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Pomme de terre et variétés robustes: un intérêt aussi pour les producteurs «conventionnels »!

Il existe aujourd’hui une liste de 25 variétés de pommes de terre dites robustes. Un éclairage a été apporté sur celles-ci et la convention qui les promeut, lors d’une journée technique organisée il y a peu par le Centre pilote pommes de terre.

Temps de lecture : 10 min

L ’origine des conventions dédiées aux variétés de pommes de terre dites robustes récemment signées chez nos voisins hollandais et dans notre pays remonte déjà à la toute fin du siècle dernier. « Tout commence en effet par l’interdiction de l’usage du cuivre en agriculture biologique en l’an 2000 aux Pays-Bas », rappelle Daniel Ryckmans. S’il est vrai que le mildiou sait se montrer discret, certaines années, il en est d’autres, comme 2007, 2008, 2012, 2014 et 2016, où il a frappé fort dans les pays du Benelux, mais aussi le nord de la France et l’Allemagne. Avec ponctuellement ou de façon plus étendue, la destruction prématurée des cultures et à la récolte, des tonnages insuffisants, des calibres insuffisants, une qualité – matière sèche et maturité – défaillante dans les productions bio. C’est à ces moments-là que l’absence ou le manque de résistances variétales se fait cruellement sentir.

Conséquences de cela : des contrats non remplis ou des tonnages pour le marché libre non produits, autrement dit, des pertes financières pour les producteurs, des volumes (et/ou des qualités) escomptés insuffisants pour les acheteurs emballeurs ou transformateurs). « En 2016, des producteurs m’ont indiqué avoir perdu entre 1.000 et 2.000 euros/ha », poursuit l’expert de la Fiwap.

La filière hollandaise signe une convention «pommes de terre robustes bio »…

Et c’est aussi en 2016, dernière année en date avec de gros soucis de mildiou, que l’utilisation subitement massive d’engrais foliaire à base de cuivre – usage restant alors agréé aux Pays-Bas – a fait un « tollé » chez nos voisins. Cet engrais foliaire fut en effet appliqué de manière abusive par une minorité de producteurs bio… pour en réalité combattre le mildiou. Le secteur a été alerté, la presse quotidienne et spécialisée se sont emparées du sujet et les enquêtes ont mené à des interpellations au Parlement et auprès du ministre compétent.

L’ensemble de la filière hollandaise de la pomme de terre – production, négoce, transformation – a alors saisi le problème à bras-le-corps et s’est accordé sur la nécessité de disposer et d’utiliser des variétés « robustes » ! Et c’est ainsi qu’à l’initiative de Bionest, une Convention pommes de terre robuste bio « Convenant robuuste bioaardappel » était élaborée et signée au mois d’août 2017, aux Pays-Bas.

… et notre pays fait de même en 2018

Un an plus tard, une Convention quasiment identique était signée en juillet en Région flamande à l’initiative de Bioforum. Et en novembre de cette même année 2018, à l’occasion d’Interpom, une convention similaire était actée en Région wallonne, par Biowallonie, la Fiwap et l’Unab.

Louisa, une variété robuste belge...
Louisa, une variété robuste belge...

... avec une excellente couleur de cuisson des chips, dans les tests réalisés l’an dernier à Libramont.
... avec une excellente couleur de cuisson des chips, dans les tests réalisés l’an dernier à Libramont. - Cra-w

Une variété robuste, c’est quoi?

Avant d’aller plus loin, il est bon de préciser ce qu’il faut entendre par ce qualificatif. Les variétés dites robustes sont d’abord tolérantes ou résistantes au mildiou, et/ou présentent une précocité permettant d’assurer une production et une qualité suffisantes avant l’installation du pathogène responsable de la maladie (phytophtora infestans). Pour être qualifiées de robustes, ces variétés doivent en outre pouvoir « garantir » un rendement et une qualité suffisants en conditions climatiques plus difficiles (sécheresse, chaleur…), et en conditions plus restreintes en azote et phosphore.

« Il est évident que de telles variétés peuvent aussi présenter un intérêt pour les producteurs qui ne cultivent pas en mode bio », poursuit Daniel Ryckmans. Et cela, à plusieurs égards :

– elles donnent la possibilité d’alléger la protection fongicide et de répondre ainsi à la diminution du nombre de matières actives fongicides autorisées pour la culture ;

– elles assurent une réponse aux préoccupations des citoyens, des consommateurs ;

– elles permettent une diminution des frais phytosanitaires et un gain de temps pour faire autre chose que protéger ses parcelles ;

– elles sont un moyen de contrecarrer l’agent du mildiou, Phytophthora infestans, dont on sait qu’il est un pathogène complexe, évolutif ;

– elles manifestent un comportement spécifique vis-à-vis du mildiou : les variétés n’ont pas toutes le même comportement. L’orateur illustre cela par deux exemples :

1) « l’encapsulation » du mildiou telle qu’on l’observe chez la variété robuste à chair tendre Connect. En toute fin de saison, si la pression est forte, cette variété peut certes être infectée, présenter quelques taches mais rien de plus car le mildiou est bloqué et ne se développe plus. C’est une caractéristique variétale ;

2) un autre type de comportement est celui qu’exprime la variété robuste Gaïane : plus l’attaque du mildiou ou la pression exercée par celui-ci est forte et soudaine, plus la variété engage rapidement et vigoureusement un mécanisme de défense.

« De nombreuses variétés robustes possèdent un gène de résistance (R8 provenant de Solanum demisum, variété sauvage d’Amérique) ; certaines en possèdent déjà 2. Et les futures variétés robustes en posséderont souvent 3, voire davantage ! »

Le principe de base de cette convention transfrontalière ? L’ensemble de la filière est impliqué !

À l’instar de son homologue aux Pays-bas, la Convention belge (Flandre et Wallonie) implique l’ensemble de la filière. Concrètement, elle concerne à ce jour plus d’une centaine de signataires, dont 14 obtenteurs (1 belge, 1 allemand, 3 français et 10 néerlandais), 3 producteurs de plants, 47 producteurs de pommes de terre de consommation, 3 grossistes et/ou veiling, 4 (petits) transformateurs, 6 négociants préparateurs, 5 organismes de recherche et développement, 4 syndicats, 7 organismes sectoriels (Bioforum, Biowallonie, 2 Ceta bio, le Collège des producteurs, la Fiwap et le Groupement wallon des producteurs de plants) et 8 représentants de la grande distribution.

La Convention « variétés robustes » en pratique

La « Convention signée aux Pays-Bas » court sur trois ans avec des objectifs ambitieux : 30 % de variétés robustes en 2017, 50 % en 2018, plus de 70 % (marché du frais) en 2019 et vers les 100 % en 2020.

La Convention belge court également sur trois ans, de 2019 à 2021 et a commencé a déployé ses premières activités l’an dernier : au cours de l’été 2019, une enquête a été envoyée au nom de Biowallonie et de la Fiwap auprès des producteurs bios wallons pour faire le point sur l’usage de ces pommes de terre robustes et leurs parts de marché. Le Cra-w a mis en place une plateforme démonstrative et des essais en collaboration avec la Fiwap et Biowallonie ; il a également procédé à des analyses quantitatives et qualitatives des tubercules issus de ces variétés robustes. Enfin, le centre de recherche flamand Inagro a également érigé une plateforme.

Qui s’engage à faire quoi ?

Cette convention engage tous les acteurs de la filière. Concrètement,

– les obtenteurs, sélectionneurs et maisons de plants s’engagent à fournir progressivement davantage de variétés résistantes et couvrir tous les segments du marché, à augmenter la production de plants, et fournir aux producteurs de plants les informations utiles pour éviter le contournement de résistances en culture :

– les producteurs de plants s’engagent à augmenter les volumes et la part de plants produits en bio ;

– les producteurs de pommes de terre de consommation prennent l’engagement d’augmenter les volumes et la part des pommes de terre robustes ;

– les négociants, préparateurs et emballeurs veillent à augmenter les volumes et la part des variétés robustes achetées, préparées et emballées ;

– la grande distribution est invitée à augmenter la part des variétés robustes dans les étals ;

– les instituts de recherche et développement réalisent des essais au champ et procèdent à des analyses quantitatives et qualitatives, et poursuivent un programme de création variétale (Cra-w) ;

– les organismes d’encadrement et vulgarisation assurent la coordination et le suivi de la Convention et les contacts avec les différents maillons de la chaîne en Belgique et aux Pays-Bas.

La grande distribution manifeste un intérêt pour des pommes de terre au profil plus «durable». Les variétés robustes sont de nature à pouvoir répondre à cette demande.
La grande distribution manifeste un intérêt pour des pommes de terre au profil plus «durable». Les variétés robustes sont de nature à pouvoir répondre à cette demande. - Fiwap

Pommes de terre robustes et producteurs «classiques» : des liens et des exemples pratiques…

Un premier exemple concret illustrant les liens entre des variétés robustes et la production dite classique nous conduit en Allemagne où, l’an dernier, deux essais ont été menés au champ chez des producteurs cultivant la variété Alanis en mode conventionnel :

– pour McCain : 3,8 ha, sans aucun traitement fongicide ;

– pour Agrarfrost : 3,7 ha avec une réduction de 50 % de la protection fongicide.

Résultats : certes, la pression parasitaire n’était pas forte, mais toujours est-il qu’aucune infection de mildiou n’a été constatée ! À noter que malgré la sécheresse, cette variété a produit 41 t/ha dans un essai variétal situé à Emines l’an dernier (voir plus loin).

Le deuxième exemple concerne notre pays. Un important négociant-préparateur répond à la demande de la grande distribution :

– un supermarché demande une marchandise « zéro phyto » : le producteur reçoit un bonus sur le prix dans ce cas ;

– une autre enseigne à bas coût allemande demande pour ses pommes de terre une diminution « volontaire » de la LMR à ½ ou 1/3 des limites légales.

Troisième exemple : le numéro 2 de la création variétale et de la production de plants et de variétés aux Pays-Bas Agrico (et sa filiale française Desmazières) a annoncé au cours de l’été dernier qu’à l’horizon 2030, toutes ses nouvelles variétés posséderont un ou plusieurs gènes de résistance au mildiou.

Une première liste de 25 variétés reconnues

Il existe aujourd’hui une liste composée de 25 variétés robustes (tableau 1) reconnues sur l’ensemble du territoire belge. On y retrouve 8 « chair ferme », 11 « chair tendre », 5 variétés à frites et 1 variété à chips.

ROBUSTE1 (2)

Les obtenteurs de ces variétés robustes proviennent de tous les pays environnants et même du Danemark. On trouve également dans cette liste la variété belge Louisa (chips chez Roger et Roger en culture classique et aussi chez d’autres petits transformateurs en culture bio) créée par Alice Soete dans le cadre du programme d’amélioration mis en œuvre au Centre wallon de recherches agronomiques à Libramont, et multipliée par Comexplant.

Chez les producteurs wallons bio : 1/3 de variétés robustes

Dans le cadre de la Convention, la Fiwap a réalisé, l’été dernier, une enquête pour évaluer la proportion de variétés robustes cultivées par les agriculteurs bio. Sur les 56 producteurs contactés, 34 ont répondu (taux de réponse : 64 %). Les résultats concernent une surface de 248 ha, dont 33 % plantés en variétés robustes, réparties comme suit : 75 % pour le marché du frais (30 ha en chair tendre et 60 ha en chair ferme) et 25 % pour la transformation (surtout frites, un peu chips). La variété Allians (chair ferme) arrive très largement en tête au sein de ces 248 ha, devant Connect, Sévilla, Vitabella et Carolus.

« Sur le marché du frais, il semble que, de la production jusqu’à la grande distribution, l’ensemble de la filière s’y retrouve et qu’il y a déjà une palette de variétés robustes suffisamment intéressantes pour que ce secteur progresse encore. Sur le marché de la transformation, plus particulièrement sur celui de la frite, il n’y a toujours pas de remplaçantes sérieuses pour Agria, Carlus et Sevilla ne convenant pas. Pour le développement de variétés robustes pour la transformation, il faut absolument trouver là ou les variétés capables de rivaliser avec Agria. La saison 2019 sèche et chaude a permis à Agria de se tirer d’affaire et de satisfaire tant les producteurs que les transformateurs. Mais ce ne sera pas toujours le cas », indique Daniel Ryckmans.

Une première plateforme démonstrative à Emines

Également en lien avec les engagements des partenaires de la filière autour de la convention pour les variétés robustes, en collaboration avec la Fiwap, le Centre wallon de recherches agronomiques a mis en place l’an dernier un premier champ d’essais et de démonstration chez un agriculteur bio à Emines, au nord de Namur. Une visite de ce champ a été organisée le 27 août et a réuni quelque 70 professionnels du secteur.

ROBUSTE2

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L’essai a été récolté les 24 et 25 septembre et le Cra-w a réalisé des mesures quantitatives (Feriel Ben Abdallah et son équipe) : les rendements « pratiques » variaient entre 20 et 55 t/ha, dans le contexte de sécheresse qui a marqué l’été dernier. Le tableau 2 présente les caractéristiques des tubercules des variétés robustes testées et le tableau 3 livre les résultats des analyses qualitatives (caractères d’utilisation) de celles-ci.

Vue des tubercules de la variété Kelly... avec une excellente couleur de cuisson des frites, lors des essais 2019 à Libramont.
Vue des tubercules de la variété Kelly... avec une excellente couleur de cuisson des frites, lors des essais 2019 à Libramont.

Cette expérimentation jointe à une démonstration de variétés robustes en culture bio sera répétée cette année et l’an prochain.

M. de N.

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