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Ces sols si secs mis à sac

Même les journalistes météo le concèdent: ce si beau temps si sec dure depuis trop longtemps... Quelques averses seraient les bienvenues pour dépoussiérer les rues et laver les maisons. Les agriculteurs ne parlent pas encore de sécheresse, mais il faut bien avouer que nos sols se sont transformés en aires bétonnées, détrempés par les intenses précipitations hivernales puis dessiqués brutalement par les bises printanières, quasi ininterrompues depuis trois mois. Une saison de pluies diluviennes, suivie d'une saison sèche, comme aux pays de la mousson! Semblable scénario se répète inlassablement ces dernières années: ne devient-il pas la norme, dans le contexte du réchauffement climatique?

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Ironie de l'instant, les dédommagements pour la sécheresse de 2018 seront bientôt versés par le Fonds des Calamités. À force de se répéter, ce genre de situation perd son caractère exceptionnel et ne fera plus l'objet d'une aide quelconque. Faudra-t-il souscrire une assurance, la payer de sa poche? Aide-toi et le Ciel t'aidera... L'agriculture de nos pays habituellemnt bien arrosés va devoir revoir ses copies et adopter de nouvelles techniques culturales. Les plantes de printemps dites «sarclées» -pommes de terre, betteraves, chicorées, maïs, ...- tirent une langue comme un chausse-pied et végètent misérablement sous le soleil impitoyable. Les céréales d'hiver semblent en pleine forme, tandis que leurs consoeurs printanières présentent un visage à faire peur. Les prairies restent encore vertes, mais les herbes montent en épis et oublient de feuiller; les andains des champs fauchés sont bien maigres et les silos bien plats. Les fumiers épandus en mars forment un paillis ténu en surface; ils ont perdu sans doute une bonne partie de leur azote, évaporé dans l'atmosphère.

La végétation n'est pas à la fête. Par contre, les animaux en prairie profitent au maximum d'une météo qui leur convient tout à fait. Les agneaux sont énormes! Les veaux allaitants ont le poil luisant et poussent comme des champignons, tant que leurs mères disposent d'herbes en suffisance. Il a fallu leur rouvrir -ou «réouvrir» si cela sonne mieux à vos oreilles- des parcelles destinées à être récoltées en fourrage. Les sols, cependant hélas, sont très durs et par endroits constellés de trous de campagnols. Il suffit d'une patte glissée dans une anfractuosité -un trou de renard par exemple- invisible dans la végétation, et c'est la fracture du tibia ou du sabot. Demandez leur avis aux taureaux de saillie: ils vous avoueront risquer leur vie dans l'exercice de leur fonction, eux-aussi...

Les sols souffrent, et partant, tout ce qui pousse au-dessus. Les terres cultivées ont perdu beaucoup trop d'humus, s'alarment les pédologues; celui-ci fait office d'éponge et ameublit les sols. Il faudrait impérativement les «recarboner» par des pratiques durables: enfouir les pailles, semer des engrais verts, épandre du fumier, intercaler des prairies temporaires dans la rotation, «comme dans le temps». Le tandem culture-élevage serait parfait pour retrouver un équilibre, pour enrichir la terre en humus, ressusciter ses myriades d'organismes, ses vers de terre, et dans la foulée la rendre plus résiliente face aux sécheresses à répétition. Or, que constate-t-on? Partout, l'élevage régresse, même en Ardenne! Dans notre région herbagère, le nombre de bovins a diminué de 30 % lors du dernier quart de siècle, inutile de vous rappeler le comment et le pourquoi! D'importantes surfaces de prairies permanentes ont été labourées, puis relabourées encore et encore durant des années, pour y cultiver des céréales, des pommes de terre, du colza, du maïs, ..., sans plus jamais connaître un gazon. Tout leur carbone a foutu le camp dans l'atmosphère, et la sécheresse a beau jeu de martyriser les malheureuses plantes souffreteuses, à genoux en prière, qui y attendent la pluie.

Ah! Si on pouvait aller chercher des nuages et les faire pleurer au-dessus de nous! Reste l'irrigation... Dans les régions de grande culture, en France par exemple et ailleurs, de grandes retenues d'eau sont creusées, pour stocker les pluies abondantes hivernales et les utiliser en été. Il faudra trouver des solutions: les aides du Fonds des Calamités, ce sera bernique, dans le contexte de crise économique de l'après-Covid! De nouvelles cultures vont peut-être faire leur apparition: sorgho, quinoa? Il sera utile de découper les grandes parcelles séchantes en plus petites, protégées par des haies vives ou des rangées d'arbres. Les techniques de non-labour, et de semis sous couvert vont sans doute se généraliser. Tout un panel de solutions est à la disposition des agriculteurs, pour résoudre le problème récurrent de sécheresse. Le «Green Deal» de l'Union Européenne, ce fabuleux Pacte Vert qui promet monts et merveilles, propose des pistes intéressantes, mais sa résonnance politique inspire la méfiance aux agriculteurs. Souvent, les ponts d'or promis se sont révélés n'être que des passerelles de bois vermoulues.

Nos sols altérés n'ont que faire des cogitations oiseuses et des discours sans fin. Ils attendent tout bêtement la pluie, quelques orages, et plus si affinité. Il est urgent de mieux les soigner, de les chouchouter, et non plus les «shooter» aux labours et drogues agronomiques. SOS, «Save Our Soils», sauvons nos sols si secs mis à sac.

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