Accueil Voix de la terre

Genou à terre

15 mars-15 juin 2020 : la parenthèse inattendue touche à sa fin… D’emblée, l’épidémie de Covid-19 a tout noyé sous son raz-de-marée de menace sanitaire, isolant les uns des autres des myriades d’êtres humains confinés chacun sur leur île, enfermés dans leur bulle, tandis que les métiers essentiels s’efforçaient de maintenir à flot notre monde chahuté par des courants contraires. Subitement, dans les médias et sur les réseaux sociaux, ce fut l’union sacrée, la communion aux beaux principes : compassion, gratitude, solidarité, altruisme, respect universel… On ne parlait plus de consommation, de croissance économique, de rentabilité… Temps mort, mi-temps, long arrêt de jeu dans le grand match capitaliste planétaire ! Et ensuite ?

Temps de lecture : 4 min

Les êtres humains modernes sont semblables aux fourmis : pour leur faire voir le ciel, il faut les retourner sur le dos par une poussée brutale… Fascinés par les belles choses qu’ils (re)découvrent ainsi, les hommes-fourmis s’en délectent un instant ou font semblant, puis pédalent maladroitement pour se remettre sur pied et reprendre au plus vite leur course effrénée, les yeux rivés au sol. Le déconfinement progressif referme peu à peu les guillemets d’une histoire inachevée, inattendue, inouïe, inédite dans ses faits et dans les réactions qu’elle a engendrées. Une aventure mémorable, angoissante et triste, stupide et consternante, révélatrice et bouleversante, généreuse et courageuse… Les qualificatifs pour la décrire ne manquent pas, et leur liste s’allonge de jour en jour, tandis que le « monde d’avant » émerge des dernières eaux stagnantes, et reprend ses bonnes vieilles habitudes.

Je l’ai compris en découvrant les images de tous ces manifestants anti-racistes, genou à terre comme Martin Luther King en prière en 1963, comme ce policier assassin écrasant la gorge d’un homme, comme le capitalisme brutal qui étouffe notre planète. Rien n’a changé, ni ne changera d’un coup de Covid magique. Les injustices, les exclusions, les marginalisations…, n’ont disparu en aucune façon ! Les fruits tout neufs d’avril et de mai, encore verts et fragiles, sont tout à coup placés en pleine lumière, sous le soleil brûlant du déconfinement de juin. Ils ne mûriront jamais… Notre humanité n’a pas encore l’intention de regarder le ciel ; seule sa course au ras de la terre l’intéresse.

Les philosophes ont chacun leur propre théorie pour nous aider à comprendre nos comportements décevants. L’homme n’est pas foncièrement mauvais, comme l’affirmaient Hobbes et Machiavel, penseurs du libéralisme, ni bon à l’origine, selon la doctrine de Rousseau. L’homme n’est qu’un animal à gros cerveau, à la fois bestial et angélique, disait Pascal. Les anthropologues, généticiens et sociologues, analysent quant à eux notre humanité de manière pragmatique et logique. Nos défauts et qualités sont conditionnés par notre génome, disent-ils, lequel n’a pas eu le temps d’évoluer depuis cinquante mille ans, une époque où les gens cavalaient derrière le gibier pour le tuer, vivaient en clans fermés et luttaient farouchement pour leur survie. Prédisposition à la violence, goût du risque, prédation des ressources terrestres, aversion pour toute forme de perte, méfiance et rejet des personnes étrangères au clan, mais également altruisme réciproque, esprit d’entraide à l’intérieur du groupe.

Tout est là. Ces défauts furent autant de qualités pour assurer la survie de l’espèce humaine. Mais aujourd’hui, nos comportements de Cro-Magnon nous desservent, car la nature a rendu depuis longtemps les armes, et les perpétuels conflits qui agitent la planète n’apportent que souffrances et destructions. Au fond de nous-mêmes, nous sommes tous xénophobes, égoïstes, mesquins, aventuriers et violents, mais paradoxalement capables de la plus grande générosité et du plus grand courage pour venir en aide à nos prochains. La civilisation, l’instruction, l’éducation, sont là pour gommer les défauts ancestraux et sublimer nos qualités, pour faire de nous de bons citoyens. Et nous portons des masques, inconsciemment, pour donner la meilleure image de nous-mêmes, et être acceptés dans nos groupes respectifs. Car rien n’est pire que l’exclusion, synonyme de souffrance et de mort.

À quoi bon attiser des conflits datant de l’âge des cavernes ? Le soleil luit pour tout le monde dans le ciel : hommes et femmes, Noirs et Blancs, musulmans et chrétiens, Africains et Européens, Asiatiques et Américains, agriculteurs alternatifs et conventionnels… Une fois le genou au sol, nous avons tous la même posture pour cultiver la terre…

A lire aussi en Voix de la terre

Lutte finale

Voix de la terre Le 17 avril 1996, dix-neuf paysans de la MST (mouvement des travailleurs ruraux sans terre) furent assassinés au Brésil par des tueurs à la solde de gros propriétaires terriens. Depuis cette date, le 17 avril est marqué d’une pierre noire et institué « Journée Mondiale des Luttes Paysannes ». Lutte contre qui ? Lutte contre quoi ? Les manifestations agricoles de ces derniers mois ont secoué vigoureusement les cocotiers de l’Union Européenne, des ministères régionaux et fédéral belges, sans qu’il tombe grand-chose dans les paniers des paysans. À quand donc la lutte finale, la Der des Ders ?
Voir plus d'articles