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Le mythe de la Femme-Araignée

Ces temps-ci, les bulles sont à la mode. Elles pétillent de tous côtés, en principe sans trop se toucher : bulles familiales, bulles sociales, amicales, sportives, etc. Les bulles sont pourtant fragiles, et très éphémères. Gonflées d’air, elles s’envolent à la moindre brise et éclatent sans rien laisser, ou se rassemblent par milliers en une mousse légère, laquelle retombe trop souvent en un morne liquide, triste comme une larme. Une bulle n’est nullement faite pour vivre seule. De même, notre agriculture n’est pas confinée dans une enveloppe qui l’isole du reste du monde. Elle fait partie du « système alimentaire », « food system » selon sa dénomination la plus moderne. Les termes de « filière » et « chaîne alimentaire », employés naguère dans le langage courant, étaient trop linéaires et n’exprimaient pas l’enroulement sur lui-même de tout un système interconnecté, interdépendant. Alors, dans le nouveau Green Deal, cheval de bataille de l’Union Européenne pour ces prochaines années, le concept « Farm to Fork Strategy » -stratégie de la ferme à la fourchette- entend déployer ce qu’ils appellent un « système » alimentaire harmonieusement interconnecté, solide et résilient, aux myriades de bulles montées en une mousse censément onctueuse, qui ne retombera pas au moindre coup de froid, ou de chaud… En toute logique, notre agriculture devrait être au centre de ce redéploiement, et bénéficier de toutes les attentions. Sera-ce le cas ?

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Ces temps-ci, les bulles sont à la mode. Elles pétillent de tous côtés, en principe sans trop se toucher : bulles familiales, bulles sociales, amicales, sportives, etc. Les bulles sont pourtant fragiles, et très éphémères. Gonflées d’air, elles s’envolent à la moindre brise et éclatent sans rien laisser, ou se rassemblent par milliers en une mousse légère, laquelle retombe trop souvent en un morne liquide, triste comme une larme. Une bulle n’est nullement faite pour vivre seule. De même, notre agriculture n’est pas confinée dans une enveloppe qui l’isole du reste du monde. Elle fait partie du « système alimentaire », « food system » selon sa dénomination la plus moderne. Les termes de « filière » et « chaîne alimentaire », employés naguère dans le langage courant, étaient trop linéaires et n’exprimaient pas l’enroulement sur lui-même de tout un système interconnecté, interdépendant. Alors, dans le nouveau Green Deal, cheval de bataille de l’Union Européenne pour ces prochaines années, le concept « Farm to Fork Strategy » -stratégie de la ferme à la fourchette- entend déployer ce qu’ils appellent un « système » alimentaire harmonieusement interconnecté, solide et résilient, aux myriades de bulles montées en une mousse censément onctueuse, qui ne retombera pas au moindre coup de froid, ou de chaud… En toute logique, notre agriculture devrait être au centre de ce redéploiement, et bénéficier de toutes les attentions. Sera-ce le cas ?

Le système alimentaire dépend de nous, c’est évident. Et nous, de qui dépendons-nous ? Du climat, des saisons, de nos terres, du commerce qui nous vend des intrants et nous achète nos produits, du bon vouloir de trop de gens qui « s’occupent » de nous. Nous dépendons de tous ceux qui nous fournissent des services ; nous dépendons des administrations, du monde politique, de la PAC, de la société dans laquelle nous vivons, avec ses lois et ses sautes d’humeur. Nous sommes liés aux hommes et aux animaux, à la nature vivante et à tant d’autres choses… La cosmogonie des Indiens d’Amérique du Nord parle du mythe de la Femme-Araignée. Celle-ci existait avant la formation de l’univers. Elle se mit à tisser. Chaque fois que deux fils se croisaient, naissait une étoile. Tous les astres des cieux étaient ainsi reliés à sa toile. Elle en choisit une pour s’y installer, la Terre, et continua de tisser. Des nombreux entrecroisements naquirent les êtres vivants : microbes, algues, plantes, animaux, puis les hommes, femmes et enfants. L’être humain fait partie intégrante de la toile de la Femme-Araignée ; il est connecté intimement à tout ce qui existe, vivant ou non : sols, rochers, mers, sources, rivières, forêts, prairies, champs cultivés, animaux, déserts, nuages, étoiles. Cette conception de l’univers est très vivace chez les peuples dits « primitifs », tandis que les nations dites « civilisées » s’évertuent à se construire un monde en kits « Ikea », fabriqués de modules artificiels et montés en chaînes, en filières, en « systèmes ».

Cette Femme-Araignée-là est l’antithèse des ogres-araignées du monde capitaliste : pouvoirs politiques, multinationales agroalimentaires, trusts financiers et commerciaux, géants d’Internet… Nous sommes englués dans leurs toiles, et passons notre vie à tenter de nous en dépêtrer. Ce futur « système alimentaire », de la ferme à la fourchette, ne sera-t-il pas une toile de plus jetée sur nous, tissée par les technocrates de l’UE ? Cette nouvelle (??) stratégie est conçue à l’intention des consommateurs, afin de leur assurer une alimentation saine, financièrement abordable et respectueuse de l’environnement. Elle ambitionne de lutter contre le réchauffement climatique, de protéger la biodiversité et l’environnement, et d’assurer un meilleur partage des richesses au sein du système alimentaire. Ouaw!! « From farm to fork » entend dès lors garantir un revenu décent aux agriculteurs!!! Cela me rappelle 1962, lors du baptême de la PAC ! Ces vœux pieux avaient été prononcés par nos parrains et marraines de l’époque, la main sur le cœur, mais à part des dringuelles de temps en temps, les promesses n’ont pas été tenues, en ce qui nous concerne…

Mais cette fois, ce sera différent, affirment en chœur les commissaires européens ! Ils placent leurs plus grands espoirs dans l’agriculture biologique (» organic farming » comme ils disent), laquelle devrait d’ici 2030 recouvrir 25 % des surfaces agricoles de l’UE. Et voilà, d’emblée, les eurocrates créent une bulle, segmente l’agriculture en modules qui fonctionneront chacun de manière spécialisée ! Intensive et industrielle ici, agroforestière dans les zones difficiles, biologique un peu partout, touristique et folklorique plus loin, etc, etc. Il faudrait monter au Parlement Européen et à la Commission, pour leur expliquer le mythe de la Femme-Araignée !

À l’image de ce conte, l’agriculture se pratique et s’explique par l’interconnexion et interdépendance universelle entre tous les éléments, climatiques, minéraux, végétaux, animaux. À parts égales, nous dépendons des collemboles du sol et des vers de terre, des mycorhizes, des herbes et du soleil, de la pluie et du vent, de nos vaches et de nos froments, de nos voisins et de notre tracteur…, et chaque élément est relié à une toile à commune. Pourquoi disséquer et spécialiser à outrance notre agriculture ? Il suffirait tout simplement qu’elle soit agro-écologique et raisonnée, adaptée à son terroir, pour s’épanouir sur la toile de la Femme-Araignée…

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Voix de la terre Il n’aura fallu que cinq jours ! Lundi matin, l’énorme vieille ferme dressait encore ses murs orgueilleux au milieu du village, défiant le temps et les saisons depuis trois cents ans. Vendredi soir, elle n’était plus là, tout simplement ! Disparue, envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Un bulldozer, deux pelleteuses, ainsi qu’une noria de très gros tracteurs attelés de bennes, ont tout rasé et enlevé en quelques dizaines d’heures. Sur le terre-plein ainsi dégagé, sera bientôt construit un complexe de vingt appartements. L’un après l’autre, les derniers témoins de la vie agricole d’autrefois disparaissent des paysages intérieurs de nos localités.
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