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Infomanie et infobésité

J’adore les nouveaux mots, les « néologismes », comme les appellent les linguistes très sérieux ! Au hasard de mes lectures, j’en ai trouvé deux très « parlants », autant qu’équivoques. J’en ai fait le titre du petit article de cette semaine. Tous deux concernent le monde des médias, du journalisme, d’Internet, toutes ces structures qui collectent, échangent, propagent, amplifient les informations, et au besoin les créent ou les dénaturent. Pour le meilleur… et pour le pire ! Au panthéon des crucifiés, le BBB vit son propre Golgotha.

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Nous sommes abonnés au pire du pire. Quand on parle d’agriculture dans les médias, c’est le plus souvent pour pointer du doigt nos fautes avérées ou imaginaires. Émission de gaz à effet de serre, pollution des sols, production de mal-bouffe, souffrances animales…, j’en passe et des meilleures. Les journalistes infomanes disposent d’une table bien garnie pour se servir, lorsqu’ils ont faim d’infos, quand ils sont en mal de copie, en manque de scoop ou en very bad trip. Ils piochent des ingrédients bien goûtus et en font une info « sensationnelle », ou censée l’être, qu’ils servent en pâture aux infovores (mangeurs d’infos, comme le sont le commun des mortels). Ces derniers ingurgitent tout et n’importe quoi, et stockent toutes ces données sans vérifier leur véracité, leur pertinence. Ils mélangent tout, le vrai et le faux, le sérieux et le farfelu, l’intelligent et le débile. Tels des oies gavées, ils souffrent aujourd’hui pour la plupart d’« infobésité », et se trouvent empêtrés dans un magma de connaissances sans queues ni têtes qu’ils ne parviennent pas à traiter avec le recul nécessaire.

Forceurs d’opinions, gaveurs d’infos, les journalistes infomanes utilisent une tactique bien rodée. Leurs messages sont simplistes, et visent le plus souvent une cible bien choisie, un bouc émissaire qui s’en prend plein la cafetière à tous les coups, parce qu’il représente de manière caricaturale tout ce qu’il faut détester. En l’occurrence, en 2019, le bovin Blanc-Bleu-Belge détient ce triste privilège ! Il semble focaliser tous les regards haineux dardés sur notre agriculture. Il porte toutes les tares possibles et imaginables, quand nos amis les infomanes se déchaînent à son sujet : bien-être animal, méfaits de la viande, empreinte écologique, etc.

Ainsi, durant la semaine écoulée, je ne sais quelle mouche a piqué les journalistes des radios et télés belges. Ils ont ressorti un scandale aussi vieux que les accords du GATT lors de l’Uruguay-Round entre 1986 et 1994 : depuis lors, notre Europe agricole importe des quantités démentielles de soya sud-américain, dont la culture débridée désertifie des zones immenses en Amazonie et dans le Cerrado brésilien. Le soya est utilisé en très très grande partie pour nourrir les cochons, les volailles, les vaches laitières. On le retrouve également un peu dans les aliments concentrés industriels de finition, servis aux bovins à l’engraissement. Et PAF ! Devinez quels animaux ont-ils été filmés pour illustrer le reportage ? Des Blancs-Bleus à l’engrais ! Leurs masses musculaires plaident en leur défaveur : ils sont devenus l’archétype des animaux chargés de viande malsaine, nourris à l’aide de ce soya transgénique pourri de glyphosate et destructeur de forêts. Le BBB porte tous les maux de la Terre, dans ce genre de reportage, et les infovores infobèses gobent tout cela comme la vérité suprême. Pourquoi tant de haine envers notre race régionale ? Même des fermiers parmi nous, éleveurs de bovins d’origine française ou anglaise, n’hésitent pas, devant les caméras, à jeter le discrédit sur leurs frères agriculteurs éleveurs de BBB. « Nous, on soigne de bons aliments. Nous, la viande est naturelle. Nous, nos animaux sont heureux. Et blablabla… ». Comme si les éleveurs de BBB travaillaient différemment d’eux : dénigrer l’autre pour sauver sa peau, ce n’est pas joli, joli… On n’est jamais si bien trahi que par les siens, ou alors, les journalistes ont sans doute fait dire à nos amis éleveurs d’autres races, des phrases qu’ils se sont empressés de sortir de leur contexte, pour ficeler un reportage bien ciblé. Ces infomanes sont prêts à toutes les bassesses pour vendre leur scoop populiste, leur scoop à la grimace.

Pourquoi tant de détestation envers le BBB ? Prenez le sucre, par exemple, ou l’alcool, dont la consommation abusive cause des ravages autrement plus désastreux que la viande. A-t-on jamais pointé du doigt les planteurs de betteraves sucrières ? Le produit fini issu de leurs champs, employé massivement par l’industrie alimentaire, empoisonne les corps et provoque des pathologies graves : surpoids morbide, diabètes, maladies cardio-vasculaires, cancers… Même chose pour l’alcool, véritable drogue dure excessivement néfaste à de nombreux points de vue. Les brasseurs belges sont-ils vilipendés ? Les vignerons français ? Les cultivateurs d’orge brassicole ou de houblon ? Ce serait complètement idiot, tout à fait injuste et injustifié d’incriminer tous ces producteurs de base. Alors, pourquoi accuse-t-on le BBB et ses éleveurs, encore et encore, de tous les maux de la Terre ? Et les gens gobent ces bêtises comme des encycliques papales…

L’infobésité et l’infomanie sont des avatars parmi les plus destructeurs de notre société d’hyper-communication, avide d’informations, droguée au sensationnalisme. L’agriculture est frappée de plein fouet, dans son ensemble, et le BBB trinque davantage que tout autre.

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