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Chair de vérité

« Viande bovine : les prix s’emballent , la pénurie est même évoquée  », titrait L’Avenir dans son édition du 14 mai. Les prix des bovins ne cessent de grimper depuis des mois, pour le plus grand bonheur des éleveurs d’animaux viandeux.

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Après des années de vaches maigres, les trésoreries de ces exploitations connaissent enfin une période favorable, à défaut d’être fastueuse. Mais selon les marchands de bétail, nous sommes dans l’oeil du cyclone, cette zone de calme où tout semble aller au mieux, au centre du tourbillon qui ne manquera pas de nous happer goulûment, tôt ou tard. Tourbillon, ou retour de bâton…

En attendant, profitons de l’instant présent et de sa conjoncture favorable, due au déséquilibre entre l’offre et la demande. Cela devait arriver un jour ou l’autre, forcément. Au cours des vingt dernières années, le nombre de bovins a diminué d’un tiers en Wallonie, le nombre d’éleveurs de moitié ! La FCO a causé pas mal de dégâts l’an dernier, et tout ça mis ensemble explique la faiblesse actuelle de l’offre en bétail viandeux. « C’est le moment de vendre », psalmodient les marchands, désireux de provoquer une augmentation du volume de vente départ ferme, ce qui rendrait leur commerce plus facile et les replacerait en position de force vis-à-vis des agriculteurs. « Ça va baisser en été, avec la sécheresse qui s’annonce ! », prêchent-ils dans leurs sermons catastrophistes martelés auprès des fermiers. « Les prix élevés vont se répercuter sur la viande au détail, et les consommateurs vont se détourner un peu plus de la viande rouge ! Les prix à la ferme vont s’effondrer : vendez ! » . Ainsi parlent les Zarathoustra en cache-poussière noir, leur canne jaune à la main !

Peut-être ont-ils raison, en partie du moins ? Les prix à l’étal des boucheries ont entamé inexorablement leur ascension, et la viande de bœuf devient de plus en plus onéreuse. Chère chair ! « Un luxe qu’on ne peut plus se payer ! » , déplorent les amateurs de barbecue, lesquels ont rayé de leur menu estival les entrecôtes, la bavette d’aloyau et le faux-filet, pour se rabattre sur le lard mariné, les pilons, ailes et poitrines de poulet, les merguez et les saucisses. Acheter du steak ou du chateaubriand est devenu un investissement, guère accessible aux petits revenus. C’est ce qu’on entend dire, d’où le succès grandissant des viandes de porc et de volaille.

Justement, dans notre région herbagère, de plus en plus d’éleveurs de bovins viandeux se diversifient en construisant un poulailler à côté de leurs étables. Ils commencent par un module de 15.000 poulets de chair, dans un premier temps, puis un second module, un troisième si cela marche bien. Certains se tournent vers les poules pondeuses. Les uns et les autres se voient contraints d’apprendre un métier différent, de se former, d’appréhender une tout autre philosophie d’élevage. Sinon, l’expérience risque de tourner court, avec pertes et fracas…

Un poulet n’est pas une vache, encore moins un mouton ou un cochon ! Selon de nombreux témoignages, quand on met le doigt dans la spéculation avicole, on risque de se faire happer la main, le bras, et le reste, par les rouages d’une filière intégrée qui contrôle tout de A à Z. La firme vend les animaux, les aliments, les médicaments, les accessoires, et elle achète les œufs et les poulets finis au prix qu’elle décide. « Paysan est maître chez lui », dit le dicton, battu ici en brèche par la mainmise de l’usine-mère agroalimentaire.

Produire de la viande n’est pas un long fleuve tranquille, plutôt un cours d’eau capricieux : tantôt torrent écumant, tantôt canal poisseux encombré de carcasses. Les viandes dites « rouges » seraient délétères pour la santé, cancérigènes, désastreuses pour l’environnement, trop chères à l’achat ; les viandes « blanches » ne vaudraient guère mieux, vu le mode industriel de leur production, pas le moins du monde « durable ».

Le critère « durabilité » est souvent invoqué pour critiquer avec virulence le monde de l’élevage animal. Durabilité sociale déplorable, si l’on considère les misères chroniques endurées par les agriculteurs. Durabilité environnementale désastreuse : bien-être animal négligé, émissions de gaz à effet de serre, défrichement sauvage de forêts vierges en Amérique du Sud pour produire du soja et des céréales, afin de nourrir les porcs et les volailles de chez nous. Quant à la durabilité économique, compense-t-elle la faiblesse des deux autres ?

La question mérite d’être posée. On sait que la filière agroalimentaire belge de la viande est une machine de guerre commerciale : elle rapporte au final beaucoup d’argent à certains opérateurs, engendre des taxes et impôts pour l’État, fait pencher du bon côté la balance import-export. Elle propose aux consommateurs de chez nous des aliments pas trop dispendieux, des viandes industrielles bon marché. Et l’argent économisé en nourriture est dépensé en autres biens de consommation, en voyages et distractions…

Donc oui, la filière viande est économiquement rentable, beaucoup moins écologiquement et socialement… Dans nos pays riches, le végétarisme gagne chaque jour des adeptes, c’est un fait avéré, mais au niveau du monde entier, la consommation de viande gagne du terrain. Mais quelle viande ? La viande inoffensive et vertueuse des ruminants d’une agriculture agropastorale semblable à la nôtre ? Celle, industrielle, des usines à porcs et à volailles, des parcs d’engraissement intensif de bovins au Mercosur et aux États-Unis ?

La viande ne grimpe pas dans les assiettes comme on monte en chair(e) de vérité pour y raconter son histoire. Si les consommateurs apprenaient d’où elle vient réellement et quel fut son chemin, ils regarderaient moins au prix des bons morceaux des animaux de nos prairies…

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