Accueil Filière bois

Réguler cerfs et sangliers? À la fois essentiel et complexe

Les forêts wallonnes comptent de nombreuses espèces de gibier. Parmi celles-ci, le cerf et le sanglier ont vu leur population fortement s’accroître ces trente dernières années. Ce qui n’est pas sans impact sur les milieux forestier et agricole… Néanmoins, ces deux espèces ne font pas l’objet des mêmes mesures de chasse, nous explique Alain Licoppe, du Demna.

Temps de lecture : 7 min

En Région wallonne, le suivi des populations de gibier a été confié au Département de l’étude du milieu naturel et agricole (Demna, intégré au sein de la Direction générale de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de l’Environnement). Dans ce domaine, s’ajoutant aux autres dont il est en charge, le Département se concentre principalement sur les espèces gérées et/ou potentiellement conflictuelles. Ses différentes missions consistent à mettre au point des techniques d’inventaires et des indicateurs de suivi des populations, à surveiller la distribution et l’utilisation de l’habitat, à réaliser les suivis sanitaires et génétiques et, enfin, à gérer les réseaux « enclos-exclos » et « loup ».

En plaines agricoles, les dégâts causés par les sangliers peuvent parfois être impressionnants.
En plaines agricoles, les dégâts causés par les sangliers peuvent parfois être impressionnants. - J.V.

Parmi toutes les espèces suivies, deux intéressent plus particulièrement le Demna : le cerf et le sanglier. D’une part, car elles connaissent une importante expansion démographique depuis 30 ans. D’autre part, en raison de leurs impacts sur la nature et sur les productions économiques qui en découlent.

Le cerf, seule espèce sous plan de tir

« Le cerf, plus grand mammifère de Belgique, est la seule espèce « gibier » à faire l’objet d’un plan de tir légal, régit par des arrêtés du Gouvernement wallon et des circulaires », explique Alain Licoppe. Instauré en 1989, il avait initialement pour objectif de protéger l’espèce et de corriger le « sex-ratio » (proportion entre mâles et femelles). À l’heure actuelle, il permet d’en réguler l’expansion.

Ledit plan de tir est élaboré par trois acteurs. Premièrement, le Département Nature et Forêt (DNF) assure les opérations de contrôle, gestion et police. Le Demna, pour sa part, endosse un rôle de support en matière de données et méthodologies (acquisition, validation et valorisation des données de recensement de l’espèce…). Enfin, les Conseils cynégétiques proposent les plans de tir pour l’ensemble des territoires dont ils assurent la coordination de la gestion cynégétique. Ils veillent également à la bonne réalisation des plans proposés, après leur validation par l’administration. Cela implique que tout territoire souhaitant autoriser la chasse au cerf doit adhérer à un conseil cynégétique.

« Le plan de tir est fonction de la taille des populations. Celle-ci est estimée sur base de trois paramètres. » Les statistiques de tir des années précédentes constituent le premier d’entre eux. « Chaque cerf tiré (ou retrouvé mort) fait l’objet d’un constat de tir (ou de mortalité) réalisé par un agent du DNF. Il s’agit d’une mine d’informations précieuse qui nous permet d’affiner nos estimations. »

Second paramètre pris en compte : l’indice nocturne d’abondance. « Compter tous les animaux est impossible. Nous nous basons donc sur un indicateur afin de préciser nos estimations. » En pratique, toute l’aire de répartition du cerf en Région wallonne est couverte par un réseau de parcours. Ceux-ci sont sillonnés au minimum trois fois entre mars et avril, de nuit, par des chasseurs et agents du DNF. Seuls les animaux se trouvant sur ces tracés sont recensés. « Répéter l’exercice dans le temps nous permet d’établir des moyennes et de déterminer si les populations sont stables ou non. »

Enfin, la densité des populations de cerfs est modélisée à partir des données récoltées sur le terrain.

Des difficultés pour les non-boisés

Depuis 1990, le nombre de cerfs chassés est en hausse. Par ailleurs, l’administration a constaté, début des années 2000, que la taille des populations était jusque-là mal estimée. Les travaux de « recomptage » ont conduit à l’instauration de plans de tir « minimum » afin de prélever davantage d’animaux et d’équilibrer la dynamique des populations.

« On constate une réduction du nombre de cerfs tirés depuis 2010. Les chasseurs peinent de plus en plus à atteindre les objectifs pour les non-boisés et ce, malgré l’instauration de plans de tir minimum. Néanmoins, la population reste contrôlable par la chasse, d’autant plus que sa dynamique est prévisible. »

Le sanglier, une espèce complexe

Le sanglier ne fait, quant à lui, pas l’objet d’un plan de tir. Sa chasse est régulée par divers arrêtés du Gouvernement wallon (concernant, notamment, les périodes de chasse, le nourrissage, la destruction, l’indemnisation des dégâts causés aux cultures…) mais la gestion de l’espèce dépend des chasseurs eux-mêmes.

« Il n’existe aucune méthode de comptage généralisable adaptée au sanglier. Nous ne disposons que des tableaux de chasse pour évaluer la taille des populations », poursuit Alain Licoppe. Ces données ne sont toutefois pas aussi précises que pour le cerf. Plusieurs informations permettant d’affiner les estimations, comme le sexe de l’animal abattu, sont manquantes. Pour apprécier plus fidèlement la réalité, il conviendrait d’améliorer la documentation des tirs, mais aussi de transmettre plus rapidement les données récoltées au Demna.

Autre difficulté : la dynamique de population du sanglier est complexe. Les modèles établis reposent sur de nombreux paramètres. Ceux-ci intègrent en premier lieu le poids des femelles, qui doivent atteindre un minimum de 35 kg pour entrer en chaleur. « L’abondance de nourriture étant variable d’une région à l’autre, toutes les laies ne sont pas fécondes au même âge. » Les autres paramètres pris en compte sont les taux de reproduction, de survie et de prélèvement par la chasse.

« En mesurant les paramètres qui influencent l’évolution des populations de sangliers,  il est possible de conseiller les chasseurs sur le terrain », détaille Alain Licoppe.
« En mesurant les paramètres qui influencent l’évolution des populations de sangliers, il est possible de conseiller les chasseurs sur le terrain », détaille Alain Licoppe. - J.V.

Sur base des modèles, le Demna a analysé quels paramètres sont les plus favorables à un accroissement de la population. « Le taux de survie des femelles est un paramètre essentiel », analyse M. Licoppe. « Cela montre que les chasseurs, en tant que gestionnaires, doivent se focaliser sur les « grosses » femelles en priorité pour influencer à la baisse la taille des populations. Cela passe par la chasse, mais aussi par une réduction du nourrissage et une diminution de la capacité d’accueil du milieu. »

Mais les chasseurs doivent également compter sur deux paramètres « externes », sur lesquels ils n’ont que peu, voire aucune, emprise : la disponibilité des ressources alimentaires et le climat.

Le premier dépend lui-même des cultures agricoles, des fructifications forestières, du nourrissage et de la productivité du milieu. « Depuis 7 ans, nous observons des fructifications chaque année. ce qui facilite grandement la prise de poids et l’entrée en chaleur des laies », constate-t-il.

Malgré des prélèvements en hausse, il devient plus compliqué de contrôler la population de sangliers, surtout hors Ardenne.

Le climat a quant à lui une influence sur la survie. Ainsi, un été chaud et humide, un automne chaud et un hiver et un printemps secs sont favorables aux sangliers. Au contraire, un hiver rude et/ou un printemps frais et humide accroissent la mortalité des populations. Cependant, ces conditions ne sont plus rencontrées depuis plusieurs années déjà. « En mesurant les paramètres qui influencent indirectement l’évolution de la population, il est possible de conseiller les chasseurs sur le terrain », ajoute M. Licoppe.

Population en hausse,

la chasse suit-elle ?

Le Demna observe depuis 1986 une hausse impressionnante du nombre de sangliers tirés. « Les chiffres ont été multipliés par 7, mais il ne faut pas oublier que la population de sangliers a été multipliée par 5 ou 6 sur le même laps de temps. » En outre, l’augmentation du nombre d’animaux chassés n’est pas constante. Elle se fait par palier en raison de l’influence des facteurs externes. « Les années sans fructification forestière, par exemple, le nombre de sangliers abattus est moindre vu que le nombre d’animaux a lui-même déjà reculé naturellement ». Sans surprise, un pic de prélèvement nettement plus important a été observé en 2018, en raison de la peste porcine africaine et des mesures d’éradication qui ont suivi.

Pour Alain Licoppe, les populations  de sangliers pourraient être mieux  estimées si les documents de tir étaient  plus riches en informations.
Pour Alain Licoppe, les populations de sangliers pourraient être mieux estimées si les documents de tir étaient plus riches en informations. - J.V.

Malgré des prélèvements en hausse, il devient plus compliqué de contrôler la population, surtout hors Ardenne. On observe en effet que certaines individus voyagent et se dispersent à travers toute la Wallonie, malgré le caractère casanier de l’espèce. « Dans les régions à climat plus clément, à territoires naturellement riches et à cultures abondantes, la survie des individus et la prise de poids des femelles sont nettement plus favorisées qu’en Ardenne. Les populations grandissent avec une dynamique moins prévisible que chez le cerf… L’effectif semble être plus difficilement contrôlable dans pareilles conditions. »

J.V.

A lire aussi en Filière bois

Barwal: «C’est le mariage du travail du tonnelier et du vigneron qui donne son caractère au vin»

Un savoir-faire à perpétuer La Belgique compte de plus en plus de vignerons faisant vieillir leurs vins en fûts de chêne… belge. En effet, depuis 2020, Barwal leur propose une alternative aux contenants traditionnellement français, produite en circuit court et « à la carte ». Cette particularité permet d’ailleurs à la jeune société d’accompagner et de conseiller les professionnels de la vigne dans leurs choix pour que chaque vin élaboré soit unique.
Voir plus d'articles