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Dimanche ou lundi, c’est pareil

C’était le week-end de l’Ascension, celui de la Pentecôte va suivre. Les gens en profitent pour faire des ponts. D’autres des viaducs. Bref, la moitié de la société occidentale est en congé, si pas plus. Les gens sont épuisés. Littéralement, au bout du rouleau. Ils recherchent le calme, ils veulent « déconnecter » et en même temps se reconnecter à la nature. Puis ça jure parce qu’il n’y a pas de réseau (P’tin, réseau de m*EDGE !).

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L’autre moitié travaille sous l’adrénaline, l’affluence de ces touristes étant leur moteur ou parce que tout simplement ils ont des astreintes et surtout, il fait beau. Vous avez donc d’un côté les salariés et de l’autre, les indépendants. Qui a raison, qui a tort ?

Je vous avoue que si j’ai l’air de me poser innocemment cette question, j’ai en fait trouvé ma réponse il y a déjà un bon bout de temps. Et pourtant, je ne cesse d’entendre les gens souffler, me regarder avec des yeux de poisson et me plaindre. Moi aussi je les regarde avec des yeux ronds, empli de tristesse et d’empathie. Je me dis qu’il est peut-être nécessaire d’en écrire quelques lignes pour un peu stopper ce moulin à vent alimenté par des soupirs.

*soupir*

Plongeons ensemble dans le monde du salariat. On a des congés payés et un salaire qui arrive à chaque fin de mois. À ce sujet justement, qu’on soit dans le privé ou dans le public, les travailleurs sont de plus en plus souvent rémunérés selon une moyenne barémique. En d’autres termes, que vous soyez incompétent ou ultra-performant, vous valez ce à quoi correspond le titre de votre poste et non la qualité de votre travail. Si vous effectuez un travail remarquable, les compliments c’est bien mais soyons honnêtes, par ici l’argent ! Parce qu’après avoir payé le loyer ou le crédit, c’est un autre tiers de la rémunération qui part en un rien de temps dans les courses alimentaires de qualité si vous avez conscience du lien entre santé, bien-être et nutrition.

Le reste ? Ah parce qu’il vous reste des sous à mettre de côté ? Et c’est qui qui va payer les capsules pour le lave-vaisselle (chères à crever), le revenu cadastral, les assurances, la cotisation de la mutuelle… Pas moyen de mettre un radis de côté plus de trois mois de suite.

*soupir*

Finalement, on se sent un peu con derrière son ordinateur à envoyer des mails à longueur de journée, y compris au collègue qui est assis trois bureaux plus loin. On nous parle d’écologie mais on pollue à coups de clics et de mails inutiles les data center. Après le travail, on se lève pour se rasseoir dans le métro, le train ou la voiture. Après le trajet, on se lève pour se rasseoir dans le divan ou le lit.

En toute logique, on s’inscrit à des cours de cross fit, de HIIT… bref, les sports où la respiration fait « iiiiii » pour dépenser un maximum de kilocalories en cinquante-cinq minutes top chrono. Le cœur prêt à exploser, épaissi par un afflux sanguin extrême. On mange « healthy », graines de chias et quinoa. Et enfin, on s’envoie des Apérols et autres alcools en fin de journée, le tout sur Instagram bien évidemment. Non mais.

Pas étonnant qu’à un moment donné ça court-circuite dans le corps et dans la tête.

Arrive (enfin !) un matin. Le matin. Le réveil sonne et on se demande pourquoi se lever. Quelle misère, travailler autant d’heures, se mettre autant de pression sociale pour être continuellement pauvre et fatigué(e). On se dit que finalement, il y a des similitudes avec ce métier qu’on nomme poétiquement comme étant le plus vieux métier du monde. On monnaie son temps. Mais alors, « suis-je suffisamment payé(e) pour le travail que j’effectue ? ». Arrive une nouvelle question encore plus dramatique. « Que vaut mon temps de vie ? »

Temps mort.

À ce stade, on est à un niveau stratosphérique de la remise en question. Vous êtes en orbite, complètement détaché de votre travail, de tout d’ailleurs. Très rapide petit calcul express pour avoir quand même un peu de concret dans les mains. Partons sur un salaire moyen de 2.300 € net par mois, oui parce que le brut, c’est de la monnaie de singe. Divisons-le par 20 jours de travail (=115 €) et ensuite par 7h39 de travail par jour. On arrive à environ 15,50 €/h (Aie). Arrive alors la troisième question (après c’est fini) : où vais-je atterrir ?

De cette détresse, sont arrivés des concepts, des théories, des maladies, des médecins et des coachs. Dépression, burn-out. Je pourrais vous parler des thérapies et autres, mais j’ai choisi de vous parler d’un concept venu du Japon qui est en train d’envahir les réseaux sociaux, telles les fleurs des cerisiers au printemps. Ça s’appelle l’Ikigaï.

On va s’arrêter un petit moment sur l’Ikigaï, n’ayons pas l’air les derniers de la classe, s’il vous plaît ! Votre attention. L’Ikigaï est donc un concept venu du Japon, plus précisément de l’île d’Okinawa où un nombre important d’habitants sont centenaires. Leur secret ? Ils ne s’arrêtent jamais de travailler. Alors, c’est qui qui avait raison ? Travailler, c’est la santé ! Ils trouvent leur bonheur dans l’utilité qu’ils peuvent avoir pour les autres. Tout est question d’équilibre. On peut le traduire comme étant le « moteur ». Qu’est-ce qui est assez puissant pour vous donner l’envie de vous lever et de travailler ? Il vous pousse à vous poser quatre questions et d’entamer un travail d’introspection que certaines personnes n’ont d’ailleurs pas besoin de faire, tant leur Ikigaï est évident. On parle alors à l’occidentale d’une vocation.

Alors puisque tout est une question d’équilibre, je vais nuancer en disant que je suis certaine qu’il y a des employeurs qui sont formidables et qui rémunèrent correctement leurs employés. Voilà, c’est dit. Mais la société est malade, le taux d’absentéisme explose les plafonds, ce qui traduit une réelle détresse dans le monde du salariat. Est-ce que l’herbe est plus verte chez les indépendants ?

Citons par pur hasard le métier d’agriculteur, c’est un peu le sujet du journal et il faut bien que je retombe sur mes pattes en fin de chronique. Le métier évolue, le rapport au temps aussi même si cette évolution est beaucoup plus lente. Les congés ? Il n’y en a pas vraiment. Il me semble que ça ne fait que depuis vingt – trente ans que prendre des vacances fait un peu partie du métier. Soit on se repose sur l’aîné des enfants soutenu par les grands-parents, soit on fait carrément appel au service de remplacement agricole, mais gare au qu’en-dira-t-on ! « Partir en vacances alors que les silos ne sont pas terminés, ben voyons ! C’est du beau à la ferme PasJoliJoli. »

Côté rémunération, il faudrait commencer par le nombre d’heures de travail. Les pieds dans les bottes, j’en ai déjà faites 84 heures par semaine. Sans compter les soirs, prête à dormir mais encore éclairée par la lumière bleue de mon téléphone, occupée à répondre aux mails reçus la journée. Côté évaluation, mon application santé s’en charge. Mon « anneau » fait des cercles complets, parfois même des loopings. « Bravo ! Vous avez atteint votre objectif santé, 9.838 pas, 20 étages, et 1.683 calories dépensées. » Les rares jours où je suis en « repos » c’est-à-dire où je travaille différemment, il s’inquiète « Allez Valérie, courage ! » . Combien je gagne par mois ? Mais c’est impossible à dire. En agriculture, une ferme est comme un enfant dont il faut s’occuper, c’est-à-dire veiller à ce que les animaux ne manquent de rien et donc payer les factures avant tout. Et puis, comme tout parent, on pense à soi seulement s’il reste quelque chose. On regarde le compte en banque, tout en gardant un œil des prochaines échéances. Combien est-ce qu’on se donne ?

Je dirais qu’au vu des responsabilités et de la charge de travail, je vaux un euro symbolique de l’heure. Non pas que mon travail est inestimable et d’une qualité exemplaire, mais surtout parce que j’ai récupéré mon temps. Je suis à nouveau propriétaire de ma vie.

Alors dimanche ou lundi, c’est pareil.

Mon temps a la même valeur quel que soit le jour, celle de l’inestimable liberté retrouvée.

Valérie Neysen

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