa tolérance à la plupart des maladies et convient donc pour une conduite de type « faibles intrants ». Ses performances sont moindres en conduite conventionnelle. Sa qualité fourragère ne lui permet pas de répondre au marché export demandeur d’une bonne qualité boulangère.

Sérénité a été inscrite au catalogue national des variétés en 2015. Sa particularité est sa très haute qualité boulangère. Elle se caractérise également par son profil de tolérance aux maladies et par sa stabilité de ses bons rendements, indépendamment de l’année ou de la région de culture. Ces atouts la positionnent judicieusement en conduite faibles intrants et en culture biologique.

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Intéressante pour l’Ardenne !

L’épeautre, de par ses caractéristiques intrinsèques et grâce aux variétés à disposition des agriculteurs, reste donc une culture intéressante pour l’Ardenne. Cette culture se prête particulièrement aux conduites en réduction des intrants et en agriculture biologique mais peut également satisfaire des productions un peu plus intensives. Bien conduite, elle permet de fournir une alimentation animale à moindre coût sur l’exploitation et/ou de profiter du marché boulanger.

Sébastien Crémer, Aude Bernes

et Emmanuelle Escarnot

Centre de Michamps asbl

CRA-W, département sciences du vivant, unité amélioration des espèces et biodiversité

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